Du messie auto-proclamé Sabbataï Tsevi à la fondation de la Turquie moderne (1/3)
Source : x.com – 12 février 2025 – Mehmet Yildiz
https://x.com/Mehmet_Stern/status/1889620288150659351?t=rpUSAm5BRBtqB_gZhqim3Q&s=03
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Né en 1626, sous l’empire ottoman, à Smyrne, actuelle Izmir des bords égéennes de la Turquie, Sabbataï Tsevi était un individu « spécial » et charismatique. Sa famille l’oriente vers une formation de rabbin – qu’il termine avec succès, puis se spécialise dans la kabbale, dont il en devient une figure historique importante. Après sa formation, il commence à croire qu’il est le messie et regroupe quelques fidèles qui croient en lui. Mais, en 1665, le nombre d’adeptes est en nette progression, et c’est à ce moment qu’apparaît un prophète du nom de Nathan de Gaza. Avec la synergie de ces deux individus, un mouvement apparait, mouvement qui va exploser, s’agrandir, d’abord à Jérusalem, puis au Caire, puis Izmir, Istanbul et par la suite Edirne (Andrinople), mais de manière anormale, dans un laps de temps très bref, ce que j’entend par bref, c’est moins d’un an – ce qui est perçu comme un miracle dans les années 1660, sans télévision, ni radio, ni internet ou Twitter, les informations se diffusent à une vitesse folle; je vous parle de Moscou, Londres, Amsterdam, de Livourne en Toscane, jusqu’au nouveau monde, c’est-à-dire Boston. Entre 1665 et 1666 tout se diffuse à grande vitesse ; ainsi, cette croyance devient un grand mouvement de grande envergure.
Il faut tout de même rappeler que lorsque nous parlons du mouvement sabbatéen, il s’agit peut-être du plus grand mouvement messianique de l’histoire juive, une sorte de messianisme politico-social, comme une mode. Une fois que le mouvement commence à prendre de l’ampleur, le sultan de l’époque, le vizir et les autorités ottomanes décident d’intervenir – d’ailleurs les autorités européennes de l’époque s’en mêlent aussi. Pourquoi ? Parce qu’un si grand mouvement messianique qui apparaît du jour au lendemain et grandit à cette vitesse en moins d’un an, est considéré par tous les pouvoirs de l’époque comme une menace, un danger. Et donc, Sabbataï est arrêté, on le condamne, ça ne suffit pas et finalement, à Edirne (Andrinople en français), il est convoqué par le sultan lui-même, en présence d’un personnage qui s’appelle Vanî Mehmed Efendi, il est jugé. Pour faire bref, il ressort de cette forme de négociation qu’il sera libéré à la condition d’être converti à l’islam. Bien sûr, il déclare ne pas être le messie et décide de devenir musulman pour éviter la mort ; ce qui crée une grande déception chez ses fidèles, qui se détournent, pour la plupart, de ce mouvement, en se disant que par le passé, beaucoup d’autres faux messies sont apparus et que celui-ci en est un de plus. Presque tous ses fidèles d’Europe et du périmètre ottoman le quittent.
Nathan de Gaza que l’on appelle aussi Nathan Ashkenazi, est un théologien juif né à Jérusalem en 1643 et mort en 1680 à Skopje en Macédoine… il est surtout connu pour avoir été le prophète de Sabbataï Tsevi (!). Nathan Benjamin ben Elisha Hayyim Ashkénazi naît d’un père venu d’Allemagne ou de Pologne. Il est celui qui fait connaître Sabbataï Tsevi aux importantes communautés juives européennes en leur adressant de Palestine des lettres circulaires. Puis il se rend dans les principales villes d’Europe, d’Afrique et d’Inde pour finalement retourner en Palestine. Nathan de Gaza, le faux prophète, qui, même après l’apostasie de Sabbataï Tsevi, ne déserte pas sa cause, mais, trouvant peu prudent de séjourner plus longtemps en Palestine, prévoit de se rendre à Smyrne. Les rabbins, constatant l’emprise de ce mouvement sur des fidèles crédules, excommunient le 9 décembre 1666 tous les partisans de Sabbataï Tsevi et particulièrement Nathan de Gaza. Ils interdisent à tous de lui donner l’hospitalité ou même de l’approcher. Après un séjour de quelques mois à Smyrne, il se rend à Andrinople où, malgré ses promesses de rester tranquille, il continue sa propagande, puis de nouveau excommunié, il part avec quelques partisans à Salonique où il reçoit un accueil très mitigé, bien qu’ayant un relatif succès chez les communautés de Chios et de Corfou.
En mars 1668, il part à Venise où le rabbinat ainsi que les autorités l’obligent à admettre par écrit que toutes ses prophéties sont le seul produit de son imagination. Après la publication de la confession, Abraham Yachini, premier à avoir reconnu Sabbataï Tsevi comme Messie, écrit une lettre à Nathan de Gaza où il le plaint pour les persécutions qu’il endure et lui exprime son indignation devant les agissements du rabbinat vénitien. Les Juifs vénitiens persuadent alors Nathan de partir pour Livourne où la population juive est connue comme lui étant hostile. Ils lui adjoignent une escorte, prétextant une marque d’honneur, en fait pour s’assurer qu’il va bien à Livourne. Il réussit cependant à gagner Rome où, en dépit de son déguisement, il est reconnu et banni de la ville. Il va alors volontairement à Livourne où il persuade quelques-uns de la justesse de sa cause. Puis, de Livourne, il retourne à Andrinople et semble avoir passé le reste de sa vie à voyager.
Nathan de Gaza, est aussi l’auteur de multiples lettres et divers ouvrages où il développe sa propre théologie, qui fusionne avec la compréhension qu’on avait alors de la kabbale avec des éléments du mysticisme d’Isaac Louria. Son ouvrage le plus connu est Le Traité des Dragons (Derush ha-Tanninim) – publié par Gershom Scholem à Jérusalem en 1944, où il expose la doctrine que Scholem a appelé l’antinomisme sabbatéen. Source éminemment importante, quiconque s’intéresse à Sabbataï Tsevi passe inévitablement par Gershom Scholem, historien et philosophe juif, spécialiste de la kabbale et de la mystique juive, né en 1897 à Berlin et décédé en 1982 à Jérusalem. Il a légué une très importante bibliothèque consacrée à la kabbale à l’Université hébraïque. Son œuvre immense a fait entrer l’étude de la kabbale dans le champ académique des sciences humaines. David Biale, historien spécialiste de l’histoire juive dira de lui : « Par son étude exhaustive de l’histoire de la mystique juive, du IIe au XVIIIe siècle, Scholem nous a donné accès à un univers intellectuel dont presque personne ne connaissait l’existence ». Il fut aussi une figure de l’histoire de l’État d’Israël, en prenant position sur tous les sujets touchant le pays, toujours attentif à ce que le sionisme ne sombre ni dans le nationalisme, ni dans le populisme, et préserva entre le rationalisme et l’orthodoxie un judaïsme de la liberté ouvert vers l’utopie.
