Opposition de velours, vision procustienne et paralysie volitive – Iurie Rosca

Source : telegra.ph – 27 mars 2022 – Iurie Roșca

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Je reviens sur un sujet abordé dans une vidéo, il y a quelques jours, sur les deux types complémentaires, et non pas contradictoires, d’opposition politique en Roumanie. Le même phénomène s’observe, en effet, dans les autres pays ex-communistes aussi, mais seulement en Roumanie il est particulièrement accablant et étouffant.

J’ai défini les deux types de contestation du pouvoir politique à partir de la position de parti politique, d’homme politique singulier, de journaliste ou d’analyste « d’opposition contrôlée » et « d’opposition convenable ».

La première catégorie est une vieille ruse pour les démocraties de masse, dominées par le spectacle public de la concurrence entre divers groupes politiques, qui se disputent leur primauté dans l’exercice du pouvoir. «L’opposition contrôlée» est celle créée par le gouvernement ou par les cercles de pouvoir qui contrôlent ce gouvernement (réseaux d’influence étrangers, services spéciaux, groupes financiers). Ce type d’opposition est parfaitement conscient du rôle qui lui est assigné en échange d’avantages matériels. Il s’agit de ce que l’on appelle dans le langage sociologique français un «simulacre», c’est-à-dire une contrefaçon, une imitation du rôle d’opposition politique pour occuper ce créneau politique afin de ne pas admettre l’émergence et la consolidation d’une véritable opposition, qui pourrait représenter un réel danger pour le pouvoir. Autrement dit, ce sont des imposteurs, souvent recrutés par des services spéciaux, stimulés financièrement et généreusement promus dans les médias dominants, qui accomplissent consciemment la tâche assignée par ceux qui les contrôlent dans l’ombre.

La deuxième catégorie est représentée par les personnes regroupées dans le cadre des partis politiques, mais aussi des militants politiques indépendants ou des journalistes et commentateurs qui, n’étant pas en complicité avec les gouvernants, ni recrutés par des services spéciaux ni corrompus, restent quand même dans le lit du pouvoir dominant. Ceux qui font partie de « l’opposition convenable », pratique une critique acharnée du pouvoir, contestant sincèrement tous ses abus et ses déviations, mais leur critique ne dépasse pas les frontières tracées de l’extérieur, après la colonisation du pays.

Cet état d’esprit ou cette vision procustienne du phénomène politique et de la place et du rôle du pays dans le système international, attribuée, après la chute du communisme, n’est pas perçue par ceux qui se situent dans la deuxième catégorie, comme étant déshonorante, abusive et discriminatoire.

Parmi les exceptions qui honorent le peuple roumain, qui a compris et conceptualisé avec maturité et patriotisme exemplaire l’intérêt national du pays dans les nouvelles conditions historiques d’après la chute du communisme, figurent les économistes Anghel Rugina, Constantin Cojocaru et Ilie Serbanescu. Bien sûr, il existe d’autres personnalités publiques qui contestent le système qui s’est mis en place au cours des trois dernières décennies, notamment dans les milieux culturels, académiques, universitaires, socio-humaines, mais, généralement, leurs critiques ne s’élèvent pas à un niveau de critique approfondie et à la capacité de crayonner des solutions alternatives.

Toute approche solide des réalités visant la société impose la nécessité d’une vision large de l’ensemble des réalités géopolitiques et géoéconomiques à l’échelle mondiale. Dans la langue de bois de l’anglais dominant, on dirait qu’il faut voir la situation dans son ensemble (to see the big picture). Et, dans ce sens, pour être en mesure de régler son appareil optique aux paramètres corrects afin de comprendre véritablement ce qui se passe dans le monde et dans le pays, l’homme politique et, respectivement, l’analyste, a besoin de l’aide de quelques armes intellectuelles indispensables. Autrement dit, il a besoin d’une formation académique satisfaisante et, à la fois, d’un esprit critique fort développé.

Mais, le plus souvent, ce sont justement ces qualités qui font défaut à ceux qui se manifestent dans l’espace public. Les causes de la présence massive des médiocres sont faciles à comprendre, mais combien cela fait mal à ceux qui sont encore capables d’un exercice minimum en autonomie, après plus de 30 ans de guerre cognitive. Je vais m’arrêter brièvement sur ces causes.

Les peuples appartenant à la zone dominée par les communistes n’avaient pas d’autre modèle auquel aspirer et convoiter que le modèle occidental. Par conséquent, avec l’effondrement du communisme, le monde de notre espace possédait déjà une prédisposition psychologique pour accepter le modèle occidental. L’intérêt national, lui-même, mais aussi l’intérêt personnel, se confondait à l’homologation de tous les secteurs sociaux à la « norme occidentale ». L’adaptation des institutions politiques, de l’économie, du système éducatif, de la culture, de l’échelle de valeurs elle-même au standard occidental représentait une obsession généralisée.

