Jeune Europe – Jean Thiriart

Source : geopolitika.ru – 2 février 2025 – Daria Platonova Dougine

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Outre la révolution conservatrice, la deuxième influence essentielle qu’il convient de souligner est celle de Jean Thiriart (1922-1992). Célèbre homme politique, intellectuel et géopoliticien belge, Thiriart est passé par plusieurs courants politiques au cours de sa vie. Il a commencé à gauche, a eu des sympathies pour le national-socialisme, puis, après la Seconde Guerre mondiale, s’est rangé du côté de l’européanisme intégral. Dès lors, Thiriart a exercé une influence décisive sur la « théorie de l’Europe » d’Alain de Benoist. Dans les années 1960, Thiriart a organisé le mouvement Jeune Europe, auquel ont participé de nombreux futurs membres de l’ancienne génération du GRECE  dont certains sont encore en vie aujourd’hui.

Pour Thiriart, contrairement à d’autres représentants du front nationaliste de l’époque, c’est « l’Europe avant tout » – pas la Belgique, pas la France, mais l’Europe. « Vive l’Europe ! », « L’Europe, c’est la valeur suprême, l’Empire ! », c’est en termes de cet Empire potentiel que Thiriart propose de réfléchir.(1) L’ennemi principal de cet Empire est l’Occident anglo-saxon, capitaliste, libéral-mondialiste. Thiriart associe avant tout l’Occident à l’américanisme. En revanche,  il voit plutôt un allié dans le système communiste, car l’Union soviétique combat, dans une certaine mesure, le capitalisme et l’impulsion hégémonique émanant de l’Occident.

Thiriart, comme Alain de Benoist après lui, s’oppose farouchement à la droite classique. Il déclare que l’économie de profit que défend la vieille droite est meurtrière, car elle tue l’homme et la culture. L’économie marxiste est également inacceptable pour Thiriart en tant qu’utopie. Il va donc développer une théorie du potentiel économique qui met l’accent sur le développement naturel des possibilités économiques régionales.

Thiriart était partisan d’un nationalisme fédéral. Nous trouvons dans ses œuvres un développement du thème de « l’autarcie des grands espaces ». Il parle de la nécessité de créer une grande entité géopolitique centralisée à partir de l’Europe, qui serait économiquement et idéologiquement indépendante.

Thiriart a écrit à propos de lui-même : « Je suis un bolchevik national européen dans la tradition d’Ernst Niekisch, inspiré par les exemples historiques de Joseph Staline et de Friedrich Hohenstaufen II ».

Jean Thiriart a également influencé de manière significative Benoist dans un autre sens : sur la question de l’acceptation de l’Union soviétique. Thiriart a mis en avant la formule idéologique « La Grande Europe de Dublin à Vladivostok ». Cette même formule que notre président et d’autres hommes politiques prononcent souvent aujourd’hui est en fait le résultat d’une réflexion profonde  sur le rôle de l’Europe et le rôle des forces antilibérales, tant de gauche que de droite, dans la lutte antimondialiste contre l’impérialisme anglo-saxon et l’atlantisme. Ainsi, lorsque vous entendez la formule « La Russie et l’Europe de Dublin à Vladivostok », vous savez désormais que nous nous trouvons dans l’espace du discours de la Nouvelle Droite ou de ses sources.

On rencontre souvent le point de vue selon lequel la Nouvelle Droite était anticommuniste. Oui, elle l’était en partie, mais elle a aussi adopté l’anticapitalisme, qu’elle partageait avec les communistes. Alain de Benoist a même déclaré qu’il préférait la casquette soviétique au béret américain. Cette phrase choque la droite ordinaire, qui n’est pas d’accord avec une telle position et considère que l’opposition à la gauche est la tâche principale au lieu de l’opposition au capitalisme.

Le mouvement Jeune Europe a été actif dans les années 1960 dans toute l’Europe (notamment en Italie) et même dans certains pays du Moyen-Orient, en particulier dans l’Irak de Saddam Hussein. Jean Thiriart envisageait de créer un Front européen de libération et parlait de la nécessité de se débarrasser de toutes les bases américaines en Europe. Il commença à rassembler des collectifs assez importants de ses partisans et tenta de les unifier en des Brigades européennes anti-américaines d’action directe destinées à attaquer les bases américaines et à liquider les politiciens pro-américains. Le mouvement fut assez populaire dans les années 1960. Thiriart ayant lui-mêmedes contacts avec Nasser, Tito et Zhou Enlai. Mais il ne reçut aucun soutien de l’URSS et Moscou a même demandé à ses satellites de ne pas collaborer avec Thiriart. Ce faisant, il fut pratiquement privé de toutes les opportunités qu’il avait tenté d’utiliser pour former son Front européen de libération à l’abri dans les régimes pro-soviétiques.

Thiriart ne s’est rendu qu’une seule fois en Russie, en 1992, peu de temps avant sa mort. Il est décédé en novembre de la même année. Il était à Moscou en août. Au cours de son voyage, il a rencontré Zyuganov (2), Prokhanov (3) , Dugin, Baburin, Alksnis et même Geydar Dzhemal (4 ils étaient littéralement en désaccord sur tout).

Extrait du livre Une théorie de l’Europe de Daria Platonova Dougine à paraître chez Ars magna.

Notes :

  1. Jean Thiriart, L’Europe : Un empire de 400 millions d’habitants.
  2. Gennady Zyuganov (né en 1944) est un homme politique russe qui a longtemps été le chef du Parti communiste de la Fédération de Russie. Il est connu pour sa promotion acharnée des politiques de l’ère soviétique et sa rhétorique nationaliste, se positionnant comme une figure clé de l’opposition russe.
  3. Alexander Prokhanov (né en 1938) est un écrivain, journaliste et personnalité politique russe, souvent décrit comme l’une des principales voix de l’ultranationalisme russe. Il est le rédacteur en chef du journal Zavtra (Demain) et a beaucoup écrit sur l’identité russe, la géopolitique et sa vision d’une Russie puissante et souveraine.
  4. Geydar Dzhemal (1947-2016) était un philosophe musulman russe, un activiste politique et le fondateur du Parti de la renaissance islamique, connu pour ses critiques de la modernité laïque et son plaidoyer en faveur de la pensée politique islamique. Dzhemal a été l’un des premiers professeurs d’Alexandre Douguine au sein du cercle dissident Yuzhinsky à l’époque soviétique, bien que leurs points de vue philosophiques et politiques aient par la suite divergé de manière significative.

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