Nathan de Gaza est l’auteur supposé de l’ouvrage anonyme, Hemdat Yamim, qui traite de la pratique des rites du judaïsme et de la prière. Cet ouvrage est organisé en trois parties, dont la seconde est suivie par un petit traité kabbalistique, Hadrat Ḳodesh, relatif à la Genèse. Cet ouvrage est complété par Ozar Nehmad. Il écrit aussi Peri ‘Ez Hadar, un recueil de prières de Tou Bichvat et Tikkun Keri’ah, un ouvrage sur les doctrines de Sabbataï Tsevi.
Ici j’ouvre deux petites parenthèse :
1. Deux mots sur Isaac Ashkenazi Louria. Il est né en 1534 à Jérusalem et mort en 1572 à Safed, est un rabbin et kabbaliste, considéré comme le penseur le plus profond du mysticisme juif parmi les plus grands et les plus célèbres, et le fondateur de l’école kabbalistique de Safed. Il fut même identifié par certains Sages comme étant le Machia’h ben Yossef, le Messie fils de Joseph. On le connaît aussi sous le nom de Ari, acronyme qui signifiait à l’origine « Elohi (divin) Rabbi Isaac » mais qui est aussi traduit par « Ashkenazi Rabbi Isaac » ou « Adoneinu Rabbeinu Isaac » (notre maître, notre rabbin Isaac). Rabbi Issac Louria est l’auteur des théories qui constituent la kabbale lourianique. Elle a été exposée par Rabbi Haïm Vital (1542-1620) et par Joseph Ibn Tabul (1545-1610), dans des ouvrages dont le plus connu est le Sefer Etz Hayyim (le Livre de l’Arbre de Vie).
2. Qu’est-ce que le tismtsoum ? Le tsimtsoum (contraction en hébreu) est un concept de la Kabbale qui traite d’un processus précédant la création du monde selon la tradition juive. Ce concept dérive des enseignements d’Isaac Louria, Ari zal de l’école kabbalistique de
, et peut se résumer comme étant le phénomène de contraction de Dieu dans le but de permettre l’existence d’une réalité extérieure à lui. « Qu’est-il arrivé avant le commencement des temps pour que commencement il y ait ? » Jusqu’à ce qu’Isaac Louria s’intéresse à cette question, le Dieu des religions n’avait d’intérêt qu’en tant qu’il se manifestait aux hommes. Le Dieu d’avant la création n’était ni un souci, ni un problème important, selon Charles Mopsik. « Comment Dieu créa-t-il le monde ? – Comme un homme qui se concentre et contracte sa respiration, de sorte que le plus petit peut contenir le plus grand. Il a ainsi concentré Sa lumière dans une main, à Sa mesure, et le monde fut laissé dans les ténèbres, et dans ces ténèbres il tailla les rochers et sculpta la pierre », explique Isaac Louria, qui conçoit ainsi la première manifestation de Dieu. Nahmanide, un kabbaliste du XIIIe siècle, imaginait un mouvement de contraction originelle, mais jusqu’à Louria, on n’avait jamais fait de cette idée un concept cosmologique fondamental, remarque Gershom Scholem : « La principale originalité de l’hypothèse lourianique tient au fait que le premier acte de la divinité transcendante — ce que les kabbalistes appellent le En Sof (l’Infini) — n’est pas « un acte de révélation et d’émanation, mais, au contraire, un acte de dissimulation et de restriction » ».
Après ces deux parenthèse, revenons à Nathan de Gaza, dont je citais, en peu avant, certains de ses ouvrages. Pour nombre de rabbins ces ouvrages, qui ont servi de base au sabbatéisme, sont contraires au judaïsme et sacrilèges. Développons. Le En Sof (la transcendance divine) comprenait deux aspects, le Jugement et la Miséricorde, selon Isaac Louria dans sa théorie du tsimtsoum. Nathan de Gaza postule que le tsimtsoum lourianique ne concerne que le monde céleste, et qu’au-delà de Jugement et de la Miséricorde, le En Sof comprend deux éléments fondateurs que Louria n’a pas entrevus : la lumière avec pensée et la lumière sans pensée. La « lumière avec pensée » rassemble en soi toute la puissance créatrice. Mais le En Sof comprend également des forces dont l’objectif est d’empêcher tout changement. Des forces « sans pensée », dans la mesure qu’elles tendent à rester ce qu’elles sont, sans le moindre mouvement créateur. La « lumière avec pensée », quand elle opère le tsimtsoum dont découle la création du monde, se confronte à la « lumière sans pensée ». Elle la refoule hors du monde céleste. Elle ne l’élimine pas. Le monde inférieur, le monde terrestre, reste dominé par la « lumière sans pensée ».
« Elle n’est pas mauvaise en elle-même, mais revêt cette apparence parce qu’elle est opposée à tout ce qui n’est le En Sof, et donc constituée de telle façon qu’elle détruit les structures produites par la lumière avec pensée ». La lumière sans pensée élabore ses propres structures : ce sont « les mondes démoniaques des kelippot dont la seule vocation est de détruire ce que la lumière avec pensée a façonné ».
Pour que la création du monde s’accomplisse entièrement, il faut donc, selon Nathan, que le Messie surgisse dans le monde inférieur afin d’opérer le second tsimtsoum qui, du bas vers le haut, neutralisera l’action destructrice de la lumière sans pensée. Le Messie représente quelque chose d’absolument nouveau, il détient une autorité qui n’est soumise à aucune loi humaine, pas même à la loi issue de la Torah, pour Nathan. Le Messie agit selon sa propre loi. Il ne peut donc être jugé d’après les concepts courants du bien et du mal.
Au-delà du messianisme, la kabbale sabbatéenne affirme que « toute âme est constituée par les deux lumières », et que la lutte qu’elles se livrent « se répète encore et toujours en chaque âme ». « Cette doctrine, observe Scholem, permit à Nathan de justifier chacune des « actions étranges » du Messie (Sabbataï Tsevi) », y compris sa conversion à l’islam. Au respect des mitzvot et à l’accomplissement des œuvres de charité, si important dans la kabbale lourianique, Nathan substitue la foi dans le Messie. Ce n’est plus aux hommes que revient la tâche de « réparer » le monde, mais au Messie.