Trop peu de gens se sont rendus compte à ce moment-là, mais aussi au fil du temps, de la posture ingrate dans laquelle nous nous trouvions. Le statut de subalternes, de redoublants guidés par les super-hommes politiques de l’Occident envoyés pour nous civiliser, ne nous dérangeait pas du tout. Au contraire. Cela nous motivait à devenir, nous aussi, comme eux. Ainsi, l’occidentolâtrie était et reste une véritable religion d’État, un culte obligatoire qui a son propre clergé avec le statut de dignitaires et de diplomates occidentaux, ainsi que des « experts » du vaste réseau d’ONG financées et idéologiquement alimentées par l’Ouest. Des catégories comme la démocratie, l’État de droit, l’économie de marché, les droits de l’homme, sont devenues sacrées.

Pourtant, après des années de fascination, d’imitation aveugle et de vénération de l’Occident collectif, certains d’entre nous (dont moi-même) ont commencé à ressentir un quelconque malaise psychologique, à pressentir par intuition que quelque chose n’allait pas vraiment bien ni avec ce modèle de société qui nous avait été prêté, ni avec la position internationale du pays. Sans cette triste expérience historique des trois dernières décennies, presque personne d’entre nous n’aurait eu la capacité de prédire comment les choses allaient évoluer.

Mais comment expliquer que, malgré l’état désastreux dans lequel nous nous trouvons, si peu de voix contestent ouvertement et fortement ce système dominant ? Je résumerai ici quelques-unes de ces raisons qui inhibent la capacité de réflexion d’une grande majorité et paralysent le désir de contestation de ceux peu nombreux qui ont le sentiment que quelque chose ne tourne pas rond.

1. Avec la disparition du régime communiste, le seul système de référence qui pouvait remplacer l’ordre ancien semblait être celui de l’Occident. „La troisième voie » dans le domaine des théories politiques, de celui de l’économie, de l’organisation de la société dans son ensemble est passée inaperçue.

2. Les sociétés ex-communistes s’étaient retrouvées dévastées du point de vue idéologique, institutionnelle, économique et psychologique.

3. Le vacuum paradigmatique de l’esprit collectif des sociétés ex-communistes a été comblé par le paradigme libéral.

4. Le système occidental de valeurs a accaparé la vision sur le monde de l’homme à peine sorti du communisme.

5. La guerre cognitive menée contre nos nations avec des méthodes douces a été écrasante. La raison de la totale victoire des stratèges occidentaux s’explique par l’absence de toute résistance des peuples cibles, qui n’avaient pas pris conscience de l’agression noologique et axiologique dirigée vers eux et, par conséquent, n’ont absolument rien fait pour se défendre.

6. La colonisation économique, politique, éducative, culturelle et – plus largement – civilisationnelle a été reçue par les peuples de notre espace comme une aubaine.

7. L’adhésion à l’OTAN et à l’UE a été et reste comprise comme naturelle et nécessaire, vue comme faisant partie des processus qui seraient soumis à une légitimité historique immuable et qui profiteraient aux intérêts nationaux des pays ex-communistes.

8. Les réseaux d’influence occidentaux sont entrés massivement dans nos pays en capturant l’acte décisionnel au niveau des hiérarchies étatiques, ainsi qu’au niveau de l’économie nationale, du milieu universitaire et des médias.

9. L’homme de l’espace ex-communiste est formé par l’école, la presse, par d’innombrables séminaires et des formations pour tous les secteurs sociaux dans l’esprit du paradigme occidentocentriste.

10. Les quelques intellectuels qui ont compris la nature impérialiste et antichristique des centres de pouvoir occidentaux évitent d’affronter ouvertement le système par peur d’être ostracisés, discrédités et marginalisés.

Dans les conditions de la desouverainisation jusqu’au vidage complet du contenu, les politiciens roumains continuent de rester les captifs du discours dominant. Et avec eux, les autres acteurs publics. Revenant à la catégorisation faite en début de cet article, je préciserais aussi ce qui suit. Alors que les acteurs de «l’opposition contrôlée» font le jeu du pouvoir par vénalité, ceux de «l’opposition convenable» se sont cantonnés dans le même serre joint idéologique pour deux raisons complémentaires: le conformisme et l’ignorance.

