GERMANISATION DE L’EUROPE OU EUROPÉANISATION DE L’ALLEMAGNE ? LE COVID – 19 COMME INCUBATEUR STRATÉGIQUE

Par Irnerio Seminatore.

Irnerio Seminatore est essayiste et Professeur des Universités. Il est le président de l’Institut Européen des Relations Internationales (IERI) et le directeur de l’Academia Diplomatica Europaea (ADE) à Bruxelles.

La peur, le pouvoir et le statu-quo

Comme la peste d’Athènes (429 a.C), ou celle de l’Europe du Moyen Age (1347) et de la Renaissance (1720), ou encore la « grippe espagnole » de 1918, la pandémie      du « COVID », si quotidien, fait de ce fléau dévorant un compagnon familier, silencieux et inconnu, qui suscite angoisse et exclusion.

Ceux qui déclarent qu’un état de guerre est en cours (Macron, Guterres, Le pape François), feignent oublier que la guerre présuppose un ennemi désigné, un état d’hostilité, un affrontement sanglant et des  théâtres de combat furieux, où règnent les derniers tourments de la vie, car la guerre est un « acte de violence, qui vise à soumettre la volonté de l’autre » (Clausewitz). Or, cette pandémie démontre qu’il s’agit là d’une fausse rhétorique et que nous sommes en présence d’une « surprise stratégique ».

Celle-ci n’est pas à résoudre par des moyens militaires et dont les éléments-clés sont d’ordre politique et civil et se caractérisent par l’ampleur, l’allure, l’impréparation politique, l’état d’urgence, la remise en cause de la stabilité et de l’ordre public, ainsi que l’extrême vulnérabilité du corps politique.

En effet, nos avenues sont désertes et nos ennemis absents et une coalition de forces et d’intérêts, invisibles, prétendent aider, intervenir et gouverner, liés à double fil par le cynisme, l’empathie et la colère.

Ce qui occupe les esprits de nos jours, ce sont les répercussions profondes et durables de la souffrance, de l’angoisse et de l’inconnu.

Ce qui règne en souveraine est la peur, le premier sentiment de l’homme qui est à l’origine, selon Thomas Hobbes, de la religion et de l’État.

La peur, qui se recèle dans l’âme du vivant, comme le fantasme anticipateur de la mort ne change en rien le psychisme de l’homme, ni l’organisation de la société.

Au contraire, elle renforce le pouvoir des Princes, par l’intimidation, la soumission et le désespoir, un cumul de passions bien humaines, suivies de vagues de malheurs sociaux, la faim, l’errance, le vagabondage, la fuite, le sentiment de faillite et la révolte, libératoire, colérique et inhumaine.

Ce qui se recèle dans l’âme de l’homme qui a peur, est une ferveur religieuse soudaine, méconnue, qui découvre  le divin et l’implore.

Ce qui, dans le  sous-sol du monde rationnel, inflige une douleur moderne, de nature obsessionnelle, est l’impact économique de la situation, la raréfaction des biens et des activités, la stagnation des salaires, le chômage de masse, l’insécurité dans les villes, la révolte des affamés et des démunis, la crise d’autorité des pouvoirs et l’apparition de révoltés et d »émeutiers, qui apparaissent bien venus, généreux et justifiés.

Révoltes qui traversent la société selon des clivages ethniques et religieux, d’autant plus intenses et profonds, que la société est communautaire et tribale, bref, multiculturelle et pré-moderne.

Or la misère divise et l’autorité unit et protège, car la peur grandit le pouvoir et lui accorde générosité, grandeur et piété, la somme des sentiments humains les plus élevés, soutenus par la force physique.

La pandémie engendre effondrement, politique et moral, mais elle n’affaiblit pas l’esprit de lucre, elle le suscite et lui donne une justification nouvelle.

Par ailleurs, les pandémies légitiment le pouvoir et le renforcent, car le besoin de protection est une constante psycho-politique dans l’Histoire.

L’ampleur de la pandémie est aujourd’hui aussi profonde et cache une vulnérabilité stratégique face à des « compétitors », tentés par des armes biologiques.

Le confinement de masse, l’effondrement des économies
et les politiques budgétaires des principaux pays

Le confinement de masse, exigé par les autorités publiques, engendre un effondrement des économies nationales en Europe.

La protection sanitaire a un coût, l’arrêt de la consommation et celui de la production.

La dissolution du corps politique d’une société montre, dans les situation de crise aiguës, les limites d’un modèle économique et social, qui ouvre sur un scénario catastrophe, celui de l’après pandémie.

L’imprévisibilité générale sur le vieux continent suscite deux réactions conjointes, l’absence de coordination commune sur les politiques sanitaires, et la divergence sur le mode de financement des politiques budgétaires des principaux pays.

En France, le désarroi sur les conflits d’intérêts a concerné le choix des politique sanitaires et a opposé Mr. Lévy, ancien Directeur de L’Iserm et A.Buzyn, ancienne ministre de la Santé, au Professeur Raoult, éminente virologue de Marseille et pourtant dénigré, ainsi qu’une mobilisation des média maelstream, pour encourager une réaction, tournée vers la résilience, la coopération et la solidarité.