Cette doctrine constitue l’axe directeur du mouvement sabbatéen qui gagne l’ensemble de la diaspora juive en 1666. Le mouvement perd son ampleur quand la nouvelle de la conversion du Messie à l’islam se répand parmi les Juifs. Toutefois, même après la mort de Sabbataï Tsevi en 1676, le sabbatéisme maintiendra dans les Balkans d’importantes communautés de fidèles. La doctrine de Nathan de Gaza a également eu beaucoup d’influence en Pologne, où un néosabbatéisme connaît une résurgence au XVIIIe siècle, sous l’égide de Jacob Frank qui se dira réincarnation de Sabbataï Tsevi. La kabbale sabbatéenne conçue par Nathan constitue « un système théosophique, luxuriant et paradoxal, à forte tendance apocalyptique et antinomiste », note Charles Mopsik, qui souligne que les écrits de Nathan de Gaza ont exercé, je cite : « une influence plus ou moins marquée sur un grand nombre de kabbalistes, qui, même s’ils ne partageaient pas toutes leurs conceptions, n’étaient pas insensibles à leur caractère grandiose et à la ferveur qui les animait. »
Bref, pour revenir à la conversion surprise de Sabbataï Tsevi à l’islam. Donc, trois quart des fidèles désertent le mouvement, mais un tout petit groupe persiste et se dit :
- Avons-nous cru en lui ? Oui, nous y avons cru, très bien, l’année dernière, même jusqu’au mois dernier nous y avons cru. Nous avons cru qu’il est le dernier messie, qu’il allait nous sauver, que la fin des temps est proche etc. Et donc si nous sommes aussi certain qu’il est le messie, qui sommes-nous pour contredire la dernière décision du messie de devenir musulman ? Le juger n’est pas de notre ressort s’il est le messie. C’est quelque chose qui nous dépasse et donc il y a clairement un plan divin. À partir de là, ils se disent qu’il faut exécuter ce que demande le messie, bref, on peut se dire que plutôt que de vivre dans la déception, une petite minorité, un groupuscule a décidé de continuer à suivre Sabbataï Tsevi ; ce groupe sectaire s’est perpétué, bien que divisé en plusieurs groupes, ce courant s’est maintenu dans le temps, a survécu jusqu’aujourd’hui.
Reprenons. En 1666 Sabbataï se convertit à l’islam et vit en tant que musulman jusqu’en 1676, enfin en tant que musulman, disons plutôt qu’il développe sa propre théologie au sein de l’islam, théologie qui comprend la kabbale, le soufisme, le judaïsme et même des éléments du christianisme. Il s’installe dans la ville de Thessalonique et sa communauté le suit. Vers la fin de sa vie, il se fait à nouveau arrêter parce qu’il est vu avec une Torah dans une main et un Coran dans l’autre, au milieu d’une assemblée mixte, dansant et buvant de l’alcool.
Alors que les historiens et chercheurs se fixent en général sur Sabbataï Tsevi, Nathan de Gaza ou ce qui en découle un siècle plus tard, Jacob Franck, je vous propose de faire un petit zoom sur Vanî Mehmed Efendi qui en vaut le détour, non seulement parce qu’il est d’une importance cruciale, mais surtout, parce qu’il est celui qui a converti Sabbataï Tsevi à l’islam. On ne connaît pas sa date de naissance mais nous savons qu’il est né à Van, au sud-est de la Turquie actuelle, qu’il est d’origine kurde. Il entame ses études de théologie islamique à Van, puis, enfant, il continue son éducation à Tabriz – Iran actuel, et enfin fait un passage par le Karabagh où il s’établi dix ans pour emménager à Erzurum – Turquie actuelle, et y vit jusqu’à son départ pour Istanbul. À Erzurum il exerce l’activité de prédicateur, par ailleurs apprécié par les autorités locales qui lui font savoir en 1659, notamment par le gouverneur de sa province, qui par la suite va grader et se retrouver à la capitale de l’empire, à Istanbul, où il va inviter Vanî Mehmed Efendi qui fera la connaissance du Sultan de l’époque Mehmed IV, qui l’appréciera également et lui fera des faveurs. Lors du deuxième siège de Vienne, en 1683, il est rapporté que Vanî Efendi a brillamment motivé les troupes. La défaite et le retour des troupes à suscité une certaine gêne populaire puisque de base, l’opinion populaire était qu’il était inutile de refaire un siège à Vienne… Vanî Mehmet Efendi étant l’un des instigateurs de cette action militaire, malgré le fait qu’il soit apprécié par le sultan Mehmed IV, celui-ci est contraint de l’envoyer à Bursa en exil, pour calmer l’opinion publique. Cet événement va le marquer profondément et il va mourir peu de temps plus tard en 1685.
Disqualifié par la défaite de ses armées devant Vienne en 1683, Mehmed IV n’avait guère retenu l’intérêt des historiens. La période de crise que traverse l’empire au XVIIe siècle forme la toile de fond des entreprises religieuses du souverain. La déstabilisation sociale et économique ainsi que les luttes de factions dans l’entourage des sultans ont favorisé l’ascension des Qâdîzâdeli, courant rigoriste apparu à la fin du siècle précédent avec le prédicateur Birgivi Mehmed Efendi. L’impulsion est donnée par l’adhésion de l’entourage du Mehmed IV (sa mère Hatice Turhan Sultan, son grand vizir Fazıl Ahmed Pacha) à la piété rigoriste promue par les Qâdîzâdeli, dont les prédicateurs militent en faveur d’un islam purifié. Vani Mehmed Efendi, leader du mouvement, devient le conseiller spirituel du sultan, lequel reprend à son compte l’une des prérogatives majeures du pouvoir en islam, « enjoindre le bien et interdire le mal » (Michael Cook, Forbidding Wrong in Islam, Cambridge, Cambridge University Press, 2003). Le mal est représenté par les ordres soufis, accusés d’innovations blâmables et frappés de mesures répressives, mais aussi par les instruments de musique ou les tavernes, ce qui pénalise les chrétiens.
Rappelons qu’en 1660, la capitale impériale est ravagée par un grand incendie. Hatice Turhan, profitant des destructions du feu, reprend le chantier d’une mosquée dans le quartier portuaire d’Eminönü – chantier commencé en 1597 par la mère de Mehmed III et abandonné peu après. À cette fin, la Sultane-mère fait expulser du quartier les juifs qui y résidaient. La Mosquée neuve (Yeni Cami) ou mosquée de la Sultane-mère (Valide Sultan Cami), dans le quartier d’Eminönü, inaugurée en 1665, est le résultat de ces travaux.
Ici, il faut établir un lien entre cette mesure d’expulsion, l’expropriation dont sont victimes plusieurs communautés juives de la capitale après la destruction de leurs synagogues durant l’incendie, et une deuxième vague d’expropriations qui touche les chrétiens : l’incendie ayant détruit plus de la moitié des églises d’Istanbul, une douzaine d’entre elles sont confisquées avec l’assentiment du tribunal de la charia. Ici et là, les habitants musulmans s’efforcent d’évincer juifs et chrétiens de leur voisinage, avec l’autorisation expresse du sheikhulislam, le haut dignitaire religieux qui assiste le sultan dans ses décisions. Il faut voir dans ces éléments convergents une volonté cohérente d’islamisation d’Istanbul et un changement d’attitude des musulmans ottomans à l’égard des juifs et des chrétiens. Cette entreprise s’accorde aussi avec un raidissement sur les valeurs islamiques, qui coïncide avec l’affaire Sabbataï Tsevi, le messie auto-proclamé. Arrivé à Istanbul en 1666 après avoir nourri ses partisans d’espérances politiques, Sabbataï Tsevi est placé devant l’alternative de la conversion à l’islam ou de l’exécution capitale. Ayant choisi la première option, il devient un « agent de conversion » de l’islam rigoriste.
