Grégor Puppinck : Euthanasie, le double discours radical de l’ADMD

Source : valeursactuelles.com – 27 septembre 2023 – Gregor

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Le directeur de l’European Centre for Law & Justice (ECLJ), Grégor Puppinck, décrypte la position de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et la volonté de celle-ci d’aller plus loin une fois adoptée une loi sur l’euthanasie.

L’ADMD s’enorgueillit — avec raison — d’être à l’origine du débat sur l’euthanasie et le suicide assisté en France, d’avoir su imposer ses idées et jusqu’à son vocabulaire. Elle a l’oreille du gouvernement et tient la plume de parlementaires ; connaître sa pensée est donc essentiel pour comprendre le débat sur l’euthanasie. Si elle se limite aujourd’hui à réclamer la légalisation de l’euthanasie volontaire des adultes malades, sa retenue actuelle sur l’euthanasie des mineurs, des personnes handicapées ou âgées est purement stratégique, et relève de la technique du double discours.

« Être dix fois plus radical »

Interrogé durant une assemblée générale de l’association sur l’opportunité d’“aller plus loin” que le texte discuté actuellement, de réclamer l’extension de l’euthanasie aux mineurs, aux personnes âgées et aux personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer, Jean-Luc Romero — président emblématique de l’ADMD jusqu’en 2021 — répondit qu’il y avait un débat interne sur cette question mais que l’association « n’avait pas souhaité aller plus loin, en disant, stratégiquement, ce n’est pas le moment ». L’important serait déjà de faire adopter « le socle » de la loi autorisant le principe de l’euthanasie. Plus tard, dans un second temps, « comme les Belges ont amélioré leur texte, on l’améliorera » ; la Belgique a, en effet, largement étendu l’accès à l’euthanasie aux mineurs et aux personnes dépressives depuis la loi initiale. Cette retenue de l’ADMD ne serait donc qu’une simple stratégie de dissimulation pour ne pas « donner un chiffon rouge » aux opposants, suivant l’expression de Jean-Luc Romero, mais celui-ci ajoute que si sa proposition de loi ne passe pas en 2023, alors il faudra réfléchir à une autre proposition, « et là, peut-être, être dix fois plus radical ».

L’actuel président de l’ADMD, Jonathan Denis, ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit en 2022 : « Comme la loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse, telle que votée en 1975, était très incomplète, nous devons craindre que la loi qui sera proposée au vote des parlementaires, en 2023 nous dit-on, ne réponde pas à l’ensemble de nos revendications […]. Nous devrons accepter des concessions qui ne seront que temporaires, transitoires. Car dès lors que le principe même de l’aide active aura été voté, le front des anti-choix aura été brisé et nous pourrons enfin avancer rapidement et faire évoluer la loi vers ce que nous souhaitons tous : une loi du libre choix qui ne comporte aucune obligation pour quiconque. [1] »

Cette façon de manier le double discours n’est pas récente à l’ADMD. Déjà en 1985, Paul Chauvet, alors président de l’ADMD, écrivait : « Il conviendra donc toujours d’avancer sur deux plans : celui de la demande acceptable aujourd’hui, et celui affirmé, confirmé, de l’idéal recherché, pour faire progresser notre objet. [2] »

Un mouvement issu du courant eugéniste des années 1930

Quel est donc “l’idéal recherché” de l’ADMD, “dix fois plus radical” que le projet de loi actuel du gouvernement ? Il y a lieu de s’inquiéter lorsque l’on connaît l’histoire de l’ADMD et des mouvements euthanasiques. Car il ne faut pas oublier que ces mouvements sont directement issus du courant eugéniste des années 1930 et furent souvent ouvertement favorables à l’euthanasie forcée des personnes grabataires et handicapées, et des nouveau-nés handicapés. Il faut donc aller lire directement aux sources de l’ADMD pour se faire une idée plus précise de sa pensée.

