PMC : ces produits de marquage utilisés contre les manifestants, sans cadre légal

Source : numerama.com 10 avril 2023 – Marie Turcan

https://www.numerama.com/politique/1333386-pmc-que-sont-ces-produits-de-marquage-utilises-contre-les-manifestants.html

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Des produits de marquage codés (PMC) ont été utilisés par des gendarmes lors des manifestations de Saint-Soline. Ces liquides invisibles qui permettent de marquer les tissus et les êtres vivants ont servi de justification à des arrestations et des gardes à vue. Pourtant l’encadrement juridique de cette pratique est flou.

« Les autorités pistent les manifestants avec un liquide invisible » ; voilà comment le média Reporterre entame son enquête sur les PMC, les produits de marquage codés, utilisés par les gendarmes pendant la répression des manifestations de Saint-Soline fin mars 2023.

C’est l’arrestation d’un journaliste de 34 ans, Clément, qui a permis de mettre en lumière l’utilisation récente de ce produit, encore méconnu malgré les grands enjeux qu’il pose sur la liberté de manifester.

C’est quoi, un Produit de Marquage Codé (PMC) ?

Les produits de marquage codés (PMC) sont « des dispositifs indétectables à l’œil nu, inodores et incolores (non toxiques) permettant le marquage des biens, des personnes et des lieux », décrit le ministère de l’Intérieur sur son site officiel.

Il s’agit d’un produit qui dispose d’une « identité » unique, comparable à l’ADN dans cette unicité. Il y a trois types de marqueurs :

  • Marqueurs minéraux : un mélange spécifique de plusieurs minéraux
  • Marqueurs biologiques : une chaîne d’ADN synthétique basée sur une combinaison de nucléotides
  • Marqueurs physiques : « des micro-particules métalliques sur lesquelles est gravé le code du produit »

Pour détecter ces produits, il faut ensuite utiliser une lampe spéciale qui permet d’en faire apparaître les traces. Il est ensuite nécessaire d’analyser le contenu du produit à l’aide d’un prélèvement, pour savoir s’il s’agit bien du marquage qui correspond à un jour et un lieu précis. Le Parisien en a proposé une infographie en 2019, pour comprendre son fonctionnement.

Depuis quand sont-ils utilisés en France ?

Dans la lutte contre les vols et agressions

L’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale utiliserait ces produits « depuis 2011 », peut-on lire sur le site du ministère de l’Intérieur. Ces produits sont utilisés depuis des années dans le privé, notamment par les banques (attaque sur des distributeurs de billets) ou des commerces, afin de « marquer » de potentiels criminels et les retrouver. Ils sont également, d’après les pouvoirs publics, disponibles à la vente pour les particuliers et « commercialisés par plusieurs sociétés privées ».

Ces outils auraient un potentiel de « dissuasion » mais également de permettre « d’établir un lien fort entre les faits criminels ou délictuels et un individu mis en cause par la révélation de produit de marquage codé sur sa personne ou ses vêtements. »

Numerama a retrouvé un document de 2014 de l’Institut de Police Nationale scientifique confirmant que les PMC étaient « en expérimentation depuis 3 ans » dans le cadre de la protection des biens et des personnes.

Un document de 2014 de l'institut de police nationale scientifique
Un document de 2014 de l’institut de police nationale scientifique

Dans les manifestations

Il est beaucoup plus récent que les forces de l’ordre utilisent officiellement ces produits pendant des manifestations.

En mars 2019, le Premier ministre Edouard Philippe annonce l’expérimentation du « recours à des produits marquants ». Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur de l’époque, confirme l’existence de ces produits, colorés ou invisibles : « On les appelle ADNn mais ce ne sont pas des marqueurs de type ADN. C’est des marqueurs transparents. Ce qui fait que quelques semaines plus tard, si l’enquête aboutit à penser que c’est vous qui êtes en responsabilité, que vous êtes interpellé, on va retrouver les traces et on pourra dire : ‘tel jour, à telle heure, vous étiez devant tel magasin’.»

En août 2021, le magazine l’Essor de la Gendarmerie nationale parle des premières expérimentations sur les citoyens qui manifestent.

En 2022, au cours d’une manifestation contre les mega-bassines, le photographe professionnel Suvann identifie des gendarmes armés de lanceurs qui ressemblent à des armes de paintball. On observe que cette sorte de fusil est surplombé d’un réceptacle contenant un liquide. https://www.numerama.com/wp-content/plugins/humanoid-rgpd/rgpd.html?website=numerama&url=https://platform.twitter.com/widgets.js&id=1&name=Twitter

Selon le site Desarmons.net, l’arme ressemble à celles fabriquées par l’entreprise Planet Eclipse. Dans une publicité vidéo, on voit que l’arme qui propulse des capsules (de peinture ou autre) peut être modifiée de nombreuses manières pour correspondre aux besoins des clients.

Manuel du EMEK EMF 100 par Planet Eclipse // Source : Manuel
Manuel du EMEK EMF 100 par Planet Eclipse // Source : Manuel

En 2022, ces armes portées par les gendarmes étaient jaune fluo, pour être bien visibles. Lors des manifestations de Saint-Solline de 2023, elles n’ont pas été repérées parmi les nombreuses photos et vidéos prises des gendarmes ce dimanche.

Que s’est-il passé à Sainte-Soline avec les PMC ?

