Tedros Ghebreyesus ou l’aspiration à un gouvernement mondial sanitaire
Source : francesoir.fr – 10 février 2024
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PORTRAIT CRACHE – Depuis Addis-Abeba, où il fut ministre de la Santé d’Ethiopie, Tedros Adhanom Ghebreyesus (OMS), a su tirer son épingle du jeu pour se forger une réputation internationale dans le domaine de la santé et devenir directeur général de l’OMS. Premier Africain à la tête de l’agence de l’ONU, après un premier mandat marqué au fer rouge par les polémiques, un scandale sexuel et une complaisance certaine pour la Chine, celui qui promettait en 2017 un accès universel aux soins tente désormais d’instaurer un Etat sanitaire mondial dans lequel l’OMS et son patron déclareront les pandémies et en dicteront l’agenda, ainsi que les marches à suivre pour en venir à bout.
Né à Asmara (capitale de l’Erythrée), Tedros Adhanom Ghebreyesus se définit comme un “enfant de la guerre”. Il grandit dans un pays où l’accès aux soins est loin d’être à la portée de tout le monde. Le décès de son frère de cinq ans, faute de soins, a vraisemblablement joué un rôle déterminant dans son parcours. S’il ne fait pas d’études de médecine, il obtient un premier diplôme en biologie à l’université d’Asmara, un master en immunologie des maladies infectieuses puis un doctorat en santé communautaire à l’université de Nottingham, au Royaume-Uni.
Seringue et capitaux : nerf de la guerre de la Fondation Gates
En 2005, Tedros Ghebreyesus devient ministre de la Santé de l’Ethiopie. Il hérite d’une infrastructure défaillante et d’un maigre budget dans un pays marqué par une extrême pauvreté. Addis-Abeba ne doit son système de santé, qui se concentre sur la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, qu’aux donateurs de la communauté internationale. Le défi est colossal et Tedros Ghebreyesus entame son mandat par une réforme de son ministère, visant à former et déployer les praticiens de la santé sur l’intégralité du territoire. Selon des chiffres de l’OMS l’Éthiopie ne compte, en 2006, que 2,6 médecins pour 100 000 personnes…
On attribue à Ghebreyesus la construction de milliers de cliniques et l’OMS lui reconnaît sa capacité à décrocher des financements records. Pour ce faire, le ministre multiplie les initiatives internationales. Son pays est le premier à signer un accord dans le cadre du Partenariat international pour la santé. Il accède en 2007 à la présidence du partenariat Faire reculer le paludisme, puis devient membre, en 2009, du Conseil de coordination du programme de l’ONUSIDA (programme commun des Nations unies sur le VIH, NDLR).
Tedros Ghebreyesus devient la même année membre du Conseil du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Il est aussi coprésident du Partenariat pour la santé de la mère, du nouveau-né et de l’enfant. Il est également membre du Conseil de l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI), dont le principal pourvoyeur de fonds est la fondation Bill et Melinda Gates…
Le ministre de la Santé éthiopien commence à marquer des points sur la scène internationale, où il aiguise ses armes diplomatiques. Il quitte son poste en 2012, ayant été nommé par le Premier ministre ethiopien, Haile Mariam Dessalegn, à la tête des Affaires étrangères, poste qu’il occupera jusqu’à 2016.
Le 24 mai de cette même année, lors de la 69e Assemblée mondiale de la Santé, Tedros Ghebreyesus annonce sa candidature au poste de directeur général de l’OMS. Étant le seul candidat africain, l’UA (Union africaine) et les ministres de la Santé du continent se montrent très favorables à sa candidature. Plusieurs organisations emboîtent le pas à ses soutiens et des pays d’Afrique de l’Est financent sa campagne. La presse locale affirme que le Front de libération du peuple du Tigré, dont il a fait partie, aurait aussi contribué à son financement…
Big Pharma, Covid, Choléraet… scandales sexuels
La campagne pour l’élection de ce spécialiste de la malaria et du VIH, qui aime se faire appeler “Dr.Tedros”, ne se déroule pas sans polémique. En mai 2017, juste avant le scrutin, il est accusé d’avoir dissimulé trois épidémies de choléra en Ethiopie, lorsqu’il était ministre de la Santé. Des accusations qu’il rejette, conforté par la position de ses soutiens, notamment l’UA, qui soulignent que ces allégations émanent du conseiller de David Nabarro, un autre candidat à la direction de l’OMS…
“Dr. Tedros” est élu le 23 mai directeur général de l’OMS et devient le premier africain à diriger l’agence onusienne. Au début de son mandat, il s’impose comme un ardent défenseur de la couverture vaccinale universelle. Quelques-unes de ses nominations font grincer les dents et certains lui reprochent déjà son manque de transparence. Mais son visage devient vite familier de la lutte anti-Covid. La pandémie met pourtant à rude épreuve son sens diplomatique comme sa gouvernance. Il commence à incarner le visage d’une menace planant sur les libertés individuelles et civiques au nom de la lutte contre les pandémies.