Ainsi, ces vrais maîtres de la Roumanie appartenant aux réseaux d’influence occidentaux peuvent jouer leur jeu librement, tant que personne ne cherche à les démasquer. Tant que personne ne fait appel au principe axiomatique de « Connais ton ennemi! », ne définit avec compétence et courage les enjeux majeurs de la politique au niveau international et n’offre non plus des alternatives solides, alors ceux nommés par nous, par convention, des globalistes seront sûrs que personne ne franchira leur status quo mis en place par leur propre volonté.

L’obéissance idéologique et conceptuelle, soigneusement façonnée à travers des ingénieries sociales des neuro-pirates occidentaux (Lucien Cerise), qui persiste aujourd’hui dans le milieu intellectuel, me rappelle la période soviétique. A l’époque, toute critique devait obligatoirement s’inscrire dans l’idéologie marxiste-léniniste. Tout le monde reconnaissait la justice de la ligne officielle, tout le monde échouait dans la coquille de la « pensée captive » (Czesław Miłosz), tout le monde était avec le parti. La dissidence était alors, sous le régime communiste, et demeure aujourd’hui encore, sous le régime libéral, un «rara avis». Et celui qui risque de briser ces schémas, est considéré comme un fou. Seulement, à l’époque les risques pour les dissidents étaient beaucoup plus importants, alors qu’aujourd’hui la lâcheté et la docilité remplacent miraculeusement la peur de la mort ou le renvoi au GOULAG de l’époque précédente.

Ce type d’aveuglement idéologique et de paralysie de la volonté sont d’autant plus graves, contrairement à la période communiste, car aujourd’hui tout intéressé peut avoir accès à une infinité de sources d’information, livres dans n’importe quelle langue, presse alternative, réseaux sociaux. En Europe occidentale ont été écrits de nombreux ouvrages académiques qui exposent le système kleptocratique planétaire, l’essence inhumaine du néo-libéralisme, la nature monopolistique du système économique mondial basé sur la corporatocratie, les monopoles, l’usure, les énormes inégalités et les obsessions démoniaques. L’école de pensée souverainiste d’Occident a généré une véritable élite intellectuelle et politique, de plus en plus visible et vigoureuse. Mais cela ne semble pas avoir eu d’impact sur ceux qui habitent dans notre espace public.

Le moment historique vraiment exceptionnel que nous vivons, exige le dépassement rapide de nos propres préjugés et naïvetés. Sinon, la Roumanie ne sera pas seulement privée de la chance d’échapper au rôle déshonorant d’objet de la géopolitique des centres de pouvoir atlantistes, mais elle risque même de se désintégrer territorialement et de disparaître de la carte du monde. C’est urgent que l’ankylose intellectuelle, les obsessions psychologiques et les angoisses doivent être surmontées au plus vite possible.

Dans le contexte de l’agression des centres de pouvoir basés en Occident contre le monde entier en imposant l’Agenda 21, le covidisme comme prétexte au meurtre par injection de milliards de personnes, les plans démoniaques pour annuler la propriété privée, l’élimination de l’argent liquide, l’établissement d’un revenu minimum universel, l’encodage forcé, la numérisation totalitaire, la surveillance et le contrôle, l’instauration d’une technocratie mondiale comme forme ultime de dictature, l’imposition de l’agenda transhumaniste et le LGBT, il n’y a plus de place pour des manœuvres tactiques et plus de temps pour de longues réflexions. Il est impératif de rejeter catégoriquement, totalement, radicalement toute forme de domination exercée par l’Occident collectif envers les peuples du monde entier.

Et, pour la Roumanie, un programme de résouveranisation du pays doit inclure sans droit d’appel au moins quelques points clés qui remettront en question la conception actuelle des choses telle quelle en l’état actuel. On doit partir du postulat même que le modèle qui nous est imposé depuis 1989, est un modèle antinational, qui métamorphose le pays dans un protectorat de la ploutocratie mondialiste. Voici quelques éléments essentiels pour un tel programme.

1. Au cœur de toute politique de tout secteur social il faut placer la vision orthodoxe du monde. L’identité collective du peuple roumain est inconcevable en dehors de la matrice byzantine, du Christianisme Oriental.

2. Tout acte législatif, toute décision prise par les organes du pouvoir de l’Etat doit être conforme à la morale chrétienne-orthodoxe.

3. Il est absolument nécessaire d’abandonner le bloc de l’OTAN en tant qu’alliance politico-militaire qui met en danger la sécurité nationale du pays, ainsi que l’adoption ultérieure de neutralité de l’État.

4. Étant donné que l’Union européenne est l’expression concentrée de la domination des sociétés transnationales sur les nations européennes, l’instrument d’asservissement politique et de colonisation économique, la Roumanie va devoir quitter cette organisation supranationale.

