Droit à la paresse : Sandrine Rousseau devrait relire Paul Lafargue

Par Julien Langella

Source : academiachristiana.org – 19 septembre 2022

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La semaine dernière, Sandrine Rousseau, député Nupes (EELV), s’est encore distinguée par une sortie médiatique dont elle a le secret, invoquant « le droit à la paresse » pour les chômeurs, contre le communiste Fabien Roussel, qui avait attaqué « la gauche des allocs » au micro d’un journaliste à la Fête de l’Humanité. Ainsi, « on a un droit à la paresse, dit-elle, un droit à la transition des métiers (…) Quand on a un métier dans une industrie polluante, on a le droit de changer, on a le droit de faire des pauses dans sa vie, et surtout, il nous faut retrouver du temps, le sens du partage et la semaine de quatre jours. (…) Au contraire, [avec ces propos de Fabien Roussel], on est dans la valeur travail qui est une valeur de droite. »

Le Droit à la paresse est le titre d’un livre du militant socialiste Paul Lafargue, membre du conseil de la Première Internationale, gendre de Karl Marx, franc-maçon, député du Nord de 1891 à 1893 et, comme il se doit, dreyfusard. Il paraît en 1880 et on y trouve des idées autrement plus intéressantes que celles du député pro-sorcières et anti-barbecue.

Paul Lafargue, socialiste PRO-FAMILLE

Lafargue est révolté par les conditions de travail des ouvriers dans les usines, comme du reste la droite contre-révolutionnaire de l’époque*. Certes, l’auteur prétend se révolter contre le travail en soi, qu’il souhaite réduire à trois heures par jour, mais il écrit dans un contexte particulier : terribles sont les souffrances imposées aux prolétaires par la Révolution industrielle. Déjà, en 1830, le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemon, préfet du Nord sous Charles X, alertait le roi sur les cadences infernales, les maltraitances sur les enfants et la destruction des familles ouvrières… Lafargue, lui aussi, défend la vie de famille. Pour cela, il remet en cause le « droit au travail (…) Ce travail que les ouvriers, en juin 1848, réclamaient les armes à la main, ils l’ont imposé à leurs familles ; ils ont livré, aux barons de l’industrie, leurs femmes et leurs enfants ; les malheureuses, enceintes et allaitant leurs bébés, ont dû aller dans les mines et les manufactures tendre l’échine et épuiser leurs nerfs (…) Honte aux prolétaires ! Où sont ces luronnes, toujours trottant, toujours cuisinant, toujours chantant, toujours semant la vie en engendrant la joie, enfantant sans douleurs des petits sains et vigoureux ? (…) Notre époque est, dit-on, le siècle du travail ; il est en effet le siècle de la douleur, de la misère et de la corruption. »

* Xavier Vallat, La croix, les lys et la peine des hommes, 1982.

Paul Lafargue, socialiste NOSTALGIQUE DE L’ANCIEN RÉGIME

Paul Lafargue se fait tour à tour le défenseur de l’hédonisme antique (« le droit au travail (…) Il faudrait vingt ans de civilisation capitaliste à un Grec des temps héroïques pour concevoir un tel avilissement ») et de l’édifice social d’Ancien régime, qui protégeait la vie de famille et de paroisse de l’envahissement capitaliste. « Pour que la concurrence de l’homme et de la machine prît libre carrière, dénonce-t-il, les prolétaires [les révolutionnaires de 89] ont aboli les sages lois qui limitaient le travail des artisans des antiques corporations : ils ont supprimé les jours fériés. (…) [Ces artisans] avaient des loisirs pour goûter les joies de la terre, pour faire l’amour et rigoler. » Il va même jusqu’à vanter Cayenne et le temps du Code noir de Colbert : « les forçats des bagnes ne travaillaient que dix heures, les esclaves des Antilles neuf heures en moyenne, tandis qu’il existait dans la France qui avait fait la Révolution de 89, qui avait proclamé les pompeux Droits de l’homme, des manufactures où la journée était de seize heures, sur lesquelles on accordait aux ouvriers une heure et demie pour les repas. » Lafargue est clairement antiprogressiste : « mieux vaudrait semer la peste, empoisonner les sources que d’ériger une fabrique au milieu d’une population rustique. Introduisez le travail de fabrique, et adieu joie, santé, liberté ; adieu tout ce qui fait la vie belle et digne d’être vécue. » C’est beau comme du Pétain : la terre ne ment pas !

