Guillaume Faye et le grand condominium planétaire – Nicolas Bonnal

Source : mai 2025 – Nicolas Bonnal

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Il y a plus de quarante ans Guillaume Faye écrit son œuvre au noir sur le système à tuer le peuple.
Télé, technologie, commerce, bouffe et pensée rapide. Avec style et panache, mais rigueur et dureté
aussi, il dépeint ce temps immobile qui liquide l’espace (Guénon s’est trompé là encore) et toutes les
Traditions orientales. Les derniers mondes premiers disparaissent (cf. Sept ans au Tibet ou les
Seychelles de Heinrich Harrer) et ce sont du reste les Allemands qui y sont plus sensibles, avec les
derniers Français héritiers spirituels de la Restauration. Mais j’ai parlé ailleurs et maintes fois de la
lucidité française du dix-neuvième qui t voient le monde du petit-bourgeois et du global shoppinc
center s’installer partout : à côté de Nietzsche on Chateaubriand (la Conclusion des Mémoires,
Tocqueville bien sûr voyez mon recueil), Drumont plus tard et Céline.
Le livre de Faye s’inspire aussi de la gauche et du marxisme (dont il monte l’impasse) et, s’il ne cite
pas Debord ou Henri Lefebvre, il s’en rapproche. Pour moi il s’impose comme un poème en prose
presque, un exercice stylistique à la manière de Baudrillard (qui lui rendit hommage comme on sait,
voyez mon écho) ou de Michel Butor (l’excellent Mobile) – mais là où nos deux grands auteurs
s’émerveillent, Guillaume s’horrifie. En effet,

« Les sociétés occidentales deviennent sous nos yeux des machines. ».
Le livre commence comme cela, c’est fabuleux, lisez :

« Sous l’aéroport de Francfort, enfoui dans l’épaisseur du béton, quelque part entre les parkings et le
business center souterrain, on a construit un night-club. Sous l’aéroport de Johannesburg, il y a
exactement le même. A Oslo, encore le même. A Tokyo et à Chicago, le même. Bientôt, à Nairobi,
Athènes, Rio, Rome… Dans ce même night-club, on entend partout la même musique, jouée sur les
mêmes platines, scientifiquement sélectionnée par les mêmes music marketers. »

Chose marrante aujourd’hui même une petite ville monumentale comme Ségovie a été transformée
en « territoire protocolaire » par sa gare AVE. Le train rapide a mis cette luciole à une demi-heure de
Madrid et l’a transformée en cité-dortoir de la capitale castillane, dont les prix ont doublé en cinq
ans. De même le village de Pedrasa est devenue une boutique de luxe façon « rocher de Monaco (un
endroit où j’ai vécu enfant et qui avait gardé son charme et son petit peuple). Les transports
détruisent tout, ils ne transportent pas.
Guillaume ajoute :
« Remontons a la surface : dans les grandes cites mondiales et, de proche en proche, dans les
provinces et les campagnes avoisinantes, le paysage se transforme. Le voyageur planétaire est de
moins en moins dépayse : il retrouve les mêmes de verre et d’acier. Les gens sont vêtus des mêmes
jeans, des mêmes anoraks. Les mêmes autos sillonnent les mêmes routes, jalonnées des mêmes
shopping centers, ou l’on trouve approximativement les mêmes produits. »

Théophile Gautier écrit déjà dans son somptueux Voyage en Espagne :

« Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complètement inutiles, et c’est précisément alors,
heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité. »

Et Debord, toujours aussi superbe :

« Sous-produit de la circulation des marchandises, la circulation humaine considérée comme une
consommation, le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d’aller voir ce qui est devenu
banal. L’aménagement économique de la fréquentation de lieux différents est déjà par lui-même la
garantie de leur équivalence. La même modernisation qui a retiré du voyage le temps, lui a aussi
retiré la réalité de l’espace. »

Toujours dans cet aéroport-monde (voyez le film de Spielberg avec Tom Hanks paumé et sans patrie,
qui symbolise en fait tous les hommes occidentaux), la sous-culture pour tous :

« Assis devant le poste, quelqu’un lit un journal. Non, il ne lit pas. Il regarde les images d’une bande
dessinée. C’est Popeye. Il referme son journal, il vous regarde : il est japonais, norvégien, italien ou
français. Qu’importe. Il vous explique, d’une voix très douce, en basic English, avec un accent de nulle
part, qu’il a la nationalité occidentale et qu’il recherche le bonheur. Il a deux enfants, un garçon et
une fille. Ils ont l’air de s’ennuyer terriblement. La fille chantonne des slogans publicitaires. Le
garçon, un peu hébété, pianote sur un football électronique. »
Hébété est le mot qu’on retrouve chez tous les grands auteurs : Guénon, Tocqueville, Mgr Gaume et
aussi Baudrillard. Ajoutons que les enfants ont été supprimés du menu depuis. On est à six pour mille
de natalité, pas douze ou quatorze. C’est aussi l’intérêt de ce livre : il montre que le grand
remplacement ethnique ou démographique n’est qu’une conséquence, et qu’il est finalement
secondaire. Nous sommes remplacés parce que nous étions déjà morts, comme ce Dieu dont parle
Zarathoustra. Remplacer un mort ne coûte pas cher, et l’intelligence artificielle va bien les aider.
La suite :

