Bienvenue dans l’ère post-libérale
Source : arretsurinfo.ch – 12 avril 2025 – Guy Mettan
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Les Américains ont toujours eu maille à partir avec les taxes. On se souvient que la révolution qui avait conduit à leur indépendance en 1776 avait commencé avec la fameuse Boston Tea Party et la révolte contre les tarifs douaniers imposés aux colonies par la Couronne britannique, très endettée par la Guerre de Sept Ans. 249 ans plus tard, ils rejouent la pièce à l’envers : ce sont eux qui imposent des taxes prohibitives au reste du monde pour se refaire une santé économique et financière. Avec les mêmes conséquences, à savoir une révolte réussie contre eux ?
Il est en tout cas amusant de constater que les mêmes causes ont les mêmes effets. A l’époque, les victimes des taxes abusives avaient essayé de plaider leur cause avec le slogan « Pas de taxation sans représentation », invoquant le fait qu’il était illégal de taxer des gens qui n’avaient pas de représentants au parlement de Londres. Ce dont le roi s’était moqué comme d’une guigne. C’est assez proche de ce que demandent les lésés d’aujourd’hui, qui se bousculent à Washington pour plaider leur cause auprès d’un prince méprisant et fantasque.

A l’époque, l’histoire avait répondu à ce bras-de-fer de façon très contrastée : les Etats-Unis avaient gagné leur bataille, étaient devenus indépendants et ont fini par supplanter leur ancien maitre anglais au XXe siècle. Mais de son côté le Royaume-Uni s’était redressé et avait entamé un développement inégalé au point de devenir la plus grande puissance industrielle et géopolitique du monde jusqu’en 1914…
On peut hurler, vociférer, s’indigner contre le Grand Méchant Trump, mais il serait erroné de tirer des conclusions trop rapides. Face aux puissances émergentes, de la Chine et des BRICS, les Etats-Unis peuvent aussi tirer leur épingle du jeu et se reconstruire comme première puissance économique et politique mondiale. Ce n’est pas certain, car ils sont dans une phase de déclin plus prononcée que ne l’était le royaume britannique à l’époque. Leurs adversaires coalisés sont aussi plus puissants qu’eux. Mais ils sont aussi très divisés et Trump aura beau jeu de les jouer les uns contre les autres, comme il vient de le faire en gelant soudainement son projet pour mieux cibler la Chine.
Ce qui est certain en revanche, c’est qu’on entre résolument dans une nouvelle ère, post-libérale dans tous les sens du terme. Le libéralisme est mort et il est mort pour longtemps, et cela sur tous les plans, économique et commercial, mais aussi politique, moral et métaphysique. L’histoire n’est pas linéaire ni répétitive, mais elle connaît des mouvements de balancier de grande amplitude. Or la fin du libre-échangisme économique et le retour des tarifs douaniers impliquent mécaniquement un retour des frontières, et donc des Etats, et donc du politique, lequel va peu à peu reprendre le pas sur l’économique.
C’est déjà le cas chez les grandes puissances dites illibérales : la Russie tout comme la Chine ont remis leurs oligarques à l’ordre et réaffirmé la prépondérance du politique sur l’économique. En Russie, l’Etat a pris le dessus et en Chine la méritocratie néo-confucianiste du parti a fait rentrer dans le rang les néo-milliardaires enrichis par la libéralisation économique. Les démocraties suivront, bon gré mal gré. Elles ont d’ailleurs déjà commencé à le faire comme on a pu le constater pendant la crise du Covid, qui a vu les Etats imposer des mesures de contrainte sans précédent aux entreprises et aux populations effrayées. La nouvelle guerre des tarifs va coûter cher, fragiliser les sociétés, amplifier les inégalités, décupler des tensions sociales et internationales auxquelles seuls les pouvoirs politiques seront en mesure de répondre.
Ce mouvement va aussi affecter les mœurs et la vie en société. On a longtemps pensé, avec Montesquieu, que le doux commerce allait automatiquement générer de la démocratie, de la tolérance, de la liberté, et que la démocratie libérale allait partout régner. Telle était la prophétie de Francis Fukuyama. Cela s’est avéré faux à plusieurs titres. D’abord il s’agissait d’un fantasme occidental, les autres peuples du monde étant attachés aux libertés, mais pas forcément sous la forme de la démocratie libérale représentative de type occidental.
Et ensuite, le libre-échangisme économique apparaît aussi comme vecteur d’inégalités sociales et de vulnérabilités croissantes pour les classes moyennes et inférieures. Le libre-échange est vorace et envahissant. Pour fonctionner, il doit s’étendre aux capitaux mais aussi aux personnes. Or la libre-circulation des personnes et l’arrivée massive de migrants menacent les emplois et le statut des classes moyennes et inférieures tout en enflammant le débat politique. Tensions garanties !
Enfin le libéralisme est porteur de dérives sociétales. Que celles-ci soient réelles ou imaginaires importe peu. Le fait est qu’elles sont considérées comme des excès par une fraction de plus en plus large des peuples à qui l’on a forcé la main sur ces questions. Le retour aux frontières étatiques s’accompagne très logiquement d’un retour aux frontières de genre, de sexe, de race et de morale traditionnelle.
On peut le déplorer mais c’est ainsi. Trump, qui incarne de façon spectaculaire ce double mouvement, à l’instar de tant d’autres figures, Orban, Poutine, Erdogan, Xi Jinping, MBS, est devenu en quelque semaines la figure emblématique du post-libéralisme en Occident. On peut le haïr, mais on ne peut pas le changer. Les dirigeants européens, qui essaient de faire de la résistance, devront s’y adapter. A nous de les y aider, tout en évitant que l’anti-libéralisme ne fasse à son tour trop de dégâts.