Servitude et grandeur policières : Vigny et le déclin moderne des forces de l’ordre

Par Nicolas Bonnal

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De plus en plus de policiers et de gendarmes démissionnent (France.info/Asselineau). La débâcle
française effectuée – comme prévu par de Gaulle – sur ordre des américains a transformé ces corps
précieux en farces de l’ordre, un ordre inique et oligarchique – et même satanique. Une fois de plus
un génie littéraire romantique avait tout prévu, Alfred de Vigny, que nous avions évoqué (Servitude
et grandeur militaire) lors de la lettre des généraux qui avait fait grand bruit.
Un rappel :

«Dans Servitude et grandeur militaire, texte magique que je mets au niveau de la conclusion des
mémoires d’outre-tombe, on peut lire ceci sur nos militaires ennuyés après les épopées
napoléoniennes (on en reparle) :
« Leur couronne est une couronne d’épines, et parmi ses pointes je ne pense pas qu’il en soit de plus
douloureuse que celle de l’obéissance passive. »
Vigny qui est jeune officier, comprend aussi que les militaires seront toujours un peu ringards, un peu
en retard :
« …la vie ou du caractère militaire, qui, l’un et l’autre, je ne saurais trop le redire, sont en retard sur
l’esprit général et la marche de la Nation, et sont, par conséquent, toujours empreints d’une certaine
puérilité. »
Les militaires sont résignés (toujours ?) :
« Ce n’est pas sans dessein que j’ai essayé de tourner les regards de l’Armée vers cette GRANDEUR
PASSIVE, qui repose toute dans l’abnégation et la résignation. »

Vigny rappelle le devenir-fonctionnaire du froncé et le destin glorieux des militaires d’antan. Comme
B. de Jouvenel il sait que l’instinct de liberté est lié aux aristocraties. Il souligne comme Tocqueville
(Ancien Régime et Révolution) que la grande France est morte sous Louis XIV (et comme il a
raison !) :

« Soumis à l’influence toute populaire du prêtre, il ne fit autre chose, durant le moyen âge, que de se
dévouer corps et bien au pays, souvent en lutte contre la couronne, et sans cesse révolté contre une
hiérarchie de pouvoirs qui eût amené trop d’abaissement dans l’obéissance, et, par conséquent,
d’humiliation dans la profession des armes. Le régiment appartenait au colonel, la compagnie au
capitaine, et l’un et l’autre savaient fort bien emmener leurs hommes quand leur conscience comme
citoyens n’était pas d’accord avec les ordres qu’ils recevaient comme hommes de guerre. Cette
indépendance de l’Armée dura en France jusqu’à M. de Louvois, qui, le premier, la soumit aux
bureaux et la remit, pieds et poings liés, dans la main du Pouvoir souverain. »
Cette histoire d’uniformes m’évoque celle des masques ; combien ont refusé vraiment et totalement
d’en porter ? Vous ? Moi (même pas moi en fait) ? Un sur mille ? Un sur un million ?
Et de donner ce bel exemple (l’inévitable vieux noble breton) :
« Ils haïssaient particulièrement l’uniforme, qui donne à tous le même aspect, et soumet les esprits à
l’habit et non à l’homme. Ils se plaisaient à se vêtir de rouge les jours de combat, pour être mieux vus
des leurs et mieux visés de l’ennemi ; et j’aime à rappeler, sur la foi de Mirabeau, ce vieux marquis de
Coëtquen, qui, plutôt que de paraître en uniforme à la revue du Roi, se fit casser par lui à la tête de
son régiment : «Heureusement, sire, que les morceaux me restent», dit-il après. C’était quelque
chose que de répondre ainsi à Louis XIV. »

Après Napoléon donc l’armée piétine et devient fonctionnaire :
« L’Armée moderne, sitôt qu’elle cesse d’être en guerre, devient une sorte de gendarmerie. Elle se
sent honteuse d’elle-même, et ne sait ni ce qu’elle fait ni ce qu’elle est ; elle se demande sans cesse
si elle est esclave ou reine de l’État : ce corps cherche partout son âme et ne la trouve pas.
L’homme soldé, le Soldat, est un pauvre glorieux, victime et bourreau, bouc émissaire journellement
sacrifié à son peuple et pour son peuple qui se joue de lui ; c’est un martyr féroce et humble tout
ensemble, que se rejettent le Pouvoir et la Nation toujours en désaccord. »
Vigny souligne l’ennui :
« La vie est triste, monotone, régulière. Les heures sonnées par le tambour sont aussi sourdes et
aussi sombres que lui… La servitude militaire est lourde et inflexible comme le masque de fer du
prisonnier sans nom, et donne à tout homme de guerre une figure uniforme et froide. Aussi, au seul
aspect d’un corps d’armée, on s’aperçoit que l’ennui et le mécontentement sont les traits généraux
du visage militaire. »
Obéir, obéir, obéir, tel est votre destin, militaires, fût-ce à des Macron, à des Hollande, à des Sarkozy
et aux leaders américains (les ogres anglo-saxons) de l’OTAN :