« Vous pourriez vous réveiller ; tout cela pourrait être un cauchemar ; mais ce n’en est déjà plus un.
En Afrique, les dernières communautés tribales sont en train de disparaitre. En Amérique latine, dans
les favelas produites par l’ordre marchand occidental, les jeunes sont en train, à toute allure,
d’oublier la culture ancestrale. Dans les campagnes européennes, les bals populaires ressemblent de
plus en plus aux boîtes de la rive gauche. »
Oui, mais Boris Vian décrit déjà ce monde américanisé, et Stefan Zweig aussi, et Joseph Kessel dans
ses commentaires sur Hollywood. Le tournant définitif date des années vingt. Il a donc un siècle : la
technique américaine a mis tout le monde d’accord ensuite en 45. Faye comprend mieux que
d’autres (pas très éclairés out de même) qu’on n’est pas face à un empire mais à une matrice, celle
qui triomphe en Chine comme en Russie (voyez le blog de Laurence Guillon qui narre la destruction
de Pereslavl et des restes traditionnels).

Faye toujours sur nos derniers hommes vaccinés et téléphages, végétariens ou carnivores :
« Le Système s’installe et son territoire est la Terre. Il n’a rien d’un empire, puisque le fondement
d’un empire est d’ordre spirituel. Le Système n’a d’autre légitimité que le nihilisme de la recherche
du petit-bonheur, celui des « derniers hommes » de Nietzsche ; il n’a d’autre souverain qu’un
individu abstrait — l’homo universalis — a la recherche de besoins homogènes et planétaires : bien-
être, consommation, sécurité ; il n’a d’autre gouvernement, comme nous le verrons ultérieurement,
qu’une concertation floue de réseaux et d’intérêts économiques transnationaux qui prennent peu à
peu le pas sur les princes et les politiques. »
On est bien face à une matrice US, le blob de l’autre qui a tout digéré. Même paysage universel.

Relisons Nietzsche alors :
« La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout.
Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps.
« Nous avons inventé le bonheur, » – disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur…
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poisons enfin,
pour mourir agréablement.
On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite
point.
On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles. Qui voudrait encore
gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles. »

Le maître explique ensuite très justement que le monde moderne c’est fini :
« …être pour le monde moderne. Mais quel monde moderne ? Où est donc passée la modernité ? Les
rêves futuristes se sont évanouis. La télévision, la sécurité sociale, les droits de l’homme,
l’embouteillage de la rocade A 86, les fausses poutres en formica, la mini-chaîne a crédit, le voilà
donc, le monde moderne ? On a cesse de vouloir aller dans la lune. Si vous avez la chance de ne pas
être chômeur, tout, autour de vous, respire le-confort. Le confort… c’est confortable évidement,
mais ce n’est pas exaltant. Ce monde moderne, vous ne le trouvez pas quelque peu ennuyeux ? Mais
pour vous distraire, il y a toujours le cinéma, et la télévision. Là, il devient passionnant le monde
moderne. »
Revoir les pages de Céline sur le cinoche à New York : le cinéma comme « petite mort »…
En réalité on vit dans une société nécropolitique :

« Il leur manque ce que Ludwig Klages appelait une âme. Dans le célèbre débat qui l’avait opposé à
Jürgen Habermas et aux philosophes de l’école de Francfort, le sociologue allemand Arnold Gehlen
avait déjà attiré l’attention de ses lecteurs sur cette transformation de la civilisation en système :
alors que la société libérale se persuade qu’elle a Construit un monde de prospérité, de libération et

de progrès, la réalité sociale laisse apparaitre un environnement inorganique, c’est-à-dire mort, sans
vie intérieure, plus proche de la machinerie que de l’organisme en croissance. »
Baudrillard a parlé d’hystérésie pour définir notre société. On est déjà morts mais on ne le sait pas
trop, les machines à distraire et à détruire nous masquant notre état.
Avant, on pouvait se relever, à on ne peut plus :

« Un peuple frappe dans sa chair demeure toujours lui-même après la saignée ; la France, qui connut
quatre invasions totales ou partielles en cent vingt-cinq ans n’en a pas pour autant disparu ; mais des
peuples aujourd’hui meurent, frappes d’absorption économique et culturelle par le Système : le
Danemark, la Hollande, la Grèce sont en péril de mort, en voie de digestion par le complexe
américano-occidental. »

Ce n’est pas très sûr pour la France : voir Drumont, Bernanos ou Céline.
Enfin, l’auteur souligne cette liquidation spatiale, la plus étrange de toutes ou presque :

« Le Système, en revanche, opère ce bouleversement considérable de mettre entre parenthèses le
principe historico-national et le principe politico-territorial, qui constituaient les traductions
modernes de l’impératif spatial et de la tradition. »
On n’a ici relu et présenté quelques pages. Relisez ce texte extraordinaire. Robert Steuckers, qui fut
l’ami de Guillaume Faye, nous dit que l’Occident comme déclin est génial. On y reviendra.

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