Christophe Guilluy et le grégarisme écolo-bobo – Nicolas Bonnal
Par Nicolas Bonnal
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Illustration: Télé-Québec, Les bobos
«Le grégarisme social est un des fondamentaux de la bourgeoisie. À cet égard, les bobos ne font pas
exception…Les quartiers boboïsés des grandes métropoles fonctionnent eux aussi sur un fort capital
d’autochtonie, presque communautaire. À l’heure où les classes populaires sont régulièrement
sermonnées pour leur populisme, leur racisme, voire leur communautarisme, il apparaît que les
couches supérieures (des riches aux bobos) pratiquent de plus en plus une forme de
communautarisme qu’elles refusent aux plus modestes…. Le grégarisme résidentiel des bobos, avec
digicode et interphone, n’a en réalité pas grand-chose à envier en matière de délimitation d’une
sphère privée au petit lotissement. »
Les livres de Christophe Guilluy sont riches, et plutôt que d’en faire une présentation globale, je
traiterai une question essentielle – celle du bobo qui semble devenir une entité eschatologique dans
le monde menaçant –mais aussi délirant – où nous vivons. Bio, parfois homo, puéril, homogénéisé,
aseptisé, unisexe (même avec des gosses), xénophile, francophobe, multiculturel, solidement abruti
par ses médias subventionnés, avec son cadre de vie surprotégé et par le bonisme dont parlait le
grand historien US Stanley Payne, le bobo est effrayant. Et il devient méchant, car il justifiera, après
la guerre en Syrie et l’opération des migrants, toutes les brutalités d’un président honni pour
préserver, sinon son cadre de vie, du moins son cadre mental qu’il nous a imposé depuis trente ans
de réaction bourgeoise socialiste. Rien de neuf sur le fond : lisez Taine (le bourgeois est un être de
formation récente…) et comprenez que le bobo est un jeune bourgeois moliéresque relooké. Soyons
précis : le bobo n’est surtout pas bohême, il a été fabriqué par la société postindustrielle et par le
surdéveloppement étatique, il est puritain, orwellien, aseptisé, il veut tout censurer. Sa festivité est
d’appellation contrôlée, et il pratique le tri sélectif dans tout ce qu’il fait. Le bobo obéit, alors que le
peuple réagit.
Mais essayons de ne pas trop polémiquer et d’étudier cette entité qui vote Macron et socialo,
recueille le migrant (regardez l’article de Télérama qui est à mourir de rire) mais hait son prochain
(voyez Cochet qui nous demande de disparaître pour laisser la place au migrant).
On va citer d’abord Thomas Frank, le très brillant essayiste américain, qui a écrit sur cette épineuse
question : pourquoi les riches et les privilégiés sont de gauche (et pourquoi donc le populo allait
devenir populiste). Dans une interview traduite il déclare :
« Ce que désire la classe des professionnels bien diplômés, c’est une méritocratie plus parfaite : un
système où ceux qui ont du talent peuvent s’élever. Quand on est parvenus à la diversité et que les
gens brillants de toutes races et de tous sexes ont été dûment qualifiés, cette espèce de libéral ne
peut pas vraiment concevoir d’autres griefs contre le système. Les revendications des travailleurs
ordinaires ne les touchent pas : les vigiles, les serveurs de fast-foods, les aides à domicile et les
gardes d’enfant – dont la plupart sont des femmes et des personnes de couleur – qui n’ont pas de
diplôme universitaire. »
Un autre américain, Stanley Payne, évoque le buenismo, inspirateur du citoyen anesthésié (je préfère
aseptisé) des temps postmodernes :
« À présent, aucune nouvelle idéologie ne peut agir comme levier de la société. Au contraire, en
Espagne, la « bonté » a été imposée, la chose politiquement correcte. Mais cette « bonté » ne cherche
pas à provoquer de grandes révoltes, mais l’inverse. Le bien est contre les révoltes. Il prétend
dominer la société, mais promouvoir le conformisme, pas les révoltes. »
Venons-en à Guilluy. Dans son ouvrage sur la France périphérique, il écarte brillamment le mythe
d’un accord entre bobos et musulmans (base électorale du PS) :
« Le gauchisme culturel de la gauche bobo se heurte en effet à l’attachement, d’ailleurs commun à
l’ensemble des catégories populaires (d’origine française ou étrangère), des musulmans aux valeurs
traditionnelles… Autrement dit, le projet sociétal de la gauche d’en haut s’oppose en tous points à
celui de cet électorat de la gauche d’en bas. »
Comme savent tous ceux qui passent par Paris ou Lyon (ou ailleurs), les bobos ne se mélangent tant
pas que ça. Guilluy :
« Les quartiers boboïsés des grandes métropoles fonctionnent eux aussi sur un fort capital
d’autochtonie, presque communautaire. À l’heure où les classes populaires sont régulièrement
sermonnées pour leur populisme, leur racisme, voire leur communautarisme, il apparaît que les
couches supérieures (des riches aux bobos) pratiquent de plus en plus une forme de
communautarisme qu’elles refusent aux plus modestes. »
Cela rappelle le fameux numéro de Patrick Timsit dans la Crise de Colline Serreau : ceux de Saint-
Denis ont dû faire de la place. Ceux de Neuilly par contre…
Et Guilluy d’ironiser sur les limites de cette société ouverte :
« On peut toutefois remarquer que les tenants de la société ouverte ne sont pas insensibles à ce
capital d’autochtonie. Les quartiers boboïsés des grandes métropoles fonctionnent eux aussi sur un
fort capital d’autochtonie, presque communautaire. »
Tout cela sent hélas son Edouard Herriot : cœur à gauche et portefeuille à droite !