Une recherche dans les Bulletins de l’ADMD révèle que sa position à l’égard de l’euthanasie forcée fut encore débattue en 1988, lorsque le bureau de l’association proposa de modifier ses statuts pour déclarer explicitement qu’elle « s’oppose à l’euthanasie qui ne serait pas l’expression d’une volonté libre et réfléchie de la personne ». Il s’agissait alors de mettre un terme à toute ambiguïté sur la question. Pudiquement, le bulletin suivant de l’association indique que cette proposition suscita de grandes difficultés et fut finalement rejetée [3].

Certes, plus tard, l’ADMD a déclaré s’opposer « à toute euthanasie pratiquée sans demande de la personne concernée », mais tout en soutenant des personnes poursuivies en justice pour avoir euthanasié des patients sans leur consentement. Ce fut le cas dès les années 1980, lorsque l’ADMD se réjouissait de l’acquittement de Pierre Thébault, un infirmier ayant tué une femme de 86 ans ayant une fracture du col du fémur [4], ou encore en 2013 lorsque l’ADMD soutenait le Dr Bonnemaison poursuivi en justice pour avoir empoisonné sept patients hors d’état d’exprimer leur volonté.

L’apologie du suicide

La pratique de l’euthanasie forcée trouve une justification théorique dans la conception de la dignité humaine, portée par des fondateurs et responsables historiques de l’ADMD. Le fait que cette association insiste aujourd’hui sur l’importance du principe d’autonomie individuelle n’est pas contradictoire avec l’euthanasie forcée, car le principe du respect de l’autonomie individuelle résulte de la conviction selon laquelle la dignité réside dans la maîtrise de soi, la conscience et la volonté individuelles. Dès lors, la mort serait préférable à “l’indignité” de la perte d’autonomie. Dans le Bulletin, des responsables de l’ADMD citent cette phrase de Nietzsche : « On devrait mourir fièrement, quand il n’est plus possible de vivre avec fierté. [5] » Il est vrai que l’idéal supérieur de l’ADMD n’est pas l’euthanasie des personnes mourantes ou inconscientes, mais le suicide volontaire des personnes qui craignent de se voir dépérir. Pour Odette Thibault, théoricienne et cofondatrice de l’ADMD, le suicide « est le seul moyen de mourir… vivant [6] », c’est « la suprême autonomie, celle qui définit l’être humain… avant qu’on ne la perde tout à fait [7] ». Quant au sénateur Henri Caillavet, un ancien président de l’ADMD, « le suicide conscient est l’acte unique authentique de la liberté de l’homme [8] ». Cette apologie du suicide comme acte de liberté s’exprime en contrepoint d’une peur tout aussi extrême de la déchéance physique et de la dépendance. Pour Caillavet, « lorsque nous sommes morts en nous-mêmes, pourquoi maintenir une flamme vacillante ne permettant plus qu’une existence végétative, sinon proche de la sénilité ? Est-ce vivre que de ne plus être autonome, de dépendre d’autrui, de ne plus être capable d’intégrer le monde extérieur et d’être parfois soumis à un acharnement thérapeutique illusoire ? Certainement pas [9] ».

De ce point de vue, un être privé d’autonomie et de capacités relationnelles ne serait pas ou plus vraiment humain. Comme l’écrit Odette Thibault, « tout individu ne possédant plus ces facultés peut être considéré dans un état sous-humain ou infra-humain, poussé à l’extrême dans le cas du débile profond [10] ». Dès lors, ajoute-elle, « beaucoup d’individus sont des morts-vivants, déjà morts à l’humain bien avant la fin de leur vie organique [11] ». Les tuer ne serait donc pas un meurtre, puisqu’ils seraient déjà morts à l’humanité ; et cela ne violerait pas leur autonomie individuelle puisqu’ils en sont démunis. Plus encore, mettre fin à une vie devenue inhumaine permettrait de préserver son humanité de la déchéance, et serait donc un bien. Ici encore, Odette Thibault écrit : « Prolonger cette déchéance est, à mon avis, une des plus graves atteintes qu’on puisse porter à la dignité humaine. [12] »

