Être ou disparaître : le zemmourisme et les obsédés par les élections présidentielles – Gabriele Adinolfi

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Gabriele Adinolfi est un théoricien politique italien. Il a dirigé la rédaction du journal Orion et lancé divers projets médiatiques et métapolitiques comme le site d’information NoReporter ou le think tank Centro Studi Polaris. Il a aussi parrainé en Italie les occupations illégales d’immeubles abandonnés à destination des familles italiennes démunies, occupations dont la plus connue est la Casapound (dont le nom fait référence à l’écrivain Ezra Pound) et qui est aujourd’hui un mouvement politique national. A partir de 2013 il anime un think tank basé à Bruxelles, EurHope. Les activités de Eurhope et de Polaris aboutissent au projet de l’Académie Europe (2020) qui relie des intellectuels, des activistes et des entrepreneurs de plusieurs pays. Le but de cette initiative est de créer une élite politique et entrepreneuriale apte à influer sur la politique européenne à l’échelle continentale. Dans le cadre de cette Académie Europe, il donne un cours de méthodologie politique.


J’estime que la droite radicale en France donne trop d’importance à l’élection présidentielle, se prenant très au sérieux et prétendant à un poids qu’elle n’a pas.

Je considère aussi qu’elle exagère l’importance des débats et celle de la conquête de l’opinion publique dans la course pour l’Elysée, oubliant les jeux d’influence : elle devrait lire Mitterrand et observer Attali pour se remettre des délires ultra-démocratiques.

Je pense qu’elle devrait travailler au quotidien, dans l’essentiel et le substantiel, plutôt que s’exciter pour une compétition qu’elle se représente à peu près comme un tournoi de foot.

Ceci-dit, elle ne devrait pas snober non plus les effets et les retombées électorales dans plusieurs domaines de la vie française et non seulement française.

Et c’est dans cette optique que j’observe le phénomène Z.

L’offensive de Zemmour en France n’est pas isolée, elle fait partie d’une stratégie globale pour l’Europe à laquelle il faut riposter.

Les raisons vont de la contrefaçon de nos idées aux stratégies politiques téléguidées qui, dans un léninisme parfait, ont deux objectifs précis à atteindre simultanément.

Commençons par l’objectif immédiatement perceptible

Certains veulent faire revenir la camarilla sarkozyste à l’Élysée pour relancer la politique anti-française et anti-européenne (et anti-italienne, pensons à la Libye) que Macron avait renversé au point de lancer un défi à l’hégémonie américaine en Europe. Mais aussi obliger la France à céder du terrain aux Chinois et aux Américains en Afrique et mettre fin à la politique de l’Elysée qui, en les repoussant du Niger, a depuis 2018 réduit les migrations non seulement en France mais en Europe, impulsant un renversement de la tendance en place depuis au moins 1973. (Note de Strategika : nous ne partageons pas cette analyse positive du bilan géostratégique de Macron).

Ce ne sera pas Zemmour lui-même qui opérera ces revirements qu’en principe il ne désire pas mais en freinant la course de Marine Le Pen, il est appelé à permettre à la candidate sarkozyste (Pécresse) de défier l’Élysée et de conquérir la France au nom et pour le compte des internationalistes atlantistes.

Qui vote Zemmour vote Pécresse

C’est un fait élémentaire et lui-même l’a avoué (un lapsus ?) dans l’émission Face à Baba.

Certains nourrissent l’illusion que le polémiste est un homme de la Providence né dans un chou, comme par parthénogenèse. Ce n’est pas le cas. Depuis deux ans, le talentueux orateur dispose chaque soir d’une chaîne de télévision privée, Cnews, qui l’a propulsé au firmament des candidats à la présidence.

Cnews est une chaîne de télévision privée de droite lancée par le groupe Canal +. Elle joue le même rôle que “la 7” auparavant en Italie.

Son patron Bolloré, dont les liens familiaux sont également proches des milieux de la droite libérale, avait comme directeur du groupe Dominique Roux, lequel est le père de Valérie Pécresse, candidate de la droite classique. C’est-à-dire celle que toute cette stratégie pousse vers la présidence.

Comprendre le “format” Zemmour et sa cible électorale

La stratégie Zemmour suit un “format” qui a déjà fait ses preuves en Grèce entre 2017 et 2019.