En 2020, une pétition réclame sa démission. Tedros Ghebreyesus, qui supervise alors la réponse mondiale au Covid, suscite aussi les critiques pour sa complaisance envers la Chine. Il salue “la transparence” de Pékin pour ses “efforts de lutte contre la pandémie”, comme les mesures de confinement, au moment où la Chine est accusée par de nombreux pays, notamment occidentaux, de dissimuler des informations sur l’origine du virus. Des analystes interprètent cette position comme un renvoi d’ascenseur du patron de l’OMS à la Chine, qui avait soutenu sa candidature.
Les reproches pleuvent sur Tedros Ghebreyesus. On pointe du doigt l’attentisme de l’OMS d’abord, la soumission et la dépendance de l’agence à certains États membres, ensuite. En réaction à la “tendresse” certaine du directeur de l’OMS pour les Chinois, les États-Unis, présidés par Donald Trump, suspendent leur contribution financière à l’agence. En 2021, un scandale de violences sexuelles commises par des employés de l’OMS en République démocratique du Congo éclate. La réaction du patron est qualifiée de “molle” et “lente”…
Mais ce qui suscite par-dessus tout la polémique, c’est l’influence politique de certains Etats membres, comme les USA, et du lobby pharmaceutique. En misant sur un médicament pour soigner le Covid, l’OMS a négocié la possibilité que les laboratoires autorisent certains pays à produire leurs médicaments génériques et moins chers, sans que les grands laboratoires ne cèdent leurs brevets pour les vendre au prix fort sur les marchés qui les intéressent. Ces négociations devaient aussi garantir l’accès aux vaccins pour les pays à revenus faibles et intermédiaires. Un double échec, puisque les taux de vaccination dans ces régions sont restés faibles et que l’on reproche à l’OMS d’avoir favorisé les intérêts des grandes entreprises pharmaceutiques.
L’obsession de l’agence onusienne pour le coronavirus et les mesures préconisées, comme le confinement, ont aussi provoqué un regain d’autres maladies comme le paludisme, le VIH et la tuberculose, celles pour lesquelles Tedros Ghebreyesus est qualifié de “spécialiste”…
Le terme de son mandat approche alors que le DG de l’OMS est fragilisé par sa gestion de la pandémie, qui a mis à nu les défaillances de son agence.
Dr. Tedros is watching you
On lui reproche, de surcroît, un style “autoritaire” et le climat de “peur” qu’il fait régner. Toutefois, il est le seul candidat en lice à sa succession. Il est donc réélu en mai 2022 et son changement de ton envers la Chine, à qui il reproche désormais de ne pas avoir été assez transparente, ne le prive toutefois pas du soutien de Pékin.
Après avoir fait campagne pour un accès universel aux soins lors de son premier mandat, “Dr. Tedros” a cette fois-ci un nouvel objectif : renforcer l’agence de l’ONU pour “mieux prévenir et gérer les futures épidémies”. Quoi de mieux pour sortir de sa dépendance vis-à-vis de certains États que d’instaurer un “État mondial médical” ?
Six mois avant sa réélection, les 194 États membres de l’OMS ont initié la création de l’Organe intergouvernemental de négociation (OIN), “chargé de rédiger et de négocier une convention, un accord ou un autre instrument international de l’OMS sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies”. L’une des propositions de l’OIN était “d’habiliter l’OMS à remplir son mandat en tant qu’autorité de direction et de coordination du travail sanitaire international, y compris pour la préparation et l’intervention en cas de pandémie”. L’autre recommandation, saluée par Tedros Ghebreyesus, est de doter l’OMS d’un pouvoir “juridiquement contraignant”. « On ne saurait trop insister sur l’importance d’un instrument juridiquement contraignant : il fera partie de notre héritage collectif pour les générations futures », déclare-t-il.
Ce Traité sur les pandémies suscite bien des inquiétudes. L’article 35 du document compromet l’article 19 de la Constitution de l’OMS, qui conditionne l’entrée en vigueur des accords onusiens aux règles constitutionnelles des États membres. L’article 35 du Traité prévoit la possibilité pour un État signataire d’appliquer, “à titre provisoire, de manière partielle ou complète”, les dispositions du texte, en contournant ainsi un vote d’un Parlement…
Glissement autoritaire…
En octobre 2023, Tedros Ghebreyesus annonce que les États membres négocient un nouvel accord destiné à “renforcer le cadre juridique de la réponse mondiale aux pandémies”. Celui-ci doit être examiné par l’Assemblée mondiale de la santé en 2024.
Plusieurs autres articles soulèvent les réserves de plusieurs experts, comme la question de la sécurité des laboratoires où sont étudiés des pathogènes dangereux, ou encore les modalités de conclusion de contrats pharmaceutiques. En outre, l’article 15 qui prévoit de doter le directeur général de l’OMS du pouvoir de déclarer les pandémies passe très mal…
Le Règlement sanitaire international (RSI) est une autre source d’inquiétude. Plusieurs pays craignent une “tournure autoritaire” du texte qui porterait atteinte à la souveraineté des États membres.
Lundi 22 janvier 2024, “Dr Tedros” a exprimé son pessimisme quant à la possibilité de trouver un accord : “Les générations futures ne nous pardonneront peut-être pas de ne pas tenir les engagements pris au plus fort de la pandémie”, estime-t-il.
Est-ce que ces générations futures ne lui pardonneront pas plutôt leur perte de liberté ?
Illustration : Fabrice Coffrini-AFP