« La Grandeur guerrière, ou la beauté de la vie des armes, me semble être de deux sortes : il y a celle
du commandement et celle de l’obéissance. L’une, tout extérieure, active, brillante, fière, égoïste,
capricieuse, sera de jour en jour plus rare et moins désirée, à mesure que la civilisation deviendra
plus pacifique ; l’autre, tout intérieure, passive, obscure, modeste, dévouée, persévérante, sera
chaque jour plus honorée… »
On parle toujours beaucoup trop de Napoléon ces temps-ci. Vigny aussi, et un peu plus
intelligemment que les commentateurs câblés :
« C’est une chose merveilleuse que la quantité de petits et de grands tyrans qu’il a produits. Nous
aimons les fanfarons à un point extrême et nous nous donnons à eux de si bon cœur que nous ne
tardons pas à nous en mordre les doigts ensuite. La source de ce défaut est un grand besoin d’action
et une grande paresse de réflexion. Il s’ensuit que nous aimons infiniment mieux nous donner corps
et âme à celui qui se charge de penser pour nous et d’être responsable, quitte à rire après de nous et
de lui. »

Le futur est au Gambetta, au Paul Reynaud, au Sarkozy :
« Bonaparte est un bon enfant, mais il est vraiment par trop charlatan. Je crains qu’il ne devienne
fondateur parmi nous d’un nouveau genre de jonglerie… »
Vigny imagine une conversation entre le pape et Napoléon. Et le phénomène corse d’éructer contre
le vieux pontife en des termes américains (« nous inventons la réalité » – voyez Karl Rove) :
« Mon théâtre, c’est le monde ; le rôle que j’y joue, c’est celui de maître et d’auteur ; pour
comédiens j’ai vous tous, Pape, Rois, Peuples ! et le fil par lequel je vous remue, c’est la peur ! –
Comédien ! Ah ! il faudrait être d’une autre taille que la vôtre pour m’oser applaudir ou siffler, signor
Chiaramonti ! Savez-vous bien que vous ne seriez qu’un pauvre curé, si je le voulais ? Vous et votre
tiare, la France vous rirait au nez, si je ne gardais mon air sérieux en vous saluant. »
La France avec Napoléon devient le pays de la pose militaire (René Girard en a bien parlé dans son
livre sur Clausewitz) et cela va lui coûter de cher de 1870 à 1940 :
« C’est vrai ! Tragédien ou Comédien. – Tout est rôle, tout est costume pour moi depuis longtemps et
pour toujours. Quelle fatigue ! quelle petitesse ! Poser ! toujours poser ! de face pour ce parti, de
profil pour celui-là, selon leur idée. Leur paraître ce qu’ils aiment que l’on soit, et deviner juste leurs
rêves d’imbéciles. »

Dans le même temps Vigny pressent l’effondrement chrétien du pays (cela met des siècles un
effondrement, voyez Jules Michelet sur cette question) :
« Cependant il secoua la tête avec tristesse, et je vis rouler de ses beaux yeux une larme qui glissa
rapidement sur sa joue livide et desséchée. Elle me parut le dernier adieu du Christianisme mourant
qui abandonnait la terre à l’égoïsme et au hasard. »
Vigny résume cette ennuyeuse époque bourgeoise (lisez ce qu’écrit Marx sur Malthus comme as
du « dépeupler bourgeois » pour comprendre) :
« Les Grandeurs éblouissantes des conquérants sont peut-être éteintes pour toujours. Leur éclat
passé s’affaiblit, je le répète, à mesure que s’accroît, dans les esprits, le dédain de la guerre, et, dans
les cœurs, le dégoût de ses cruautés froides. Les Armées permanentes embarrassent leurs maîtres. »
Il ne reste comme chez Balzac que la consommation :
« Dans le naufrage universel des croyances, quels débris où se puissent rattacher encore les mains
généreuses ? Hors l’amour du bien-être et du luxe d’un jour, rien ne se voit à la surface de l’abîme.
On croirait que l’égoïsme a tout submergé ; ceux même qui cherchent à sauver les âmes et qui
plongent avec courage se sentent prêts à être engloutis. »
Comme tous les vrais chrétiens (Drumont, Bloy, Bernanos), Vigny comprend les cathos bourgeois
issus de la Révolution et du concordat mieux que personne :
« Les chefs des partis politiques prennent aujourd’hui le Catholicisme comme un mot d’ordre et un
drapeau ; mais quelle foi ont-ils dans ses merveilles, et comment suivent-ils sa loi dans leur vie ? –
Les artistes le mettent en lumière comme une précieuse médaille, et se plongent dans ses dogmes
comme dans une source épique de poésie ; mais combien y en a-t-il qui se mettent à genoux dans
l’église qu’ils décorent ? »
Mais remontons le moral des troupes – et pas du troupeau de la servitude volontaire. Que reste-t-il à
nos soldats alors et aux rares rebelles de la France du coronavirus et du nouvel ordre mondial ? Oh,
un mot pas très compliqué : l’honneur. Vigny :
« Cette foi, qui me semble rester à tous encore et régner en souveraine dans les armées, est celle de
l’Honneur. L’Honneur, c’est la conscience, mais la conscience exaltée. – C’est le respect de soi-même
et de la beauté de sa vie portée jusqu’à la plus pure élévation et jusqu’à la passion la plus ardente. »
Le baroud d’honneur, comme on dit. On verra si nous en sommes capables, et si nous saurons pour
une fois ne pas nous contenter d’un paraphe.

Sources :

https://lesakerfrancophone.fr/vigny-et-la-servitude-militaire-propos-atemporels-sur-la-lettre-des-
generaux
https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee-et-securite/securite-dans-la-police-
et-la-gendarmerie-les-demissions-s-enchainent_5823401.html
http://www.bouquineux.com/?telecharger=1271&Vigny-Servitude_et_grandeur_militaires

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