Au Liban, Anne-Laure Bonnel témoigne d’un drame invisible

Source : libre-media.com – 25 mars 2025 – Anne-Laure Bonnel

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Notre grande reporter Anne-Laure Bonnel s’est rendue au Liban pour Libre Média, sur un terrain ravagé par les frappes et la méfiance. Dans un pays meurtri, où photographier devient est rare et risqué, elle livre un journal de bord bouleversant.

12 février 2025 – Première traversée depuis Beyrouth

Je suis arrivée à Beyrouth il y a deux jours, installée dans un hôtel modeste à Achrafieh, un quartier encore debout malgré les fissures. Ce matin, j’ai pris la voiture pour descendre vers Tyr, au sud, afin de recueillir des témoignages sur les frappes israéliennes qui frappent le Liban chaque jour.

La route est dégagée – pas de carcasses de voitures, les Libanais ont tout nettoyé – mais les ruines marquent le paysage. À Tyr, j’ai vu des immeubles effondrés, des murs noircis.

Un commerçant, Mahmoud, m’a parlé de l’exode: «En octobre 2024, des villages ont fui sous les bombes vers le nord.» Pas d’explosion sous mes yeux, mais une a retenti hier, m’a-t-on dit.

Ce soir, à Beyrouth, je suis passée par le sud de la ville – Beyrouth-Sud, un labyrinthe de décombres, immeuble par immeuble, quartier par quartier. Le bourdonnement des drones m’a suivie jusqu’à l’hôtel.

Photographier est un calvaire. Mon reflex reste caché. Depuis l’attaque des bipeurs en septembre 2024, la paranoïa règne – une Française avec un appareil, c’est louche. À Tyr, j’ai tenté un cliché d’une ruine, mais un homme m’a fixé, et j’ai rangé mon matériel.

Un jeune adolescent syrien transporte des déchets et ramasse de quoi vendre pour subsister, dans les rues du Liban, en février 2025. Photo: Anne-Laure Bonnel pour Libre Média.

À Beyrouth-Sud, j’ai shooté depuis la voiture, vitres baissées. Pourquoi moi? En France, on ignore ces gens. Leur silence me hante.

15 février 2025 – Récits parmi les ruines

Trois jours que je traverse le Liban, de Tripoli au nord jusqu’à Tyr au sud. Ce matin, près de Saïda, un chauffeur, Bilal, m’a raconté la fuite de sa sœur de Khiam: «Elle a pris ses gosses et un sac, ils ont couru sous les bombes.»

Il n’a pas vu l’exode, mais il parle de milliers vers Beyrouth. L’ONU évoque un million de déplacés depuis octobre 2023.

À Saïda, des décombres – traces des frappes quotidiennes. Pas d’explosion aujourd’hui, mais leur menace plane.

Sur les bas-côtés de la route, des migrants syriens errent comme des ombres, guettant l’espoir d’un travail au noir pour survivre. Photo: Anne-Laure Bonnel pour Libre Média.

Ce soir, dans la capitale, j’ai arpenté Beyrouth-Sud: Dahiyeh, Haret Hreik, immeubles effondrés les uns après les autres, un cimetière de béton. J’ai voulu photographier, mais un gamin m’a dévisagée, et j’ai baissé mon appareil. Être étrangère complique tout.

L’avenir m’obsède. Comment reconstruire? La Banque mondiale parle de 11 milliards de dollars – 100 000 maisons détruites, un PIB réduit de 7,1% en 2024. Ces ruines de Beyrouth-Sud, qui paiera ? Avec Israël, le cessez-le-feu de novembre 2024 tient à peine. Pourquoi moi? Parce que leur sort est invisible.

17 février 2025 – Solidarité à Tripoli

Ce matin, j’ai roulé jusqu’à Tripoli, au nord – la Bekaa est enneigée, impraticable. Dans un camp de fortune, des volontaires distribuaient du riz et des couvertures. Une femme, Rima, m’a dit: «Les banques nous ont ruinés depuis 2020, le port a explosé, et les frappes continuent… mais on partage.»

Pas d’explosion sous mes yeux, mais elles sont quotidiennes, m’a-t-on assuré. Sur la route du retour, des ruines à Chekka.

À Beyrouth ce soir, j’ai encore traversé Beyrouth-Sud: Borj el-Barajneh, des immeubles éventrés, quartier par quartier. Le silence est lourd, ponctué par les drones. J’ai voulu photographier une ruine, mais un passant m’a fait signe de partir. Je shoote en cachette.

Reconstruire? Les 11 milliards nécessaires dépendent d’une aide que la corruption pourrait détourner, comme après 2020. Réconcilier avec Israël? La résolution 1701 exige le désarmement du Hezbollah, mais ici, c’est un mur. Oublier? Ces ruines de Beyrouth-Sud, ces vies brisées, ça ne s’efface pas. Moi, je suis là parce que leur histoire est ignorée.