Éloignons-nous de la cour ottomane et observons le lien entre conquête et conversion religieuse. Mehmed IV séjourne la plupart du temps à Edirne, infatigable chasseur, fervent guerrier et combattant de la foi – imitateur en cela du Prophète de l’islam. La volonté d’expansion de l’islam qui anime le sultan s’exprime par des campagnes militaires (contre les Vénitiens, les Polonais, les Russes) qui s’accompagnent de la transformation assez systématique des églises en mosquées, tant en Crète qu’en Europe centrale, et de la conversion des vaincus ayant échappé au massacre ou à l’asservissement. Les déplacements du sultan, qu’il s’agisse de ses grandes expéditions de chasse ou de ses campagnes militaires, sont autant d’occasions de convertir des centaines d’hommes et de femmes rencontrés en route. L’ampleur de l’entreprise se lit dans les registres consignant les dons de robes que le sultan accordait aux convertis, en majorité de jeunes hommes chrétiens. Le statut du « nouveau musulman », codifié en 1676, fixe les étapes de la procédure de conversion volontaire.
La défaite de l’armée ottomane devant Vienne marque la fin des ambitions guerrières du sultan Mehmed IV. Inspirateur de la campagne de conquête, Vani Mehmed Efendi est envoyé en exil. Les soufis Mevlevis regagnent en influence. Discrédité par l’échec, le sultan est écarté au profit de son jeune frère Suleyman, et sa réputation de ghazi tombe dans l’oubli.
Celui qui est considéré, comme le tout premier nationaliste turc, par les fondateurs de la République de Turquie, est Vanî Mehmed Efendi; c’est-à-dire celui qui a converti Sabbataï Tsevi à l’islam… et qui lui aurait enseigné l’Islam version express. On se demande finalement si ce n’est pas Sabbataï Tsevi qui aurait enseigné la Kabbale à Vanî Mehmed Efendi… Question que se posent de nombreux historiens. Il y a malgré tout consensus sur un point : il y a eu, indéniablement, entre les deux individus, des échanges ; et ces échanges les ont tous les deux « enrichis ».
Il faut préciser que pour Vanî Mehmed Efendi, « les turcs ont été choisis à la place des arabes par Allah lui-même ». Rien qu’ici, on se demande si finalement ce n’est pas Sabbataï Tsevi qui a converti le pauvre Vanî Efendi au national-sionisme avant l’heure.
Si Vanî Efendi est considéré comme « le premier prototype nationaliste turc », il faut tout de même rappeler que Sabbataï Tsevi est considéré comme « le premier prototype sioniste », et qu’il est certain que chacun d’eux a été maître ou élève de chacun d’eux, à tour de rôle, durant leur échange.
J’ai eu du mal a trouver des informations fiables sur Vanî Efendi. En général, comme il vient du mouvement rigoriste des Qadizade, il nous est présenté comme anti-soufi, anti-mystique, mais, c’est quelqu’un de millénariste version islam, il croit à la fin des temps, il a même des côtés mystique et messianique – plutôt prononcés. Il est nécessaire de relever que les monothéismes sont de facto messianique et que pour les trois monothéismes nous nous dirigeons vers l’apocalypse, la fin des temps etc. Dans les années 1600, ces idées millénaristes sont très courantes, c’est une période où il y a des prophéties publiées par dizaine et dizaine en Europe, à Londres, un peu partout, on est comme dans une hystérie générale à en croire les historiens qui décrivent cette période trouble, qui est aussi ponctuée par de graves incendies, des bibliothèques qui brûlent etc, et qui sont perçus par les prédicateurs comme autant de signes avant-coureurs de la fin des temps – on voit cela chez nombre de chrétiens, notamment les protestants, mais bien sûr, et aussi, chez les juifs… mais aussi et surtout, de plus en plus chez les musulmans aussi, notamment, le siège de Vienne sous Mehmed IV est un marqueur fort puisqu’il nous montre que le Sultan aussi est imbriqué dans ces interprétations messianiques qui excitent un peu tout le monde à cette époque. Pour faire simple, tout le monde était messianiste au XVIIème siècle, à tel point que même le sultan se lance dans des conquêtes complètement inutiles qui l’obligent d’ailleurs à se justifier auprès de tout son entourage.
Pour revenir sur celui qui a converti Sabbataï en musulman, il est en lien direct avec Sabbataï Tsevi puisque celui-ci, une fois converti à l’islam va vivre quelques temps dans la cours du sultan afin que Vanî Mehmed Efendi le forme à l’islam, lui enseigne l’islam. À partir de là, Sabbataï va devenir Aziz Mehmed Efendi, va s’habiller différemment, va porter le Fès, utiliser le tasbih (chapelet musulman). Avec son nouveau nom, le dénominateur commun devient Muhammed, le prophète même de l’Islam:
Aziz Mehmed Efendi
Vanî Mehmed Efendi
Sultan Mehmet IV
Et petite apostrophe :
Ehemet qui veut dire vérité en hébreu
Efendi indique le titre honorifique qui montre l’importance du personnage qu’est Sabbataï Tsevi, tandis qu’Aziz veut dire « saint », manière de valider son côté mystique.
Maintenant, ce qu’il faut relever, c’est que le sultan pense qu’en convertissant Sabbataï ils pourront l’utiliser en tant que missionnaire pour convertir des juifs en musulmans et par effet de ricochet des chrétiens en musulmans. On peut se demander pourquoi Vanî Efendi considère que les juifs et les turcs ont les mêmes ancêtres. C’est ce qu’il pense, que juifs et turcs viennent du même groupe. Est-ce que cette thèse serait-elle inspirée de Sabbataï Tsevi ? Il n’y a pas assez d’études pour le moment afin d’établir ceci. Par contre, pour résumer, nous pouvons dire avec certitude que Vanî Efendi a voulu convertir le plus possible, parce qu’il était convaincu, par les idées millénaristes d’une part, mais aussi parce qu’il pense que les turcs auront un rôle dans l’arrivée de cette fin du monde, apocalypse, fin des temps. Il est même très cohérent qu’il ait pensé ansi, parce qu’à cette époque, au 17ème, l’empire ottoman est un empire mondial. Et en tant que représentant de la superpuissance du monde, pour appuyer son point de vue, il va chercher dans un verset du Coran qui dit que, si vous ne vous battez pas, Dieu vous remplacera par une autre tribu. Il prétend que ce verset concerne les arabes qui n’ont pas voulu se battre contre Bysance – les chrétiens, et par la suite ce sont les turcs qui l’ont réalisé, qui se sont battu contre les chrétiens, notamment la prise de Constantinople, 1453, un siècle avant. Bref, ce peuple qui n’est pas allé se battre s’est fait remplacer par un autre peuple : les turcs !