Le bobo n’est pas bohême, le bobo est d’abord un bourgeois un peu moins catho et réglo que les
autres bourgeois (voyez mes textes sur Bloy et Bernanos) :
« Cette sociologie d’en haut permet d’ailleurs de réactiver un clivage droite-gauche à l’intérieur des
grandes villes entre une bourgeoisie traditionnelle vieillissante et « boboland ». Un clivage relatif tant
les points d’accord sont nombreux (à l’exception de la frange catholique de la bourgeoisie
traditionnelle), ouverture au monde, sont ainsi partagés par l’essentiel de ces catégories supérieures.
»
La France est sous le contrôle des deux groupes bourgeois :
« La France bourgeoise et urbaine, celle de l’Ouest parisien et celle des grandes métropoles
régionales, était donc surreprésentée dans les manifestations parisiennes. En grossissant le trait, on
peut dire que le débat sur le mariage homosexuel a opposé les deux bourgeoisies des métropoles : «
bobos-sociétales » contre « traditionnelles et catholiques ».
Dans les Fractures, livre que j’ai trouvé encore plus instructif et incisif, Guilluy écrivait sur le goût
bobo pour la promotion immobilière :
« Dans ces quartiers, les bobos sont en train de se constituer un patrimoine d’une très grande valeur
en acquérant de grandes surfaces industrielles, artisanales ou en réunissant de petits appartements.
Les services des impôts ont ainsi enregistré une explosion des ménages payant l’ISF3 dans tous les
quartiers populaires des grandes villes et notamment à Paris. »
Puis la cerise sur le gâteau : le bobo adore la diversité car il adore exploiter à moindre prix.
« …en revanche, on ne souligne pas assez un autre aspect de cette nouvelle exploitation, qui permet
d’offrir un train de vie « bourgeois » aux nouvelles couches supérieures sans en payer véritablement
le prix. La nounou et la femme de ménage immigrées, et parfois sans papiers, ne ponctionnent que
marginalement le budget des cadres. De la même manière, c’est bien grâce à l’exploitation en cuisine
des immigrés que le bobo peut continuer à fréquenter assidûment les restaurants pour une note
assez modique. »
Ami du restau bio et du four micro-ondes, attends encore, car Guilluy va te régler ton compte.
