Dossier – Israël vs Gaza : une nouvelle guerre le long des routes de la soie

Par Pierre-Antoine Plaquevent.

Après l’Ukraine, un nouveau front de la guerre mondiale USA / Eurasie s’est ouvert.

Dans mes interventions depuis le début de la guerre Israël / Palestine, j’invite à défocaliser du seul conflit régional pour le situer dans son contexte géopolitique plus ample : celui de la confrontation entre Océan global (l’Amérique-monde) et Île mondiale (le continuum terrestre tricontinental Europe, Asie, Afrique).

La crise actuelle possède ainsi plusieurs niveaux d’analyse. Parmi ceux-ci, la concurrence entre USA et Chine autour des nouvelles voies géoéconomiques entre Asie et Eurafrique en constitue une clef de compréhension essentielle. Un bras de fer planétaire se déroule et se cristallise sur des points de crise régionaux comme actuellement au Moyen-Orient ou en Ukraine.

Au-delà de la tragédie régionale, un nouveau front géopolitique s’ouvre dans la tentative globale des USA de freiner l’ascension de la Chine et de ses partenaires au sein du système-monde contemporain. Comme toujours, ce sont les populations locales qui en sont les premières victimes.

Dans cette configuration, l’Europe, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est ou le Sahel africain constituent autant de territoires disputés entre USA et Chine/Russie. De l’Ukraine au Myanmar, en passant par le Moyen-Orient, l’hégémonie globaliste cherche à empêcher des régions stratégiques de tisser des liens géoéconomiques stabilisées avec les puissances russe et chinoise. Certaines de ces régions, qui pourraient constituer de véritables interfaces entre espace-monde occidental et oriental, sont ainsi méthodiquement transformées en verrous géopolitiques par les actions sous-terraines ou visibles des USA et de leurs vassaux en Eurasie et en Afrique. Les puissances régionales cherchent quant à elles à devenir des acteurs stratégiques multi-alignés, capables d’interagir avec les puissances piliers du système-monde et de se placer ainsi au centre des enjeux géopolitiques contemporains.

Dans ce contexte, le Moyen-Orient constitue un territoire stratégique pour le passage des routes logistiques et énergétiques eurasiatique et eurafricaine. La perspective d’une connexion géoéconomique d’échelle pan-continentale eurasiatique portée par la Chine avec son projet des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative), représente la grande crainte stratégique anglo-américaine contemporaine.

Il s’agit pour l’Amérique d’empêcher, ou au moins de ralentir, la connexion de la Chine à l’Europe via le Moyen-Orient et de favoriser son propre corridor géoéconomique concurrent : l’IMEC (l’India-Middle East-Europe Economic Corridor). L’IMEC prévoit une route maritime qui relierait l’Inde au golfe Persique et une route reliant l’Arabie saoudite à l’Europe via la Jordanie et Israël par voie ferroviaire et maritime.

L’IMEC aussi un couloir d’hydrogène « propre » qui relierait l’Inde à l’Europe en passant par la Jordanie et Israël.

Marseille et le port du Pirée devraient devenir des points d’accès en Europe pour ce projet s’il voit le jour. Le port d’Haïfa (Israël) est un point stratégique de ce couloir logistique et énergétique alternatif aux nouvelles routes de la soie. En 2023, les investisseurs indiens ont supplanté les investissements chinois dans le port d’Haïfa mais le port du Pirée en Grèce reste quant à lui contrôlé par le groupe Cosco Shipping, le principal armateur chinois. Alors que l’essentiel du commerce de l’Inde avec l’UE s’effectue pour l’instant via le canal de Suez, l’IMEC constitue potentiellement une route alternative au canal de Suez entre Inde et UE via le continuum des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite et d’Israël. Tout le long de ces voies de communication et de commerce entre Asie et Europe, se déroule ainsi une rude concurrence géoéconomique.