À partir de là il développe une autre thèse qui puise de nouveau dans le Coran, il parle de Dhû-l-Qarnayn, personnage à cornes mentionné dans la 18e sourate Al-Kahf (La Caverne), personnage qui est confronté à Gog et Magog, bref, il défend la thèse que ce personnage bi-cornu est Oguz Khan, qui est l’ancêtre des turcs dans la mythologie turque et altaï, personnage emblématique qui porte une couronne à cornes ! Il ne s’arrête pas là, il remonte avec des hadiths à des généalogies qui lui font dire que les turcs sont le peuple qui s’est mélangé aux juifs originels. Je ne vais pas développer beaucoup plus, ce sera le sujet d’un autre texte.
Peut-être, afin de donner un avant-goût du prochain opus de cette série de textes, je me dois de vous renvoyer aux dernières années de l’empire ottoman, notamment sur le fait que tel ou tel acteur de cette époque n’est pas inconnu ou secrètement « sabbatéen » si je puis dire, c’est-à-dire que tout le monde connaît tout le monde et autant il y a d’acteurs de la révolution progressiste turque d’origine sabbatéenne, autant vous avez d’acteurs ouvertement juifs, et des arméniens, des kurdes etc. C’est-à-dire qu’être sabbatéen ne constitue pas quelque chose d’ultra-spécial, d’exceptionnel en soi, c’est simplement le signe d’une appartenance familiale à une communauté restreinte, relativement influente, mais surtout très riche et ayant des liens avec les acteurs occidentaux de tout bord. C’est-à-dire que le Dönme est un représentant du cosmopolitisme moderniste occidental de cette époque. Si nous étudions un peu les théories conspirationistes turques, des chercheurs se disant indépendants aux chercheurs ou penseurs, intellectuels de l’islam politique et de la gauche turque, le dénominateur commun est qu’il y a une communauté sabbatéenne divisée en trois grands groupes, formés au lendemain de la mort de Sabbataï – groupes issus de guerres de clans sur qui est l’héritier légitime du Messie… bref, les Karakash, les Kapan et les Yacoubis – et à partir de là, les avis divergent, mais pour reprendre le consensus conspirationniste ; ces trois groupes se font la guerre, sont en concurrence, ainsi, c’est la raison pour laquelle on pourrait expliquer un évènement connu du début de la république de Turquie, à savoir : le cas Mehmet Cavit Bey (1875-1926), personnalité politique turque, ottoman sabbatéen ou dönme, économiste et ministre des Finances de l’Empire Ottoman, rédacteur en chef et homme politique de premier plan pendant la période de déclin et chute de l’Empire ottoman. Membre du Comité de l’Union et du progrès, il faisait partie des Jeunes-Turcs et occupa des postes au gouvernement après le rétablissement de la Constitution. Mehmet Cavit Bey est un descendant direct de Baruchya Russo (1677-1720), successeur de Sabbataï Tsevi. Il fut membre de la franc-maçonnerie. Il a été initié dans la loge Makedonya dirildi ou Macedonia risorta d’Istanbul sous juridiction du Grand Orient d’Italie pour devenir par la suite, de 1916 à 1918, Grand Maître de la Grande Loge de Turquie. Il est aussi connu pour être le leader du groupe Karakashi.
Dans les années 1920, alors que Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie, cumulait de plus en plus tous les pouvoirs, une partie des républicains dont Mehmet Nâzım commencèrent à prendre leurs distances avec lui, et Atatürk répliqua en les accusant de trahison. En 1926, Mehmet Nâzım, Mehmet Cavit et plusieurs autres furent exécutés par pendaison pour leur participation présumée à une tentative d’assassinat contre Atatürk à Izmir. Donc, Mehmet Cavit pendu, mais aussi Mehmet Nazim que je viens de citer, qui est également du même clan des Karakash, que l’on nommait Docteur Nazim. La thèse est donc que ces deux Karakashi, Cavit Bey et Nazim Bey, sont exécutés parmi d’autres par le groupe Kapani.
Toujours dans cette idée conspirationniste, nous pouvons citer l’ancien premier ministre Adnan Menderes, pendu à la suite du coup d’État militaire de 1960, sur les ordres de la junte au pouvoir. Ici aussi, le scénario est le même : Adnan Menderes serait issu du groupe Karakashi et aurait été pendu par la junte militaire sous contrôle des Kapani.
Mais il y a mieux. L’enseignant d’école primaire de Mustafa Kemal Atatürk (donc fondateur de la République de Turquie – tout de même) était Şemsi Efendi (1851/1852 – 1917), professeur et éducateur ottoman, qui dispensait un enseignement basé sur la méthode Usul-i cedid (nouvelle méthode) dans l’école privée qu’il fonda à Thessalonique au XIXe siècle, ainsi que dans d’autres écoles privées ouvertes à la même époque. L’école qu’il a fondée est considérée comme la pionnière de l’école Terakki et de l’école Fevziye, qui continuent l’enseignement à Istanbul. Et enfin, pour terminer, même si, concernant la généalogie, il y a débat, il se trouve que de son vivant, par sa communauté religieuse, il était considéré comme descendant direct de la lignée de Sabbataï Tsevi. Quoi qu’il en soit, je viens de vous donner un aperçu de la prochaine partie.
Bibliographie
Gershom Scholem, Sabbataï Tsevi, Le Messie mystique (1626-1676), édition Verdier poche, 2008
Gershom Scholem, La kabbale, édition Gallimard (Folio essais), 2003
Yalçın Küçük, Şebeke – Network, YGS yayınları, 2002
Yalçın Küçük, Tekelistan, İthaki yayınları, 2005
Soner Yalçın, Efendi, Beyaz türklerin büyük sırrı, Doğan kitap, 2004
Doğan Gürpınar, Komplolar kitabi, Türkiye’de komplo teorisi endüstrisi, Telemak kitap, 2022
Cengiz Sisman, The Burden of Silence: Sabbatai Sevi and the Evolution of the Ottoman-Turkish Dönmes, Oxford University Press, 2017
Marc David Baer, Selanikli Dönmeler, Yahudilikten dönenler, Müslüman devrimciler ve seküler Türkler, Doğan kitap, 2016
Le judaïsme originel (celui de Moïse) a été falsifié par les prêtres lévites puis leurs héritiers pharisiens avec l’aide des scribes (le fameux « Menteurs, hypocrites… » de Jésus à propos des pharisiens et des scribes)…
A propos de la soudaine conversion des tribus khazares au judaïsme : le plus raisonnable est de penser qu’elle a été menée par les sayanims de l’époque en réponse à l’émergence de l’Islam…
L’éloquence (comme la rhétorique), a l’avantage d’en mettre plein la vue mais elle a un grand défaut celui de faire perdre le fil du bon sens et de la simplicité (elle s’adresse à l’oreille et non au cerveau)…
En résumé : le macronisme actuel!