Guilluy explique cet incomparable mépris du centre pour la France endormie des périphéries :
« Si la « boboïsation » de la sphère médiatique et culturelle est souvent critiquée, on souligne peu
l’importance de la culture issue des quartiers populaires métropolitains sur une grande partie de la
jeunesse. Les métropoles sont ainsi devenues des centres prescripteurs pour l’ensemble des
territoires. Cette domination culturelle et politique des centres fait ressortir encore davantage
l’invisibilité culturelle et politique des périphéries périurbaines et rurales. Cette France invisible
concentre l’essentiel des couches populaires perdues de vue par la classe dirigeante et dont le poids
démographique ne cesse de se renforcer. Car le nouveau monde, celui des métropoles inégalitaires,
n’a pas encore fait disparaître l’essentiel d’une France populaire et égalitaire. »
Alain de Benoist avait écrit dans l’Idiot international, journal où j’officiais moi-même, un dense texte
sur ce sujet qu’il concluait ainsi :
« On est loin alors, en effet, très loin des vieux clivages. Barrès et Jaurès réconciliés pour estoquer
Bernard Tapis. Beau sujet d’allégorie pour un artiste de l’avenir. »
Guilluy va plus loin et remarque que le bobo aime bien se défausser de son racisme sur le petit
peuple :
« L’acquisition d’un pavillon bas de gamme impliquerait même le « rejet de l’autre ». Bizarrement, ce
déterminisme urbain, cet « effet pavillonnaire », resterait inopérant pour le bobo parisien acquéreur
d’une maison individuelle dans le Lubéron… »
Le coup du vivre ensemble ? Guilluy :
« Ce choix résidentiel, souvent imposé par des opportunités foncières, témoigne a priori d’une plus
grande tolérance à la diversité sociale et culturelle. Les bobos portent ainsi très haut l’argumentaire
du « vivre ensemble…Dans ces quartiers, ce discours vient opportunément masquer la violence
sociale engendrée par l’appropriation d’un parc de logements et de quartiers hier populaires. Il
permet par ailleurs d’occulter le rapport de classes, pourtant très marqué, entre les bobos et les
couches populaires. »
C’est ce qu’il appelle le vivre ensemble séparé – manière américaine, brésilienne ou sud-africaine…
Car tout ce cirque intello a ses limites :
« Dans les quartiers du Nord et de l’Est parisien, ceux qui s’embourgeoisent le plus rapidement
depuis les années 1990, il n’est pas rare de trouver des copropriétés privées occupées exclusivement
par des bobos, « blancs », jouxtant des immeubles où demeure une majorité de ménages précarisés
d’origine maghrébine et africaine. »
Guilluy ajoute :
« Vus d’avion, ces quartiers illustrent apparemment l’idéal de la ville mixte, leur diversité sociale et
culturelle étant une réalité perceptible dans l’espace public. En plan rapproché, la ville « arc-en-ciel »
laisse la place à un découpage du parc de logements qui nous ramène plus à l’Afrique du Sud au
temps de l’apartheid. Une situation qui risque de perdurer du fait du renchérissement du foncier. »
Le fric décide de tout, mais on l’avait compris. Et de la même manière que les concierges votaient à
droite et les digicodes socialiste, Guilluy écrit :
« Le grégarisme résidentiel des bobos, avec digicode et interphone, n’a en réalité pas grand-chose à
envier en matière de délimitation d’une sphère privée au petit lotissement. »
Cet apartheid subtil et intelligent, pour reprendre les expressions d’un crétin, est habile :
« Comme pour le logement, le séparatisme scolaire revêt aussi une dimension ethnoculturelle. C’est
d’ailleurs ce critère qui, pour le sociologue Georges Felouzis, est le plus déterminant dans le
processus de ségrégation scolaire. Le chercheur souligne ainsi que les couches supérieures mettent
en avant le niveau scolaire des élèves pour éviter un collège, mais qu’ils se déterminent en réalité sur
l’origine des élèves et notamment la couleur de la peau. Les collèges où se concentrent des élèves
maghrébins et subsahariens seront contournés en priorité. »
Les enfants bobos n’ont pas de souci à avoir (ils ruineront leurs parents ou se feront flinguer en
Amérique lors d’un campus-killing, mais c’est un autre problème) :
« Les enfants des bobos se retrouvent dans les meilleures classes, les enfants d’immigrés se
concentrent dans les classes où l’échec scolaire est le plus important et où l’orientation en BEP sera
la norme. Des logiques de séparations sociales et ethnoculturelles s’observent aussi à l’intérieur des
mêmes classes. Si ces stratégies résidentielles et scolaires n’interdisent pas de réelles solidarités
(soutien scolaire, défense des sans-papiers et de leurs enfants), il apparaît que le séparatisme discret
des couches supérieures s’impose pourtant à l’ensemble des quartiers dits « mixtes ».
J’ajouterai juste une remarque. La classe bobo des cadres et des professions libérales, des
pléthoriques fonctionnaires municipaux et des commissaires de la cybernétique, avec son arrogance,
sa tartuferie, sa sous-culture, est insupportable. Et elle tient le coup parce que sa presse est
subventionnée par le pouvoir et donc par nos impôts. Et si on arrêtait de banquer pour cette presse
qui incarne une classe et une idéologie isolées, on mettrait fin à 90% de notre problème.
Sources
Christophe Guilluy – Fractures françaises ; la France périphérique (Champs)
Nicolas Bonnal – Le choc Macron (Dualpha)