Heine et Balzac, prophètes d’Adolf Hitler – Nicolas Bonnal
Par Nicolas Bonnal
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Illustration : Caspar david Friedrich Deux hommes contemplant la lune
Hitler : « Ainsi j’aurais conquis l’Europe, elle se trouve à une époque où elle attend ce Messie nouveau qui doit ravager le monde pour en refaire les sociétés. L’Europe ne croira plus qu’à celui qui la broiera sous ses pieds. »
Le nationalisme moderne a puisé ses sources les plus magiques dans le romantisme et ses matins de magicien. Ces révolutions nationales se heurtèrent toutes à la loi d’airain du capitalisme ou des bureaucraties impériales, mais elles inspireront de loin l’histoire du XXème siècle et son socialisme magique. L’appel à l’irrationnel est une donnée essentielle de ce mouvement. On se souvient de ces lignes emportées de Chateaubriand, contemporaines de l’épopée française sous la Révolution et l’Empire :
« Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie ! Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté et comme possédé par le démon de mon cœur. »
Ou bien :
« La nuit, lorsque l’aquilon ébranlait ma chaumière, que les pluies tombaient en torrent sur mon toit, qu’à travers ma fenêtre je voyais la lune sillonner les nuages amoncelés, comme un pâle vaisseau qui laboure les vagues, il me semblait que la vie redoublait au fond de mon cœur, que j’aurais la puissance de créer des mondes. »
Cette vision un peu délirante et surhumaine m’a toujours semblé assez prophétique du nazisme.
Hitler est-il le dernier romantique, pour parler comme mon regretté ami Yvan Blot ? Entre Wagner, Richard Strauss, son culte des lacs et des montagnes, des solitudes et des forêts, sa volonté de guerre et de fracas, on pourrait le penser. On peut aussi rappeler qu’Hitler incarne cet étonnant retour du paganisme en plein siècle rationnel.
Tout le monde reconnaît les phrases de Heine sur l’avenir allemand publiées vers 1840, et où le célèbre poète juif, alors converti, décrit avec ironie et inquiétude l’exception culturelle allemande. Mais comme tout le monde les connaît, personne ne prend le temps de les lire ! Je cite le chapitre VII sur les traditions nationales, ou Heine confesse que l’Allemagne a encore un pied dans l’Urwelt, le monde d’avant :
« Les souvenirs des antiques croyances germaniques ne sont pas encore entièrement éteints. Quand on y parcourt les vieux bois de chênes, on y entend encore des voix des anciens siècles, encore les paroles magiques dans lesquelles coule plus de vie que dans la littérature de la Marche… Je suis convaincu que cet homme, ce bûcheron, se battra encore pour le roi Wedekind, et malheur au crâne sur lequel s’abattra sa hache saxonne ! »
En tant que bon écrivain romantique, Heine est un adepte du prophétisme : à l’époque tout le monde est prophète, Hegel, Tocqueville, Edgar Poe, Byron, Pouchkine. Voyons voir, car Heine annonce la venue d’un homme messianique en Allemagne :
« Quand il sentira de nouveau battre son cœur, le peuple ne pourra qu’entendre la voix de l’Homme.
Quel est cet Homme ? C’est l’homme qu’attend le peuple allemand, l’homme qui lui rendra la vie et le bonheur, le bonheur et la vie après lesquels il a si longtemps aspiré dans ses songes. »
Comment ne pas penser à Hitler ? Heine annonce aussi que sa geste attirera tout le peuple allemand, et pour cause :
« Combien tardes-tu, toi que les vieillards ont annoncé avec un si brillant désir, toi que la jeunesse attend avec tant d’impatience, toi qui portes le sceptre divinatoire de la liberté, et la couronne impériale sans croix ? »
A la même époque, un grand génie français, Balzac, passionné d’ésotérisme, médite l’androgynie, le génie et la nordicité dans sa superbe nouvelle Seraphîta dédiée à sa chère madame Hanska. Balzac décrit avec sa plume visionnaire les grandioses paysages de Norvège, maintenant bourrés de monstres de croisière et de touristes :
« Le Fiord est fermé dans le fond par un bloc de gneiss couronné de forêts, d’où tombe en cascades une rivière qui à la fonte des neiges devient un fleuve, forme une nappe d’une immense étendue, s’échappe avec fracas en vomissant de vieux sapins et d’antiques mélèzes, aperçus à peine dans la chute des eaux… Sa crête, toujours enveloppée d’un manteau de neige et de glace, est la plus aiguë de la Norvège, où le voisinage du pôle produit, à une hauteur de dix-huit cents pieds, un froid égal à celui qui règne sur les montagnes les plus élevées du globe. »
Le sublime du paysage ultra-romantique me frappe d’autant plus que Balzac fait allusion à une rivière torrentueuse nommée… la Sieg, et qui développe la bravoure chez le promeneur solitaire.