« Du messie auto-proclamé Sabbataï Tsevi à la fondation de la Turquie moderne »
Avant Sabbataï Tsevi est Bar-Kokhba…
Quasar : Astre d’apparence stellaire et de très grande luminosité, dont le spectre présente un fort décalage vers le rouge.
Chez les Esséniens on enseignait un dualisme strict qui divise le monde et les hommes en deux camps : celui de la Lumière, du Bien et de la Vérité (celui de « Dieu »), et celui des Ténèbres, du Mal et du Mensonge (celui de Bélial).
Aussi, il ne faut pas confondre les Juifs et les Israélites, comme sans doute le faisaient les Romains, et comme le font encore presque tous les historiens modernes. Les Sémites formaient deux partis en lutte. Les Israélites restèrent toujours séparés du monde juif, qui représentait pour eux l’usurpation du pouvoir religieux ; ils gardaient fidèlement leurs principes théogoniques et leur grande loi morale.
La confusion qui s’établit entre les Juifs et les Israélites commence au premier siècle de notre ère. Les Juifs, qui sont partout méprisés, se font appeler « fils d’Israël », croyant par cette supercherie reconquérir l’estime perdue. Aussi, ce sont eux que Voltaire prend à parti lorsqu’il écrit : « Les juifs ne sont qu’un peuple ignorant et barbare qui allie depuis longtemps la plus répugnante avarice et la plus abominable superstition à une haine inextinguible pour tous les peuples qui les tolèrent et grâce auxquels ils s’enrichissent. »
Au commencement du premier Christianisme, ce sont eux que l’on considère comme des pharisiens hypocrites, des « Hommes sans Thorah », des « Sépulcres blanchis » qui imposent aux autres des devoirs qu’ils ne remplissent pas eux-mêmes et créent dans la société une aristocratie factice basée sur les privilèges qu’ils se donnent. D’un « royaume divisé contre lui-même », ils forment des sectes qui se détestent et se méprisent entre elles autant qu’elles détestent et qu’elles méprisent le genre humain. À la médiocrité, ces fanatiques ajoutent la violence. Après avoir fait eux-mêmes une « nouvelle Loi », on verra surgir des zélotes (zélateurs de la Loi) qui, armés du fer sacré, tueront pour la moindre infraction aux prescriptions dites « mosaïques ». Derrière eux viendront les Sicaires (en latin « sicarii », les hommes à couteaux) qui feront couler des flots de sang. Cette nouvelle Loi (la Loi de l’homme qui est destinée à remplacer celle de la Femme) est surtout exprimée dans le Talmud et le Deutéronome (rappelons que le mot Deutéronome veut dire « deuxième Loi »).
Le Judaïsme a remplacé l’Israélisme qui avait joui d’une extraordinaire faveur à cause de sa haute morale et de la simplicité grandiose de son dogme, résumés dans ces deux mots : la Femme ; le Bien.
Tout cela est remplacé par le Talmud qui discrédite la race juive.
« Mille ans avant la naissance de l’actuel État d’Israël, un Royaume juif existait sur les marches orientales de l’Europe, à cheval sur les plaines baignées par le Don et la Volga …»
Ainsi commence le célèbre ouvrage de l’auteur juif américain Kevin Alan Brook : « The Jews of Khazaria ».
« L’histoire semi fictive des Khazars a fait d’autant plus phantasmer de nombreux auteurs, et les documents historiques réels concernant cette nation indo-turquo-slave sont si minces, que durant des siècles l’immense royaume sis entre les bassins de la Volga, du Don, du Dniepr jusqu’à la mer d’Aral, la mer Caspienne et au Caucase avait quasiment disparu de la mémoire des hommes. », écrit Aline de Diéguez dans son ouvrage « Aux sources du chaos mondial actuel »
Composé de plus de vingt groupes ethniques ou « nations » (tribus), la puissance de l’empire Khazar couvrait une surface immense. Elle a rayonné pendant un demi millénaire (entre le VIe et le XIe siècle) sur les régions qui correspondent aujourd’hui à l’Europe de l’Est et aux marches de l’Asie.
L’histoire des Khazars est demeurée à peu près inconnue jusqu’au début du VIIe siècle. On sait seulement qu’ils faisaient partie de l’empire Turc et qu’ils conquirent leur indépendance après que des guerres intestines eurent provoqué l’éclatement de cet empire.
Bien que païens et pratiquant un mélange de chamanisme et de culte idolâtre et phallique qui donnaient lieu à des scènes d’orgie sexuelle, ainsi qu’à des sacrifices humains, les célèbres et redoutés guerriers Khazars, furent à plusieurs reprises des alliés de Byzance lorsque les Perses Sassanides tentèrent de s’approprier les richesses de la capitale de l’empire Romain d’Orient ; ils furent de nouveau les alliés de Byzance après la mort du prophète Mohammed, lorsque l’Islam guerrier voulut imposer son message au monde entier. C’est ainsi que les Khazars bloquèrent son expansion en direction du Caucase et jouèrent à l’Est le rôle de Charles Martel (715-743) à l’Ouest. Notons en passant que Charlemagne (742-814), qui était le petit-fils de ce grossier barbare qu’était Charles Martel, répondit au roi des Sarrasins d’Espagne, qui lui reprochait de venir enlever une terre sur laquelle il n’avait aucun droit : « Les Chrétiens sont élus sur tous les autres gens ; ils ont, par Jésus-Christ, la Seigneurie du monde entier. » C’était une façon de copier l’antique idée d’un « peuple choisi », si longtemps proclamée par les Hébreux (sachez que l’Ancien Testament, sur lequel le Nouveau s’appuie, est un livre altéré, un livre destiné à cacher quelque chose. Si on ne sait pas qu’il y a déjà dans les anciennes Écritures quelque chose que l’on cache, on ne peut pas comprendre les nouveaux Évangiles, puisque c’est le même mensonge qui continue).
Le débarquement des Khazars dans l’histoire contemporaine a pour origine lointaine la conversion de ce royaume au judaïsme vers l’an 740. Le récit des circonstances de cette conversion décidée par le roi Khazar de l’époque (Bulan) est décrit avec précision dans le roman historique passionnant, « La treizième tribu » d’Arthur Koestler (publié en 1976), qui repose néanmoins sur des données scientifiques très solides et reconnues comme telles. Également, l’ouvrage de Kevin Alan Brook « The Jews of Khazaria », sorti en 1999 est une somme qui constitue avec celui de Douglas M. Dunlop, « The History of the Jewish Khazars » (1954) l’ensemble le plus fiable et le plus objectif de la multitude de travaux, dans toutes les langues de la terre, que le mystérieux royaume Khazar a inspiré depuis un siècle à une armée d’universitaires. On peut y ajouter la traduction de l’ancien « The Kuzari : In Defense of the Despised Faith » (1140) par Yehuda Halevi et une recherche plus récente « L’Empire Khazar VIIe-XIe siècle » (2005) par le duo Jacques Piatigorsky et Jacques Sapir.