Paul Lafargue, CRITIQUE DE L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE

Paul Lafargue se fait le précurseur des critiques anticonsuméristes portées, un siècle après lui, par les partisans de la décroissance*. « Dans nos départements lainiers, explique-t-il, on effiloche les chiffons souillés et à demi pourris, on en fait des draps dits de renaissance, qui durent ce que durent les promesses électorales ; à Lyon, au lieu de laisser à la fibre soyeuse sa simplicité et sa souplesse naturelle, on la surcharge de sels minéraux qui, en lui ajoutant du poids, la rendent friable et de peu d’usage. Tous nos produits sont adultérés pour en faciliter l’écoulement et en abréger l’existence. Notre époque sera appelée l’âge de la falsification, comme les premières époques de l’humanité ont reçu les noms d’âge de pierre, d’âge de bronze, du caractère de leur production. » Cet âge dure encore, puisque la camelote est partout, condition sine qua non de la consommation et de la croissance.

* Serge Latouche, Bon pour la casse – Les déraisons de l’obsolescence programmée, 2012.

LES LIMITES DE LA PENSÉE DE Paul Lafargue

Rejeton de la modernité intellectuelle, Lafargue ne va pas au bout des choses et imagine la conquête de l’outil industriel par les prolétaires. « Pour forcer les capitalistes à perfectionner leurs machines de bois et de fer, il faut hausser les salaires et diminuer les heures de travail des machines de chair et d’os. » Et de citer le cas des fileurs de Manchester qui, refusant de travailler plus longtemps qu’auparavant, ont suscité la création du métier renvideur. Il croit possible de détourner le développement machiniste au profit des ouvriers. « En Amérique, la machine envahit toutes les branches de la production agricole (…) Le labourage, si pénible en notre glorieuse France, est, dans l’Ouest américain, un agréable passe-temps au grand air ». Lafargue ne se doute pas que la mécanisation agricole serait la première étape vers la disparition de la paysannerie et de la ruralité telle qu’il en rêve… Il ne voit pas, non plus, que le capitalisme exploiterait plus sûrement les masses avec la pornographie qu’avec des miradors. Mais qui pouvait prévoir Cyril Hanouna au XIXe siècle ? Tocqueville, peut-être : « je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. » (De la démocratie en Amérique, 1835-1840).

LA VALEUR-TRAVAIL, DE DROITE ?

Les débats de la gauche autour de la valorisation du travail montrent bien les mutations idéologiques à l’œuvre depuis un siècle : l’écologie est passée à gauche, ainsi que la défense des identités locales, tandis que la laïcité, bras armé de l’anticléricalisme, ou le libéralisme économique, ont été recyclés par la droite. Mais la droite est-elle encore de droite ? Certainement pas, explique Jean-Louis Harouel, pour lequel on peut être de droite et adhérer à un certain ordre du monde (naturellement inégalitaire), sans être à droite, ce qui représente une position sur l’échiquier politique variant au gré des manipulations sondagières et des progrès de l’idéologie dominante. Valérie Pécresse est peut-être à droite, mais elle n’est pas de droite. De la même façon, il ne faut pas confondre la valorisation de l’effort, tendu vers un noble but, qui a fait vibrer l’Occident (la verticalité de nos cathédrales peut en témoigner), et la valeur-travail de la droite d’affaires, le « Je traverse la rue et je vous trouve du travail » (Emmanuel Macron, 15 septembre 2018), qui n’a rien d’autre à proposer aux horticulteurs, aux apprentis ébénistes et aux éducateurs Montessori que de faire la plonge dans un bouge parisien.

La valeur-travail exprime le caractère égalitariste du libéralisme : sur la ligne de départ de la vie, nous serions tous au coude-à-coude, et la réussite des uns ou l’échec des autres ne serait que la rançon du travail ou de la paresse. C’est que la valeur-travail s’appuie sur le discours du « mérite », qui ignore les inégalités naturelles et les logiques communautaires. Dans une société « méritocratique », donc individualiste, pour être cohérent, il n’y aurait pas d’héritage, pas de don d’un parent à son enfant pour que ce dernier achète une maison et accède à la propriété… Le Moyen Age chrétien n’était pas méritocratique : saint Louis se faisait un devoir de nourrir des pauvres à sa table et les corporations prenaient soin des faibles et des vieux (ces improductifs condamnés à l’euthanasie, pardon, au « droit de mourir dans la dignité »). Sandrine Rousseau confond la droite avec le libéralisme. Notons enfin que des passages entiers du Droit à la paresse heurteraient les bonnes consciences antiracistes, notamment celui consacré à l’usure pratiquée par « le Rothschild », auquel on « offre son sang, son honneur ». Et encore : « Monsieur Bonnet, voici vos ouvrières ovalistes, moulineuses, fileuses, tisseuses, elles grelottent sous leurs cotonnades rapetassées à chagriner l’œil d’un […] et, cependant, ce sont elles qui ont filé et tissé les robes de soie des cocottes de toute la chrétienté. »

Julien Langella

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