5. Les relations internationales du pays seront fondées sur des principes d’avantage mutuel, de bon voisinage, de non-agression et de respect de la souveraineté de chaque État.

6. Étant donné que la guerre en Ukraine a accéléré l’effondrement du modèle économique international basé sur le système de Bretton Woods, la Roumanie renoncera aux prêts du FMI et de la Banque mondiale.

7. Étant donné que l’Organisation Mondiale du Commerce impose de manière insidieuse et abusive le régime de libre-échange dans le commerce international, qui ne profite qu’aux entités privées transnationales et désavantage les États, la Roumanie recourra à l’ouverture des procédures d’abandon de cette organisation.

8. La politique économique de la Roumanie sera basée sur les principes de la souveraineté économique, les mesures protectionnistes représentant la seule chance de renaissance du pays.

9. Étant donné que l’Organisation Mondiale de la Santé a été capturée par des cercles mafieux de Big Pharma et impose en catimini le programme satanique de dépopulation en instituant les prétendues vaccinations obligatoires, la Roumanie se retirera de cette organisation.

10. La nouvelle politique de résouveranisation du pays va exclure tout financement extérieur des médias, des organisations non gouvernementales et des communautés religieuses.

Je sais bien qu’une telle attitude choquera beaucoup de gens. Je sais aussi bien que toutes les accusations habituelles et le dénigrement contre moi seront repris. Mais, je ne saurais rester indifférent en regardant que le pays s’effondre et ceux qui se considèrent élites, se vautrent dans le marais du libéralisme et de la religion des droits de l’homme. Je sais que l’inertie de la pensée est difficile à vaincre. Et je sais encore que prendre une longueur d’avance sur les autres est une occupation ingrate, qui n’apporte pas de louanges, mais au contraire, des reproches. Je voudrais finir par un parallèle entre le moment historique d’aujourd’hui et celui de la fin de l’URSS.

L’impasse dans le projet mondialiste d’aujourd’hui me rappelle de manière frappante l’ancrage dans le projet communiste qui a existé dans le milieu des élites de ces moments-là, entre les 1985 et 1991. Même si la nouvelle politique de Gorbatchev avait proclamé une certaine ouverture, connue sous les deux termes clés de « Perestroïka » (réformer) et « Glasnost » (la liberté d’expression), étaient autorisés seuls les discours publics dans les limites de la doctrine officielle, c’est-à-dire une sorte de marxisme réformé, avec Lénine comme phare suprême et avec le rôle dirigeant de l’immuable Parti Communiste. Ceux qui étaient perçus par le grand public comme des leaders, des « monstres sacrés », les écrivains, les élites, les « intellectuels » restaient encrés à ce piège idéologique. La plupart par opportunisme, d’autres par pure bêtise. « Le communisme à visage humain » était à l’ordre du jour. Et nous, ceux qui avions osé de défier le régime, de rejeter le marxisme, d’exiger l’interdiction du Parti Communiste, du KGB et le retrait de l’Armée Soviétique de notre territoire, nous étions considérés comme des fous ou, pire, des provocateurs. En ce moment astral de notre histoire, « les géants de la nation », les maîtres de l’art local, mais aussi de l’adoration du soi, se sont révélés à la fois peureux, naïfs et dépourvus de clairvoyance.

Aujourd’hui l’histoire se répète. Au fait, j’ai déjà eu la chance de recevoir quelques reproches. Mais, que voulez-vous dire par sans l’OTAN ? Comment sortir de l’UE ? Comment abandonner le modèle occidental ? Eh bien, qu’est-ce qu’on fait ? Retourner au communisme ? Tu veux que l’on nous reproche d’être avec les Russes ?

C’est là que réside l’impasse intellectuelle dans laquelle se retrouvent aujourd’hui certains leaders d’opinion. Le manque d’imagination se chevauche avec le manque de connaissances approfondies, et les deux sont aggravés par le manque élémentaire de courage. Car il n’ pas besoin de parler du manque d’esprit de sacrifice dans une société libérale, mollé, dévitalisée, démasculinisée, effondrée dans le cloaque de l’hédonisme et de la médiocrité.

Et pourtant, malgré cette réalité déprimante, j’espère dans un proche avenir qui saura nous apporter la surprise d’avoir de véritables leaders.

Une pensée sur “Opposition de velours, vision procustienne et paralysie volitive – Iurie Rosca

  • 30 mars 2022 à 6 h 01 min
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    Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant-coureur de la fin ? Alexandre Soljénitsyne

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