Conflits d’intérêts entre juges et ONG : la CEDH instaure enfin une procédure de récusation
Source : eclj.org/ – 23 janvier 2024 – Gregor Puppinck
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Cela peut paraître évident ; il aura pourtant fallu quatre années et de rudes débats pour que la Cour européenne des droits de l’homme accepte d’instituer une procédure de récusation de ses juges en cas de conflit d’intérêts. Elle l’a enfin fait, le 22 janvier 2024.
Cette nécessaire modification du Règlement de la Cour fait directement suite à la publication de deux rapports de l’ECLJ.
Le premier, intitulé Les ONG et les Juges de la CEDH publié en 2020, a fait le tour du monde et exposé l’ECLJ à de multiples représailles. Il a révélé qu’au moins 22 des 100 juges permanents de la CEDH sont issus de sept ONG actives à la CEDH, et ont jugé à plus d’une centaine de reprises des affaires introduites par leur propre ONG, se plaçant ainsi en situation manifeste de conflit d’intérêts. Ce rapport a particulièrement fait scandale en ce qu’il révélait que parmi ces ONG, l’Open Society de George Soros est particulièrement présente car pas moins de 12 juges en sont issus, et elle finance en outre les 6 autres ONG dont sont issus les 10 autres juges.
Trois années plus tard, l’ECLJ approfondissait l’étude des dysfonctionnements internes de la CEDH dans un nouveau rapport intitulé L’impartialité de la CEDH – Problèmes et recommandations. Il contient, comme son nom l’indique, une série de recommandations adressées aux États et à la Cour pour renforcer son impartialité. En tête de ces recommandations : l’adoption d’une procédure de récusation. C’est enfin chose faite dans l’article 28 du Règlement de la Cour à présent intitulé « Empêchement et récusation ».
La Cour a en outre adopté une « instruction pratique » de quatre pages sur la récusation des juges, annexée à son Règlement, qui précise la procédure de récusation. Elle a adopté ce faisant deux recommandations supplémentaires de l’ECLJ, l’une visant à permettre aux requérants de connaître à l’avance l’identité des juges susceptibles de trancher leur cause, et l’autre explicitant formellement la possibilité de demander la réouverture d’une affaire après une décision d’irrecevabilité. Une telle possibilité est nécessaire dans le cas notamment où le requérant constaterait qu’un juge ayant prononcé la décision d’irrecevabilité était en situation de conflits d’intérêts. Ce sont là des améliorations sensibles du fonctionnement de la Cour.
L’adoption de ces réformes internes est l’aboutissement d’un long processus accompagnant la publication des rapports et initié notamment par la remise d’une pétition de 60.000 signataires à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Grâce à notre initiative, plusieurs États membres du Conseil de l’Europe ont demandé et obtenu l’institution d’un comité d’experts intergouvernemental chargé, de rédiger un projet de rapport sur les moyens de renforcer l’indépendance et l’impartialité des juges[1]. Grégor Puppinck a participé à ce groupe d’experts.
C’est cette double pression, exercée via l’Assemblée parlementaire et les Gouvernements, qui a convaincu la Cour européenne d’adopter ces réformes. Tout l’enjeu pour le système de la CEDH était de résoudre ce grave problème de conflits d’intérêts sans en reconnaître publiquement l’existence, pour ne pas trop porter atteinte à la crédibilité de la Cour.
L’adoption de cette procédure de récusation en ce mois de janvier 2024 est le changement le plus important obtenu grâce aux rapports de l’ECLJ. Les années précédentes, deux autres réformes avaient été adoptées par la CEDH et faisaient suite elles-aussi à nos recommandations.
Le 2 septembre 2021, la Cour avait adopté une nouvelle « Résolution sur l’éthique judiciaire » renforçant les obligations déontologiques des juges, en particulier leurs obligations d’intégrité, d’indépendance et d’impartialité. En écho au rapport de l’ECLJ, cette résolution fait obligation aux juges d’être indépendants de toute institution, y compris de toute « organisation » et « de toute entité privée », en référence aux ONG et autres fondations. Sur l’impartialité, le texte ajoute l’interdiction explicite de « participer à aucune affaire qui pourrait présenter un intérêt personnel pour eux », renforçant ainsi la prévention des conflits d’intérêts. Les juges doivent en outre s’abstenir « de toute activité, de tout commentaire et de toute association pouvant être interprétés comme étant de nature à nuire à la confiance que le public se doit d’avoir en leur impartialité ».
Le 20 mars 2023, une autre réponse avait été apportée par la CEDH aux rapports de l’ECLJ par la publication d’une « Instruction pratique » sur les tierces interventions. Celle-ci vise à renforcer la transparence de l’action des ONG à la Cour. L’ECLJ avait en effet révélé que des ONG agissent souvent de façon dissimulée, à la fois comme requérante et intervenante dans la même affaire, et cachant leurs liens avec des parties ou avec des juges.
L’ECLJ prend note avec satisfaction de ces réformes internes à la CEDH, et se réjouit que son travail d’alerte porte ainsi des fruits. L’ECLJ rappelle que son intention, dans ce travail d’alerte, a toujours été de servir la justice, et donc le bon fonctionnement de la Cour.
L’ECLJ va poursuivre ce travail d’évaluation du fonctionnement de la CEDH.
En ce sens, l’ECLJ recommande à la Cour de poursuivre ses réformes internes, en imposant notamment la publication par les juges d’une déclaration d’intérêts, et surtout en garantissant enfin la transparence du greffe de la Cour et l’impartialité de ses membres. Cela implique de publier la liste de ses membres, à l’instar de la Cour de Justice de l’Union européenne ou de la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
L’ECLJ recommande aussi aux Etats de ne plus proposer de militants issus d’ONG comme juges à la CEDH, mais seulement des magistrats ayant une expérience judiciaire de très haut niveau, et d’appliquer les mêmes règles de sélection à la nomination des juges « ad hoc », c’est-à-dire remplaçants.
Au-delà de ces aspects institutionnels, l’ECLJ va également continuer à agir auprès de la Cour pour que sa jurisprudence soit respectueuse d’une juste interprétation des droits de l’homme et de l’intérêt des peuples.
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[1] CDDH, Mandat du groupe de rédaction sur les questions relatives aux juges de la cour européenne des droits de l’homme, CDDH(2022)R96 Addendum 3 11/07/2022.
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