A l’époque, il fallait forcer le déclin d’Aube Dorée pour favoriser la droite. La télévision Teleasty a été créée par l’homme politique et magnat Giorgos Karatzaferis, diplômé de la London School of Journalism (tiens, tiens…). Cette télévision a tenu une ligne populiste extrémiste concurrente qui a empêché de justesse Aube Dorée d’atteindre le quorum pour rester au Parlement et a permis au parti du journaliste Kyriakos Velopoulos, “Solution Grecque”, fondé en 2016 et se disant conservateur (toujours les coïncidences…), de remporter dix sièges.

Les soutiens de l’”ennemi” du système

Les soutiens dont bénéficie Zemmour sont considérables et jamais dans l’histoire de la France personne n’en a eu autant dans cet environnement politique (la droite de la droite).

Outre le financement, qu’on examine l’équipe pour comprendre. Autour de lui, des personnalités de la droite réactionnaire, dont Philippe de Villiers qui, avant d’être emporté par un scandale privé, était devenu un personnage public en se présentant à l’élection présidentielle de 1995 dans le seul but avoué de retirer des voix à Jean-Marie Le Pen afin de l’empêcher d’accéder au second tour et en tout cas de réduire le pourcentage du Menhir et par conséquent son pouvoir contractuel. Peu après, la même droite anti-FN a travaillé à la scission mégrétiste de la fin de 1998, laquelle avait été largement financée. Une bonne partie des scissionnistes de cette époque soutiennent désormais Zemmour.

Son équipe de direction de campagne comprend en outre des sarkozistes historiques convaincus.

Remplacement ethnique

Le deuxième objectif n’est pas l’Elysée mais la réalisation, en France aussi, d’une substitution d’orientation, d’âme, d’esprit et de culture dans un milieu, celui de la droite plus ou moins radicale, qui dans l’Hexagone a toujours eu des militants.

En bref, il s’agit de renverser le Rassemblement national, de mettre Marine hors-jeu et d’imposer un tournant zemmourien, conservateur, néo/théocon et classiste.

On va nous objecter que Zemmour a repris les thèmes abandonnés par Marine, elle a modéré son discours mais lui radicalisé le sien. Foutaises ! La réalité est très différente. Marine n’est certes pas son père, elle est le leader d’une France populiste, elle est probablement myope mais avec bon sens elle a toujours abordé les questions que Zemmour ” soulève ” en proposant des solutions viables, certainement plus que lui. Les exaspérés ont cependant besoin de mots enflammés, même s’ils sont castrateurs, et même si, tels qu’ils sont formulés, n’ont aucun autre résultat possible que celui d’intimider ceux qui, au sein du prochain gouvernement, devront s’occuper de la question et, par conséquent, celui d’encourager la reprise de la migration de masse. C’est l’extrémisme en tant que maladie infantile. Et en tant que premier ennemi du radicalisme.

La “diabolisation” de Zemmour

Pour ces raisons, Zemmour doit être diabolisé d’office : pour qu’il puisse, en réaction obligatoire, faire serrer en haut lieu les fermetures des flux en provenance d’Afrique et pour qu’il arrache des électeurs à Marine Le Pen.

Le brave homme se plaint donc d’être traité comme un fasciste, un raciste et même un antisémite bien qu’il soit Juif. En réalité, s’il avait vraiment été boycotté, il aurait subi ce qui arrive à tous ces censurés qui, très rarement trouvent un forum : menaces à leurs employeurs, répression fiscale, black-out, blocage de la publicité. En fait, quelqu’un avait bien essayé d’appliquer cette dernière mesure, mais plusieurs personnalités sont intervenues en défense de Zemmour pour l’empêcher.

Un boycott très modéré et bien étrange d’une personne qui a été inventée comme candidat par les médias et pas seulement par CNews, mais qui – comme l’a souligné le leader de gauche Mélenchon – a été projetée pendant trois mois jusqu’à la déclaration de sa candidature par une moyenne de 164 articles par jour plus des interviews vidéo et des passages télévisés. Dans le même temps, le candidat Florian Philippot, qui a pourtant plusieurs élus locaux à ses côtés et qui a mené la campagne contre le “passe sanitaire” pendant des mois, a disparu des médias. Des médias qui, à l’époque, avaient bien occulté Le Pen (ce qui est même arrivé à Almirante, le chef du MSI, en Italie).