« Les longues nappes de la Sieg, subitement glacées, décrivaient une énorme arcade sous laquelle les habitants auraient pu passer à l’abri des tourbillons, si quelques-uns d’entre eux eussent été assez hardis pour s’aventurer dans le pays. Mais les dangers de la moindre course retenaient au logis les plus intrépides chasseurs qui craignaient de ne plus reconnaître sous la neige les étroits passages pratiqués au bord des précipices, des crevasses ou des versants. »
Ce n’est évidemment pas tout. J’ai promis le don de prophétie. A la fin de la nouvelle, un jeune nordique nommé Wilfrid fait une déclaration amoureuse et militaire à son aimée ; et là, la guerre, le destin, l’Europe, l’orage (Blitzkrieg), tout annonce le führer allemand :
« Sachez mon secret. J’ai parcouru tout le Nord, ce grand atelier où se forgent les races nouvelles qui se répandent sur la terre comme des nappes humaines chargées de rafraîchir les civilisations vieillies. Je voulais commencer mon œuvre sur un de ces points, y conquérir l’empire que donnent la force et l’intelligence sur une peuplade, la former aux combats, entamer la guerre, la répandre comme un incendie, dévorer l’Europe en criant liberté à ceux-ci, pillage à ceux-là, gloire à l’un, plaisir à l’autre ; mais en demeurant, moi, comme la figure du Destin, implacable et cruel, en marchant comme l’orage qui s’assimile dans l’atmosphère toutes les particules dont se compose la foudre, en me repaissant d’hommes comme un fléau vorace. »
Tout cela ne sonne pas vraiment comme le message des Lumières. De toute manière Hitler est allé se recueillir sur le tombeau de Napoléon au cours de sa brève escapade parisienne. Wilfrid souligne ensuite son rôle messianique et sanglant.
« Ainsi j’aurais conquis l’Europe, elle se trouve à une époque où elle attend ce Messie nouveau qui doit ravager le monde pour en refaire les sociétés. L’Europe ne croira plus qu’à celui qui la broiera sous ses pieds. »
Enfin, Wilfrid souligne le rôle eschatologique de son combat contre l’Angleterre et la nécessité de recourir au Heartland de McKinder et au Caucase comme lieu suprême de ressourcement du monde…
« Mais, chère Séraphîta, mes observations m’ont dégoûté du Nord, la force y est trop aveugle et j’ai soif des Indes ! Mon duel avec un gouvernement égoïste, lâche et mercantile, me séduit davantage. Puis il est plus facile d’émouvoir l’imagination des peuples assis au pied du Caucase que de convaincre l’esprit des pays glacés où nous sommes. Donc, je suis tenté de traverser les steppes russes, d’arriver au bord de l’Asie, de la couvrir jusqu’au Gange de ma triomphante inondation humaine, et là je renverserai la puissance anglaise. »
On pourrait dire que le jeune personnage joue avec l’aura de Napoléon. Mais non. On est sur les hauteurs de Haushofer ici. Il termine dans le style enlevé qui est la marque cette époque de sublime littéraire :
« Sept hommes ont déjà réalisé ce plan à diverses époques. Je renouvellerai l’Art comme l’ont fait les Sarrasins lancés par Mahomet sur l’Europe ! Je ne serai pas un roi mesquin comme ceux qui gouvernent aujourd’hui les anciennes provinces de l’empire romain, en se disputant avec leurs sujets, à propos d’un droit de douane. Non, rien n’arrêtera ni la foudre de mes regards, ni la tempête de mes paroles ! Mes pieds couvriront un tiers du globe, comme ceux de Gengis-Khan ; ma main saisira l’Asie, comme l’a déjà prise celle d’Aurangzeb. »
Balzac pouvait être le descripteur de la cousine Bette et du cousin Pons, de la courtisane et du curé de Tours, il savait tout de même ce qui se tramait au loin. Il n’y a pas que la France tout de même.
Il a écrit ce texte cent ans avant 1933.