Au même temps, les effets d’annonce des différents gouvernements, concernant les promesses de soutien budgétaire de la part des principaux pays, ont impliqué l’Union européenne et suscité divisions et dissonances graves, entre Italie, Pays-Bas et Allemagne, sur l’utilisation des instruments communs (aides d’État ou euro-bonds). 
La couverture des difficultés exceptionnelles, en termes de coûts sanitaires et de relance de grandes infrastructures, a été l’occasion d’un contraste de lecture et de vision entre le premier Ministre Italien G.Conte, la Chancelière allemande A.Merkel et le premier Ministre Hollandais, Marc Rutte, aboutissant à  une interprétation divergente des traités européens, prévus en leurs temps pour des situations de gouvernance courante et non exceptionnelle. Suite à cette entorse de la solidarité une question de fond s’affirme et peut se formuler ainsi:

« L’Europe existe-t-elle encore? »

« Veut-elle encore s’aider soi même, ou s’imaginer, à tort, d’aider ses États-membres, sans en avoir la légitimité institutionnelle? »

La rapidité de décision et le caractère massif des interventions étatiques dans le monde, montre aux opinions l’efficacité et la  réactivité des différents pays et leurs souci de ne pas rater la reprise, en l’encourageant sans répit. 

Au sein de l’Union européenne, par contre, une loi spéciale, votée et ratifiée le 11 mars, sur « l’état de danger » du pays, par le Parlement hongrois, permet désormais au premier Ministre V. Orban de gouverner par ordonnance et pour une durée indéterminée.

Le jour après, Ursula von Leyen, aussi absente et tardive dans l’émergence sanitaires de l’Union, a rappelé à l’ordre Budapest et mis en garde les 27 sur les mesures urgentes décrétées en Hongrie et sur les dérives autoritaires supposées de la part de V.Orban, ouvrant la voie à une dictature présumée.

Ce qui dicte la priorité idéologique d’Ursula von Leyen est moins la santé publique ou la sortie de la pandémie, que la surveillance  intrusive de la Commission sur un État-membre dissident et le respect d’un statu-quo de vide stratégique existant et pré-existant

En termes de promesses de soutiens à l’économie, voici quelques rappels en chiffres, concernant:

– les États-Unis, 2000 milliards de dollars+1000 dollars par citoyen et 500 pour chaque enfant

– Allemagne,1100 milliards d’euros

– France, 300 milliards d’euros

– Italie 50 milliards d’euros

– BCE, émission d’eurobonds pour 750 milliards (quantitative easing – plan d’urgence de rachat de la dette publique et privée)

– les autres pays de l’Ue, selon des quantités décroissantes.

Les besoins ne seront pas comblés par ces mesures, mais les mesures annoncées sont à interpréter comme des signaux d’inversion des tendances.

Le confinement et la peur ouvrent en France plusieurs fronts de combats, familiaux et civiques (mésententes conjugales, divorces). Si les premiers concernent les psychopathologies individuelles, les secondes, qui touchent au statut des banlieues, rouvrent la page, jamais fermée, de la sécurité collective ainsi que le destin unitaire ou sécessionniste de la nation.

En effet, ici la guerre n’est pas que micro-biologique, mais identitaire, constitutionnelle et raciale et les accrochages se multiplient avec la police, dans « plusieurs poches de résistance ». Dans ces zones explosives (Seine Saint Denis et autres), le relâchement par la Chancellerie de caïds, tenus jusqu’ici en prison, fait reprendre, dans ce vieux man’s land, la rançon des stups et de l’économie illicite, ainsi que  la gestion chaotique de l’ordre.

Le COVID, incubateur stratégique d’une option de fond : germanisation de l’Europe ou européanisation de l’Allemagne

Deux indicateurs institutionnels sont à considérer comme décisifs du bras de fer stratégique que se joue actuellement en Europe:

– La divergence de lecture des traités européens, conçus pour des conjonctures de gouvernance ordinaire entre l’Italie d’une part et l’Allemagne et les Pays-Bas de l’autre sur la manière de subvenir aux coûts sanitaires et de soutenir l’économie en vue de l’après coronavirus. Vis à vis de la rigidité d’interprétation des traités, l’Italie soutient  la thèse de réécrire Lisbonne et Maastricht, afin de penser l’exception (ou la souveraineté) dans l’exercice de la gouvernance des pays-membres. Un pas, très contrasté, vers l’indépendance politique de l’Union, revendiquée par Macron.

– Le gouvernement par ordonnance et à durée indéterminée, voté par le parlement hongrois à faveur d’Orban, qui représente l’hérésie de principe et donc la dérive absolue des « valeurs démocratiques » et de l’État de Droit, surveillée rigoureusement par la Commission et par la Cour européenne de Justice, chargée de soumettre la politique au justicialisme des magistrats. Ce contrôle a soulevé immédiatement une la mise en garde de la part de M.me von Leyen à Budapest, comme la déviance absolue, en situation d’émergence, portant atteinte à l’unité de l’Union, dans cette phase, très délicate, du post-Brexit.

Ce double confinement de deux États-membres, par le bloc intransigeant des pays nordiques, sous direction allemande, fragmente politiquement l’Union européenne et freine ou retarde toute tendance à l’autonomisation et à la liberté de conduite des pays-membres, corsetés par le statu-quo et le vide stratégique de l’Union. Celle-ci vit par ailleurs, politiquement, une conjoncture internationale indécise et d’hésitation Hégémonique, interne et internationale.
En effet, la pandémie en cours affecte à des degrés divers les pays européens et les pays-tiers asiatiques et les transforme en « acteurs-proie » de la scène internationale, dépourvus de capacité de réactivité sur le plan stratégique, productif et logistique, ce qui se répercute sur les alliances militaires et sur leur opérationnalité.

C’est à ce titre que le COVID  devient un incubateur stratégique de l’ennemi interne et du conflit de demain, tant à l’échelle européenne qu’au niveau international et que l’Europe ne peut compter que sur ses peuples, devenus, comme toujours,  « l’ultima ratio regum ».

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