Pas de boycott donc mais une “diabolisation” complaisante et complice

N’oubliez pas que les réseaux sociaux ont supprimé les pages de Trump alors qu’il était à la Maison Blanche.

Youtube a pompeusement interdit la vidéo de candidature de Zemmour aux mineurs. Étant donné que cela est techniquement impossible, rappelons-nous aussi que les mineurs ne votent pas. La chaîne ne l’a pas censurée, elle l’a laissée en ligne tout en permettant à la “victime” de se présenter comme étant l’objet d’une conspiration.

Et que dire des manifestations antifa au meeting de Villepinte ? Les antifa protestent et attaquent toutes les réunions du FN (maintenant RN) depuis des années, mais c’est la première fois que les gens de SOS Racisme réussissent miraculeusement à entrer : cela fait bien entendu beaucoup plus de publicité.

Une identité problématique

Zemmour fait constamment référence à l’identité et à la civilisation, mais il a des comptes non réglés avec lui-même.

Il ne s’agit pas seulement de contradictions historico-politiques ou de ses identifications quelque peu mythomaniaques avec Napoléon et De Gaulle tout en se référant au légitimisme et en faisant un clin d’œil à Vichy. Un syncrétisme possible et au fond pas très grave, même si Mitterrand avait déjà fait beaucoup, beaucoup mieux que lui en la matière. Le problème réside plutôt dans une identité non résolue qui transparaît sans cesse. Nationaliste français, il considère l’Europe comme une projection de la France, dont il revendique l’Italie du Nord et la Catalogne. Il assume l’identité historique anti-anglaise, mais est un ami de Farrage et a lancé sa campagne depuis Londres. Sa vision judéo-chrétienne de la civilisation l’amène à rejeter une grande partie de ses racines. Ses ancêtres pourtant étaient pour la civilisation judéo-musulmane et ont échappé à la Reconquista au nom de laquelle il a nommé son parti. D’origine berbère, si non arabe, puisque beaucoup à l’époque se berbérisaient pour s’”ennoblir”, il doit encore se réconcilier avec ses racines.

C’est probablement pour ces raisons que nous avons son fanatisme anti-musulman et certaines déclarations telles que celles selon lesquelles la Palestine n’existe pas mais est une invention du KGB.

Parmi les nombreuses et impressionnantes boutades extrémistes contre ce “mal absolu”, il y a aussi la solution d’imposer un nom français pour les assimiler. Comme il dit lui-même, qu’il s’appelle Eric en public et Moshé à la synagogue, l’effet est donc inverse puisqu’il est devenu un extrémiste biblique. Mais pas que ça.

Son cadre idéologique est maurrassien, mais la pensée maurrassienne est née en opposition aux oligarchies juives ; en se créant un imaginaire maurrassien-juif, quoi qu’on puisse penser de cette illumination, en quelque sorte il dessine une identité trans-identitaire, comme une version transgenre de la pensée. Tout à fait dans notre temps d’hommes qui errent à l’identité désintégrée. Il est probable qu’il ressente lui-même un fort problème d’identité qu’il ne peut résoudre, de sorte qu’il se retrouve ainsi prophète de l’anéantissant désert pour une droite fluide et trans-identitaire. La communauté juive par principe désavoue sa nature qu’elle voit comme hybride et confuse.

Les bonbons aux enfants

L’une des qualités-défauts des gaulois est qu’ils pensent souvent comme des enfants.

Il est naturel que les enfants s’identifient aux jeux auxquels ils jouent et perdent le sens de la réalité ; ainsi, aussi cartésiens qu’ils veuillent être, ils supplient qu’on les laisse jouer et détestent qu’on leur rappelle la réalité, comme lorsqu’on leur a fait remarquer, en vain, que la ligne Maginot ne les protégeait pas des invasions allemandes, exactement là où ceux-ci étaient déjà passés deux fois.

L’opération Zemmour, pour certains, c’est le don de bonbons à la sortie de l’école. Vous avez pourtant un bel avertissement contre les pédophiles, mais les bonbons ont l’air trop bons. Soyons précis : Zemmour lui-même est une victime innocente bien qu’agissante de cette pratique à laquelle on cédera toujours à cause de la mégalomanie infantile commune aux étoiles du moment mais aussi à certains milieux politiques excités et naïfs.

Certains des radicaux de droite qui l’ont rejoint sont agis par la rancune, par la revanche, par le calcul, mais la plupart d’eux sont des enfants trompés qui doivent continuer à être aimés et qu’il faudra consoler lorsque les bonbons seront épuisés et que l’illusion cédera la place à la détresse.