Rappelons aussi qu’un important gisement gazier est situé au large de la bande de Gaza. Il est ainsi dans l’intérêt israélien, mais aussi américain, de débarrasser Gaza de son autorité politique actuelle et de la diaboliser après l’avoir alimenté pendant plusieurs décennies. Supprimer le Hamas puis déporter une partie significative de la population de Gaza pour ensuite « normaliser » économiquement cette zone, peut-être avec l’aide de l’Arabie Saoudite et d’autres pays du Golfe, est dans la continuité de la vaste recomposition régionale du Moyen-Orient qui se déroule depuis 1991 avec la première guerre d’Irak. Une recomposition qui ne se décide pas qu’en Israël, mais dont Israël souhaite devenir un pivot clef.

Comme dans les phases précédentes de la longue guerre mondiale d’un siècle (1914-2024), le cosmopolitisme anglo-américain cherche à séparer les sous-continents d’Europe, du Moyen-Orient, de l’Inde et de l’Asie du Sud-est, du cœur stratégique de l’île mondiale eurasiatique, le Heartland. Comme durant la Guerre dite « froide » (deux millions de morts en Corée, presque autant au Vietnam, etc.), l’impérialisme libéral (Mackinder) cherche à découpler méthodiquement le pourtour eurasiatique (Rimland) de l’influence des puissances eurasiatiques ascendantes du moment. Après la France au début du XIXe siècle, puis l’Allemagne et la Russie au XXe, c’est désormais le couple sino-russe qui constitue le pôle d’intégration eurasiatique que les puissances thalassopolitiques doivent contrecarrer pour maintenir leur hégémonie sur le système-monde contemporain.

Heartland, Île mondiale, Océan global, etc. Ces catégories géopolitiques furent forgées il y a un siècle par Halford Mackinder afin de donner une assise conceptuelle à l’hégémonie britannique. Régulièrement actualisées par les grands stratèges anglo-américains (Spykman, Brzezinski, etc.), elles demeurent plus que jamais d’actualité et sont au cœur de la géopolitique globaliste et des actions de ses réseaux dans le monde comme par exemple ceux de l’Open Society Foundations.

Connaître ces concepts permet d’appréhender la politique au XXIe siècle et d’en discerner les lignes de force. J’explicite ces fondamentaux géopolitiques dans mon dernier livre : « Société ouverte contre Eurasie – géopolitique du globalisme »

Les nouvelles routes de la soie de Pékin à Haïfa

Les 17 et 18 octobre dernier, se déroulait à Pékin la réunion historique du forum des nouvelles routes de la soie (en anglais Belt and Road Initiative – BRI et en français Initiative Ceinture et Route – ICR). Ce troisième forum réunissait plus de 130 États autour de ce qui constitue l’initiative géoéconomique majeure de la Chine contemporaine. La Belt and Road Initiative ayant été intégrée dans la Constitution du Parti Communiste chinois lors de son 19e Congrès National en octobre 2017, son développement est organiquement lié à l’orientation stratégique globale de la puissance chinoise.

Dénommé d’abord One Belt, One Road (OBOR), puis désormais BRI (Belt and Road Initiative) depui 2017, le projet des nouvelles routes de la soie a pour ambition de s’étendre du Pacifique jusqu’à la mer Baltique. La BRI inclut 64 pays asiatiques, moyen-orientaux, africains et d’Europe centrale et orientale. Doté d’un budget de 800 à 1 000 milliards de dollars pour ce faire (cinq à six fois le budget du plan Marshall), ce projet pourrait permettre à la Chine de réaliser le grand objectif du Parti communiste chinois : l’intégration économique du continent eurasiatique, d’une partie de l’Afrique et même de certains pays d’Amérique latine à l’horizon 2049, date anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine. Très concrètement, la Belt and Road Initiative prend la forme d’un ensemble de réseaux de commerce, de communication et de voies de transit énergétique déployées à une échelle tri-continentale (Asie, Afrique, Europe).

Cliquez ci dessous pour accéder au dossier complet (21 pages – 7 euros)

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