La sénilité, une charge pour la société

À ces arguments sur l’indignité et l’inhumanité de la fin de vie s’ajoutent des considérations économiques, sur la charge sociale des personnes handicapées et séniles. Odette Thibault écrit encore à propos des personnes âgées : « Dès qu’ils sont inutiles, ou qu’ils représentent une charge supplémentaire, comme c’est le cas dans les périodes de pénurie, on est content de les voir disparaître. [13] » Un autre administrateur historique de l’ADMD, Albert Cuniberti, ajoute, dans le bulletin de l’association : « L’acharnement que l’on met à conserver une dérisoire caricature de vie à un nombre croissant de vieillards qui ne le souhaitent pas, coûte de plus en plus cher et devient pour la société une charge de moins en moins supportable. [14] »

De telles citations ne manquent pas parmi les écrits des fondateurs et dirigeants de l’ADMD. Ces convictions extrêmes font directement écho aux origines eugénistes et néomalthusiennes du mouvement euthanasique, elles donnent une idée de ce à quoi pourrait ressembler une proposition de loi “dix fois plus radicale” de l’ADMD, ainsi que de la direction de la “pente glissante” dans laquelle ce lobby veut pousser la société française.

Illustration :

En janvier 2023, manifestation à Paris contre l’avortement et l’euthanasie. Photo © SEVGI/SIPA.

Notes:

[1] Lettre de l’ADMD, 27 septembre 2022.

[2] Paul Chauvet, « Rapport moral et d’orientation en vue de l’assemblée générale du 15 juin 1985 », Bulletin de l’ADMD numéro 17, avril 1985, p. 5 à 13.

[3] Bulletin de l’ADMD numéros 29 et 30, 1988.

[4] Bulletin de l’ADMD numéro 18, octobre 1985, p. 21.

[5] Nietzsche, Crépuscule des idoles, trad. Hémery, Gallimard, 1974, p.129, reproduite dans le Bulletin de l’ADMD numéro 26, décembre 1987, p. 19.

[6] Odette Thibault, « Faut-il changer la loi ? Pourquoi j’ai écrit mon testament de vie », Bulletin de l’ADMD numéro 12, octobre 1983, p. 20.

[7] Odette Thibault, « Mourir à la carte, j’ai fait un rêve… », Bulletin de l’ADMD numéro 24, juin 1987, p. 13.

[8] Caillavet, « L’euthanasie, un mot qui ne doit pas faire peur », ibid., p. 6.

[9] Bulletin de l’ADMD numéro 26, décembre 87, p. 3.

[10] Odette Thibault, la Maîtrise de la mort, Éditions universitaires, 1975, p. 163.

[11] Ibid., p. 78.

[12] Ibid., p. 196.

[13] Ibid., p. 79-80.

[14] Albert Cuniberti, « Réflexion d’un septuagénaire sur la vieillesse, la mort, et sur l’ADMD », Bulletin de l’ADMD numéro 25, septembre 1987, p. 32-35.

2 pensées sur “Grégor Puppinck : Euthanasie, le double discours radical de l’ADMD

  • Ping :Grégor Puppinck : Euthanasie, le double discours radical de l’ADMD — Der Friedensstifter

  • 4 octobre 2023 à 16 h 31 min
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    Rappelez-vous la « Balade de Narayama », le film nippon des années 70 qui a dévoilé l’euthanasie des personnes âgées jusqu’au XIXème siècle dans les campagnes. Les enfants les accompagnaient vivants de gré ou de force jusqu’à une sorte de cimetière en plein air dans la montagne où ils mourraient sans doute de faim. Pour ma part, on (3 enfants) a gardé notre mère atteinte de la maladie d’Alzheimer chez elle pendant 9 ans. On a notre conscience d’être humain pour nous, même si, à sa mort, on fut soulagés de ce dénouement.

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