19 février 2025 – Paranoïa sur les routes

La mort de Nasrallah, en septembre 2024, a tout bouleversé. Aujourd’hui, près de Nabatiyeh, un homme m’a montré son vieux téléphone: «Les bipeurs ont explosé, on craint tout.»

Cette attaque, 50 morts, a semé une peur tenace. Sur la route, les drones ronronnent, les regards se méfient. J’ai vu des ruines – un quartier touché récemment, m’a-t-on dit.

Pas d’explosion aujourd’hui, mais elles sont là, chaque jour. Photographier? Un enfer. À Nabatiyeh, j’ai tenté un cliché, mais un soldat m’a interrogée: «Française? Pourquoi ici? » De retour à Beyrouth-Sud ce soir: Ghobeiry, des décombres à perte de vue. Un contrôle a dégénéré – cris, tension brute. 

L’avenir? Reconstruire ces ruines demande des fonds et une unité introuvable. Le gouvernement de Joseph Aoun, formé en janvier 2025, vacille.

Avec Israël, une paix exige des concessions impossibles : désarmer, négocier, pardonner. Oublier? Les 4000 morts, Beyrouth-Sud en ruines – non. Pourquoi moi? On me le demande: «Pourquoi toi, l’étrangère?» Parce que leur douleur doit être vue.

21 février 2025 – Beyrouth-Sud, quartier par quartier

Les trajets m’épuisent. Ce matin, de Tripoli à Saïda, j’ai vu des ruines à Batroun – une frappe d’hier, m’a-t-on dit. Pas d’explosion sous mes yeux, mais elles rythment les jours.

Les Libanais savent: un sifflement, c’est proche; un grondement, c’est loin. À Beyrouth ce soir, j’ai arpenté Beyrouth-Sud: Chiyah, Mreijeh, des immeubles effondrés les uns sur les autres, un chaos figé. Une dispute a éclaté près de l’hôtel – faim et peur mêlées.

Un prof m’a dit: «40% du PIB perdu depuis 2019, 6,8 milliards de dégâts en 2024.» Photographier? Un gamin m’a repérée, et j’ai fui les regards.

Reconstruire, c’est rebâtir des murs et des âmes. Mais avec quoi? L’aide tarde, les factions s’opposent. Avec Israël, il faudrait un miracle – désarmer le Hezbollah, sécuriser la frontière, apaiser la haine. Oublier? Ces ruines de Beyrouth-Sud, ces récits, c’est impossible. Moi, Française, je suis là parce que personne n’a vu leur abandon.

22 février 2025 – Dernier jour

Dernière traversée, de Tripoli à Tyr. Un pêcheur m’a parlé de l’exode de Marjayoun: «Ils ont fui sous les bombes, beaucoup ont disparu.» J’ai vu des ruines sur la côte – une frappe récente, pas aujourd’hui. Ce soir, à Beyrouth, j’ai traversé Beyrouth-Sud une dernière fois: Jamous, Hadath, des immeubles effondrés à perte de vue.

Beyrouth, février 2025: dans l’ombre des fils électriques emmêlés, hommes et femmes fouillent les poubelles, cherchant de quoi manger ou revendre, au cœur de quartiers aux allures de bidonvilles. Photo: Anne-Laure Bonnel pour Libre Média.

En dix jours, j’ai entendu un peuple qui partage son dernier pain dans un pays brisé. Photographier? J’ai renoncé, lasse des soupçons. L’avenir? Des milliards, une volonté introuvable.

Réconcilier avec Israël? Désarmer, négocier, panser – un rêve. Oublier? Non, ils ne peuvent pas. Moi, je repars demain. Pourquoi moi? Parce que leur silence hurle, et que je refuse qu’il reste muet.

Un avenir en suspens

En mars 2025, le cessez-le-feu de novembre 2024 vacille. Les frappes quotidiennes ont détruit 100 000 logements (6,8 milliards de dégâts, 7,2 milliards de pertes économiques, Banque mondiale).

Les Libanais ont nettoyé les routes, mais Beyrouth-Sud reste un champ de ruines. Le Hezbollah, affaibli par la mort de Nasrallah, bloque la paix. Le gouvernement mendie une aide internationale.

Reconstruire? Les 11 milliards nécessaires exigent des donateurs, mais la corruption et les rivalités (Golfe vs Iran) freinent tout. Les ruines de Beyrouth-Sud que j’ai vues sont un défi titanesque. Réconcilier avec Israël?

La résolution 1701 stagne: désarmer le Hezbollah, c’est renoncer à une identité pour beaucoup. La paix est un mirage. Oublier? Beyrouth-Sud en ruines, les 4000 morts, les bipeurs – c’est gravé dans leur peau. Moi, Française, j’ai voulu montrer leur résilience, leur solitude. Pourquoi moi? Parce que leur histoire est un cri que le monde ignore.

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