La réforme religieuse du roi Bulan semble avoir été effectuée en plusieurs étapes et fut, comme il se doit dans ce genre d’action politico-théologique, enveloppée d’évènements miraculeux destinés à en sceller l’authenticité. Ainsi, après qu’il eut décidé de renoncer à l’idolâtrie, de chasser les sorciers, d’interdire les orgies sexuelles et les meurtres rituels, c’est l’apparition d’un ange qui aurait révélé le « vrai Dieu », c’est-à-dire un Dieu universel, au roi réformateur. Mais comment choisir la meilleure manière d’honorer ce « Dieu » universel, alors que deux grands empires monothéistes étaient installés à ses frontières, à savoir, Byzance et Bagdad et que des communautés très actives et se réclamant d’un troisième monothéisme se trouvaient à l’intérieur ou aux marches du royaume Khazar ?
C’est là qu’est censée avoir eu lieu la fameuse joute entre les représentants des trois monothéismes : un représentant du Christianisme de Byzance, un représentant de l’Islam et un représentant du Judaïsme talmudique. La cérémonie se serait terminée par le choix du « Dieu de la Thorah », le rabbin ayant remporté la victoire sur ses deux compétiteurs au nom de l’ancienneté de son Dieu.
Dans son ouvrage capital « Deux siècles ensemble (1795-1995), Juifs et Russes avant la Révolution », Alexandre Soljenitsyne écrit : « Les chefs ethniques des Turco-Khazars idolâtres de cette époque ne voulaient ni de l’Islam pour n’avoir pas à se soumettre au khalife de Bagdad, ni du Christianisme pour éviter la tutelle de Byzance. Ainsi, près de sept cent vingt-deux tribus adoptèrent la religion juive. ».
Soljenitsyne explique l’influence du Judaïsme sur les Khazars à partir des échanges qui avaient lieu entre les deux populations depuis des décennies. Bien avant la fameuse conversion, des colonies dites juives, en fait judéennes, car ni le mot, ni la notion que ce terme recouvre n’existaient à l’époque, ces colonies majoritairement originaires de la province de Judée s’étaient implantées dans les plaines du Don et de la Volga à partir de la Crimée. En effet, c’est dans cette petite péninsule que l’empereur romain Hadrien avait fait déporter les prisonniers juifs en 137, après avoir réduit la révolte de Bar-Kokhba.
Mais tout en restant en relations avec le centre religieux de la Judée, de nombreux Judéens à la recherche d’un avenir plus prospère, avaient essaimé dans tout le bassin de la Méditerranée depuis des décennies, et cela bien avant la destruction du Temple. C’est ainsi qu’une communauté des adorateurs du Dieu « Iahvé » était implantée depuis la plus haute antiquité sur les bords de la Mer Noire et dans le Caucase, où ils avaient précédé les déportés d’Hadrien.
Soljenitsyne ne se trompe pas lorsqu’il dit que « ni le mot, ni la notion que ce terme recouvre n’existaient à l’époque » car rappelons que c’est après la mort de Salomon (975 ans avant notre ère) que le peuple d’Israël se divisa en deux Royaumes. C’est ce qu’on appelle « le schisme de Juda ». Le pouvoir ainsi divisé amena la division de toutes les institutions qui régissent la vie morale. C’est à partir de ce moment que la tribu de Juda prend de l’importance et que le nom qu’elle se donne, « Iehoudim » ou « Yehudim », figure dans l’histoire. Dans le « Livre des Rois » (datant probablement du Vème ou VIème avant notre ère), on trouve ce nom pour la première fois pour désigner les révoltés de Juda. Aussi, le nom « Juda » laissera dans l’histoire un nom synonyme de trahison. C’est de ce nom qu’on fera « Judæi », et de « Judæus », qui signifie « de la Judée », on fera, plus tard, « Juif ». C’est pourquoi le Coran utilise deux expressions différentes pour désigner les juifs : soit « fils d’Israël » (banû Isrâ’îl) quand il s’agit des authentiques dépositaires de la tradition hébraïque, soit proprement « juifs » (yahûd) quand il s’agit des représentants de ses formes déviées.
Au sujet du personnage de « Bar-Kokhba », précisons ceci : Au début du IIème siècle de notre ère, au milieu des malheurs que les Israélites (et non les Juifs) subissaient, un Rabbi nommé Akiba parcourut la Mésopotamie en annonçant que le Messie était apparu dans la personne d’un vaillant guerrier, « Bar-Kokhba ». Le Rabbi se faisait passer pour le Messie et prétendait justifier ces mots du prophète Balaam : « Il sortira une étoile de Jacob et un sceptre s’élèvera d’Israël ». D’où le nom de « Bar-Kokhba » qui, en langue syriaque, signifie « le Fils de l’Étoile ». Tous les Rabbins ne partagaient pas sa foi et son enthousiasme, car l’un d’eux disait : « L’herbe poussera sur tes mâchoires avant que le Messie paraisse ». On ne croyait donc pas à cette époque qu’un Messie avait vécu et était mort pour le genre humain en Judée, puisqu’on continuait à exploiter cette idée et à proposer des Messies à la crédulité publique. Mais Akiba était tenace. Il revint en Palestine et proclama « Bar-Kokhba » le Messie. Les Romains s’emparèrent de lui. Vers 132, tous les Juifs se soulevèrent avec Bar-kokhba ; quatre ou cinq cent mille combattants se rangèrent sous son étendard ; Jérusalem fut reprise, ainsi que d’autres villes et des places fortes. Hadrien envoya en Palestine son meilleur capitaine, Julius Severus, qui parvint à reprendre l’une après l’autre les villes perdues et à détruire de nouveau Jérusalem. « Bar-Kokhba » succomba un an après (135). On l’appela dès lors « Bar-Kokhba, le Fils des mensonges ».
Cette escroquerie messianique réapparaîtra plus tard avec, entre autres, Sabbataï Tsevi (1626-1676) et Jacob Frank (1726-1779), pour ne citer que les plus connus.
La conversion des Khazars au culte du Dieu « Iahvé » n’est donc pas un phénomène miraculeux ou lié à un évènement unique et parfaitement anecdotique. Elle est la résultante politico-religieuse d’un long processus dans lequel l’action les échanges commerciaux et un prosélytisme quotidien exercé par les responsables religieux ont joué un rôle déterminant. Avec le temps, les mélanges de populations se firent donc tout naturellement.