Stratégie en tache d’huile

Zemmour n’est pas seulement une falsification française. Son offensive fait partie d’une stratégie qui a – et comment se tromper ? – deux objectifs précis.

Le premier est politique et s’inscrit dans le cadre du conflit entre les puissances. L’impérialisme en Europe vise à mettre à son service les appareils qui entendent représenter et régenter les deux tendances vivantes aujourd’hui : les populistes et les verts. Utiliser ces forces contre la croissance, l’émancipation et l’indépendance de leurs propres peuples, voilà le programme, et c’est pour cela que les souverainistes ont été utiles et que les conservateurs le seront encore plus, car on ne parlera plus de souveraineté, mais on parlera beaucoup de la préservation des privilèges des vassaux des maîtres !

Le second s’inscrit dans la guerre métaphysique et spirituelle du Chaos contre le Cosmos ; le Chaos est transgenre, fluide et trans-identitaire et, caractéristique première du satanisme, il est caricatural : il se fait passer pour l’Ordre, tout en détruisant les fondements de celui-ci. Il se montre exactement le contraire de ce qu’il est : c’est peut-être la définition la plus correcte du zemmourisme.

Un bon score

“Si je ne suis pas là – dit Zemmour – Marine Le Pen sera à 25% et Mme Pécresse ne sera pas au deuxième tour”.

S’il est là – disent certains – il redressera la ligne molle du nationalisme et contraindra Marine Le Pen à lâcher, comme si c’était le fond du problème.

S’ils font un bon score tous les deux – disent des autres – on va donner un signal important au prochain Président. Certes, mais pas n’importe comment. Parce que si Zemmour freine Marine et pousse Mme Pécresse à l’Elysée il n’y aura aucun signal à envoyer vu que la stratégie qui a produit le zemmourisme aura atteint son but.

Si le prochain Président sera Macron et s’il voudra ralentir ultérieurement l’immigration, si harcelé par Marine, leur dialectique sera réaliste et donc on pourra aller dans cette direction que l’extrémisme, non radical, en sauce Huntington, affirmé par Zemmour ne peut qu’enliser. (Note de Strategika : là encore nous ne partageons pas cette vision positive de la dialectique Macron-Le Pen).

Et si le gap entre Marine et Mister Z ne sera pas considérable, il est probable qu’aux législatives la droite nationale disparaîtra, victime de sa guerre interne. Et du vide ne sortira en suite autre chose qu’une droite musclée et imbécile à l’anglo-américaine.

Être ou se désintégrer

Nous sommes au milieu d’une offensive anti-racines qui implique des remplacements.

C’est pourquoi, début décembre, le vice-président de Vox a souhaité depuis le Parlement aux Espagnols une bonne Hannoukah et que, quelques jours plus tard, l’ancien maire de New York, Giuliani, est venu à Rome pour pontifier à la kermesse de Fratelli d’Italia.

Ne nous limitons pas à remarquer, indiquer le type de matrice qui est imposé pour remplacer la matrice d’origine. Qu’elle soit juive ou anglo-saxonne est moins problématique que le fait qu’elle soit substitutive et servile. Ceux qui n’ont pas d’identité propre ne cessent d’en parler, de la chercher, de la coudre sur eux-mêmes, hybride, improbable, au surplus sans même le talent du polémiste français dans cette tentative désespérée. C’est peut-être moins pire, puisque c’est inoffensif, de chercher une identité en Russie ou en Chine, mais c’est toujours la même histoire, la même tare et le même effondrement intérieur.

Le problème est toujours le même : il faut être pour devenir ce que l’on est. Être, pas exister ; être, pas paraître ; être, pas se construire ; être, pas se montrer comme.

Il n’est pas possible de réaliser le processus inverse, c’est-à-dire de parvenir à l’être par son propre devenir, sa propre opinion et sa propre attitude : il n’en résulte que des identités artificielles, lesquelles sont la proie du désastre existentiel et d’un équilibre politique fondé, de plus en plus, sur la confrontation entre des personnes différemment déséquilibrées.

La révolution créatrice et contre-subversive est la seule réponse. Autrement dit, tout le contraire de Zemmour et du petit théâtre qui se joue aujourd’hui à la droite de la bourgeoisie occidentale.

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