Dimanche 26 mars, une foule se réunit pour manifester contre l’utilisation de mega-bassines dans l’agriculture à Sainte-Soline. Ces démonstrations sont durement réprimées par les forces de l’ordre : deux manifestants finissent dans le coma — un n’en est toujours pas sorti —, des armes de guerres sont utilisées, des gendarmes tirent des munitions de LBG depuis des quads et au moins 5 000 grenades sont envoyées sur les manifestants en deux heures (certaines visant les « mauvais » cortèges).

Sur place, il y a Clément, un journaliste indépendant de 34 ans, qui couvre le déroulé de la journée de dimanche. Il explique à France Culture que lendemain, il est arrêté pour un contrôle par les gendarmes près du village de Melle. Les agents effectuent un test de « révélation de substance criminalistique » sur ses vêtements et sa peau.

« Ils m’ont demandé de me mettre contre le mur, de fermer les yeux parce que ça pouvait être dangereux pour ma santé. Et ils ont passé une petite lampe comme une lampe de poche, un peu une lampe UVB sur tous mes vêtements, sur mes cheveux. Et ils m’ont dit que cette petite lampe avait pouvait détecter de l’ADN, que ça s’appelait des PMC, des produits encodés », raconte-t-il à France Culture.

« Ils utilisaient une petite lampe torche de trois, quatre centimètres pour voir si quelque chose apparaissait. Ils ont cru en trouver sur le col de mon sweat », complète le trentenaire auprès de Médiapart. Il se retrouve embarqué au poste pour plus de tests.

 « Les gendarmes ne savaient pas s’il fallait trouver un truc bleu ou jaune. Ils m’ont fait entrer dans une pièce sombre, où j’ai dû enlever mon tee-shirt et mon pantalon, pour voir, donc, si l’on trouvait des traces sur ma peau. Et là, ils ont remarqué une petite trace sur ma main droite. J’ai ouvert les yeux. C’était une trace d’un centimètre ou deux qui ressemblait à un trait de couleur jaune-vert. Ils ont conclu que c’était positif.»

Un nouveau test est effectué sur sa main, à l’aide d’un coton-tige et placé dans un écouvillon. Clément est placé en garde à vue pour 24h, prolongée de 4 heures. Motif indiqué : « Participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences. » De son côté, le journaliste dit n’avoir aucune idée de comment le produit est arrivé sur sa main. De surcroit, une autre question se pose : si le journaliste était bien présent sur les lieux, avec sa carte de presse et son appareil d’enregistrement, que justifie la présence d’un liquide de marquage, sinon qu’il était sur les lieux ?

Reporterre s’est entretenu avec un deuxième homme, un manifestant cette fois, qui a également été arrêté par les gendarmes pour un contrôle aux PMC. « Deux personnes ont été privées de liberté pendant 24 heures, parce qu’on a mis une lumière sur elles et qu’elles ont une légère trace sur la main, c’est troublant », s’inquiète Chloé Chalot, l’avocate de Clément B, auprès du média indépendant.

Quel cadre légal pour les PMC ?

Il n’existe aucun cadre légal pour l’utilisation des Produits de marquage codés au sein des manifestations à ce jour — bien que le ministère de l’Intérieur espère déjà qu’il s’agirait d’une « preuve matérielle solide » (« L’unicité des codes confère à la technologie un caractère particulièrement discriminant qui contribue à élever les PMC au rang des preuves matérielles au sein du procès pénal. Comme tout autre élément de preuve, il se doit nécessairement d’être corroboré par les autres indices et données de l’enquête.»)

Dans un rapport de 2021 fait au nom de la commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre, la secrétaire générale du syndicat Unité magistrats FO justifie l’objectif du dispositif : l’idée serait « de marquer à distance des individus auteurs d’infractions lorsqu’ils ne peuvent faire l’objet d’une interpellation immédiate, puisqu’ils sont souvent rompus à l’exercice et ont la capacité de s’échapper (…) La traçabilité permettrait de mieux identifier les auteurs de troubles à l’ordre public et d’infractions.»

Une « efficacité douteuse et une légalité incertaine, faute de texte »

Son enthousiasme est toutefois douché par Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie, auditionné en septembre 2020 : « La gendarmerie nationale a déjà testé le recours à ces solutions, mais son directeur général a fait part à la commission d’enquête de son scepticisme sur l’intérêt de cette solution, quand elle est employée isolément », peut-on lire. Il estime qu’elle serait bénéfique uniquement couplée à des images de caméra, « lorsque l’on ne voit pas bien une personne sur une image, mais que l’on sait comment elle était habillée ce jour-là et que l’on retrouve sur elle ou ses vêtements des traces de marqueur chimique

Malgré tout, la rapporteuse recommande leur utilisation : « Couplé avec les autres dispositifs que votre rapporteur souhaite développer, il pourrait permettre de lutter plus efficacement contre les violences survenant durant les manifestations

En 2019, l’avocat Thierry Vallat s’inquiétait déjà auprès du Parisien : « On aura au moins la certitude que la personne était sur place. Était-elle pour autant en train de commettre un acte répréhensible ? Le marquage ne pourra pas le dire. » En 2021, il parle dans un billet de blog d’une « efficacité douteuse et une légalité incertaine, faute de texte ».

Dans la loi pourtant, rien n’encadre l’utilisation de ces produits, ni ne permet de justifier l’arrestation d’une personne présente en manifestation sur la simple base d’une détection d’un de ces marqueurs.

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