Il est néanmoins vraisemblable que les conversions, même si elles ne se limitèrent pas à l’immédiat entourage du roi et de sa cour, ne concernèrent pas la totalité de la population de ce vaste royaume composite. De nombreuses tribus, notamment celles qui occupaient les territoires les plus éloignés du centre du pouvoir, conservèrent leurs cultes anciens. Le royaume Khazar était tolérant. On sait que certains groupes s’étaient également convertis au Christianisme et d’autres à l’Islam. Il est donc abusif de clamer aujourd’hui que tous les Khazars étaient judaïsants.
Après deux siècles de prospérité le royaume Khazar officiellement juif (au sens que ce mot a aujourd’hui) finit par dépérir à la suite de multiples affrontements avec des tribus Vikings, Arabes ou Varègues qui se déplaçaient le long des grands fleuves et de nombreuses autres tribus guerrières de la steppe. Il subsista encore quelques décennies entre 933 et 969, mais il est établi que l’empire des plaines n’existait plus au début du XIe siècle
Les redoutables pillards « Rhuss » se convertiront au Christianisme byzantin, dit orthodoxe, par opposition au Christianisme Romain. Ils donneront naissance à une nouvelle nation, la « Rhuss de Kiev » (La « Rhuss de Kiev » est à la fois aux origines de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine actuels, autrement dit de l’ensemble du monde russe), soutenue par l’empire Romain d’Orient et berceau de la Russie moderne.
Profitons-en pour rappeler que la ville de Kiev, dont le nom est Turc (de « KUI », la rive et « EV », l’emplacement), fut, dit-on, créée par les Khazars.
Quant aux juifs anciens ou plus récents qui vivaient dans l’empire Khazar, et qui étaient donc ethniquement et génétiquement composés de peuples d’origines très diverses, ils disparurent certes en tant que nation, mais une population de centaines de milliers d’individu existait toujours. Elle finit par se répandre par familles, par groupes, par tribus dans l’ensemble des États de la région ou par se fondre dans la nouvelle entité politique née de la victoire des princes Rhuss sur la Khazarie.
Malgré toutes les tentatives au cours des siècles de lier la « judéité » à la génétique, l’actuelle population subsumée sous le terme de « peuple juif » est donc le fruit d’un mélange de populations Syrienne, Égyptienne, Philistine, Phénicienne, Arabe, Berbère, Italienne, Grecque, Thrace, Espagnole, Slave, Germanique, Balte, Scandinave et de bien d’autres populations encore, des Turcs, des Caucasiens, des Khazars, des Chinois, des Indiens, des Africains.
Quand on sait que l’empire Khazar était déjà lui-même un ensemble composite de vingt-cinq « nations » (tribus), on ne peut qu’être rêveur devant la recherche pathétique d’une « pureté raciale » qui n’a jamais existé. Quant à la présence de « gènes juifs », elle continue à être revendiquée officiellement dans le but politique de justifier la colonisation de la Palestine par « droit d’héritage ».
La population regroupée dans la partie de la Palestine réservée au « peuple élu » est donc, comme celle de la quasi-totalité des Etats de la planète, et même plus que d’autres en raison tantôt de l’errance imposée, tantôt de l’émigration choisie par les communautés de convertis, cette population est donc la résultante d’un brassage génétique de pratiquement tous les peuples de la planète.
En revanche, il existe bien, dans cette population, une unité psychique dont l’historien Bernard Lazare a parfaitement analysé à la fois l’histoire, les causes et les conséquences dans son essai « L’antisémitisme, son histoire, ses causes ». L’ouvrage de Soljenitsyne, quant à lui, retrace pas à pas les étapes de la concrétion de la « mentalité de ghetto » et du refus de l’assimilation imposée dans la grande Russie par les rabbins talmudiques.
La notion de « peuple » juif, est bien une création récente, comme l’a parfaitement démontré Shlomo Sand dans son ouvrage « L’invention du peuple juif ».
Le mystérieux royaume Khazar a influencé notre monde moderne d’une manière dont nous n’avons pas toujours conscience. Les Khazars n’avaient longtemps intéressé que des spécialistes de l’histoire de l’Asie centrale, comme le révèle la bibliographie d’Alan Brook évoquée ci-dessus. Les innombrables « chercheurs » qui pullulent aujourd’hui dans les universités américaines ont trouvé-là une mine d’autant plus inépuisable qu’il s’agit d’une matière à controverses, souvent violentes, toujours passionnées : pour les uns, l’ensemble des Khazars a été converti au Judaïsme et représente la quasi-totalité des juifs dits « Ashkenazes » contemporains, pour les autres, seule une toute petite partie de l’aristocratie de l’empire Khazar a rejoint la nouvelle religion et les juifs de la région sont de purs descendants de leurs co-religionnaires judéens. Les positions mixtes ont également d’innombrables adeptes.
Toujours est-il que la « question khazare » a opéré un débarquement tonitruant dans l’histoire contemporaine avec la polémique liée à la colonisation de la Palestine à partir de la fin du XIXe siècle. En effet, à partir de cette période, qui correspond à l’apogée de tous les mouvements colonisateurs européens, d’immenses cohortes de juifs dits « Ashkenazim », originaires des régions autrefois occupées par les tribus de l’empire Khazar tardivement converties au Judaïsme, ont déferlé sur une Palestine miraculeusement métamorphosée en « terre de leurs ancêtres ». Ils en revendiquaient la propriété au nom de la connaissance qu’ils possédaient par « ouï-dire » de l’existence d’un acte notarié dressé entre un « extra-terrestre » et d’hypothétiques ancêtres qui auraient été « méchamment » privés de leur héritage par de cruels centurions romains.
Aussi, profitons-en pour rappeler que TOUS les premiers ministres du nouvel Etat surgi en terre palestinienne en 1948 sont originaires d’Europe orientale et des régions qui correspondent à l’ex-empire Khazar : David Ben Gourion (Pologne), Moshé Sharett (Ukraine), Levi Eshkol (Ukraine), Ygal Allon (famille roumaine), Golda Meir (Ukraine), Yitzhak Rabin (parents ukrainiens), Menahem Begin (Biélorussie), Yitzhak Shamir (Biélorussie), Shimon Peres (Biélorussie), Ehud Barak (parents lituaniens), Ariel Sharon (parents biélorusses), Ehud Olmert (père russe) et Benyamin Netanyahou (grand-père lituanien).
À propos du terme « Ashkenaz », précisons que c’est autour du XIème siècle seulement qu’il est devenu la désignation officielle des Juifs établis en Allemagne et que s’est effectuée une migration sémantique des plaines de la Volga vers celles du Rhin. Aussi, la période à laquelle s’est effectuée cette migration du vocabulaire correspond à la migration des populations après la destruction de l’empire Juif Khazar et à la dispersion des communautés qui résidaient à l’intérieur de ses frontières.
Profitons-en pour rappeler avec l’aide de l’« Encyclopédie de l’Histoire du Monde » que le terme d’« Anglo-Saxon », qui n’a rien à voir avec une quelconque appartenance ethnique, ne désigne que ceux qui, vers la fin du XIème siècle, émigrèrent des territoires germaniques vers l’île de Bretagne.
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