L’Elite Oligarchique Occidentale : Son Développement (Partie 1)

Finn Andreen, jan. 2024
Finn Andreen est un libertarien suédois vivant en France, membre du Cercle Bastiat et du Mises Institute (USA).

Il existe aujourd’hui une élite oligarchique occidentale ayant une influence politico-économique démesurée et même néfaste pour la société. Il semble donc essentiel de résumer son évolution historique dans cette première partie, et de dévoiler ses moyens et ses fins actuels dans un deuxième temps.

Tout d’abord, il faut reconnaitre qu’il est naturel et nécessaire pour toute société d’avoir une élite. Le penseur libéral Murray Rothbard, opposant constant de l’étatisme, évoqua l’idéal des « aristocrates naturels », qui « vivent en liberté et en harmonie avec leurs semblables, et s’élèvent en exerçant leur individualité et leurs plus hautes capacités au service de leurs semblables, soit dans une organisation, soit en produisant efficacement pour les consommateurs. ».

Une société libre a besoin de tels « aristocrates naturels » car ils sont ses principaux moteurs et inspirateurs. Les grandes initiatives entrepreneuriales et associatives sont prises par des personnes particulièrement clairvoyantes et motivées, prêtes à faire des sacrifices et à prendre des risques. Toute la société bénéficie indirectement des initiatives de ces personnes.

Le problème n’est donc pas l’existence d’une élite en soit, mais le fait qu’elle n’est plus composée principalement d’ « aristocrates naturels » comme ce fut le cas, mais surtout d’ « aristocrates artificiels » ; « ceux qui gouverne par des moyens de coercition » pour reprendre Rothbard ; c’est-à-dire, avec l’aide de l’État. Les penseurs machiavéliens ont été les premiers à conceptualiser cette élite oligarchique de manière systématique ; ils l’appelèrent la « minorité organisée et dirigeante », en opposition à la majorité désorganisée et dirigée.

Comme écrivit le plus éminent historien de cette « école élitiste italienne », Gaetano Mosca, dans son chef-d’œuvre, La Classe Dirigeante ; « le pouvoir public n’a pas été et ne sera jamais fondé sur le consentement explicite de la majorité parce qu’il a été et sera toujours exercé par cette minorité organisée qui a eu ou aura les moyens, variables selon les époques, d’imposer sa suprématie à la multitude ».

En effet, quand elle devient oligarchique, la minorité dirigeante utilise la coercition pour influencer, plus ou moins fortement, les décisions politiques et même les valeurs sociales, dans ses propres intérêts économiques et idéologiques. Mais elle n’est évidemment pas toute-puissante et omnisciente ; non seulement son pouvoir n’est jamais acquis, mais elle n’exerce pas toujours son pouvoir très habilement.

Comme ailleurs, les sociétés occidentales ont toujours eu des « minorités organisées », mais celles-ci ont évolué avec le temps. Le pouvoir politique de cette élite n’a cessé d’augmenter au rythme de l’expansion de l’Etat et du capitalisme de connivence que celui-ci rend possible. Comme écrivit Mosca déjà dans les années 20 ; « dans la mesure où l’État absorbe et distribue une plus grande partie des richesses publiques, des meneurs de la classe dirigeante disposent de plus de moyens d’influence arbitraire sur leurs subordonnés et échappe plus facilement au contrôle de quiconque. »

Il ne faut donc pas penser que l’introduction de la « démocratie » a réduit l’influence de cette minorité dirigeante sur la société, car ce système politique s’est inexorablement accompagné d’un développement considérable de l’Etat. En effet, même dans une « démocratie libérale », la majorité désorganisée n’a pratiquement aucune influence sur, par exemple, la politique étrangère, monétaire, de défense, d’immigration, et de santé de leurs gouvernements.

Il est possible d’identifier trois phases de l’évolution de la relation de la minorité dirigeante avec le reste de la société.

Phase 1 : Une Minorité Nationale, Economique et Industrielle

La minorité dirigeante occidentale était pendant longtemps au 19ème siècle assez proche de la version idéale d’élite naturelle présentée par Rothbard ci-dessus. En l’absence d’Etats forts et en l’absence total d’institutions supranationales, il est possible parler alors, au pluriel, de minorités dirigeantes, donc plutôt nationales qu’internationales, au pouvoir économique plus que politique, et plutôt industrielles que financières. En effet, en France, Saint-Simon parla des « industriels », qu’il décrit dans une lettre ouverte à Louis XVIII comme étant les « chefs naturels et permanents du peuple ».

Ces minorités ont naturellement toujours pensé à leurs intérêts en premier (même s’il est vrai qu’elles furent aussi philanthropes). Néanmoins, l’augmentation de prospérité dont l’Occident a bénéficié pendant le « long » 19ème siècle s’explique en grande partie par les investissements de ces minorités dirigeantes.

La relation entre ces minorités dirigeantes et le reste de la société étaient donc plutôt symbiotique, malgré des tensions réelles liées aux conditions du début de l’industrialisation ; tensions exploitées et amplifiées avec succès par les groupes socialistes de l’époque. Par exemple, jusqu’à la Première Guerre Mondiale, ces minorités dirigeantes étaient adeptes de la déflation, du libre-échange, et préféraient maintenir un contrôle via l’étalon d’or.

Phase 2 : Une Minorité Internationale, Politique et Financière

La minorité dirigeante moderne s’est consolidée, avec le développement du capitalisme financier vers la fin du XIXème siècle, autour du pouvoir grandissant et de plus en plus politique des « banquiers internationaux » et de leurs familles étendues. L’historien Carroll Quigley identifia les principales d’entre elles comme étant : « Raring, Lazard, Erlanger, Warburg, Schroder, Seligman, Speyers, Mirabaud, Mallet, Fould, et surtout Rothschild et Morgan. ». Il les décrivit ainsi :

« Ces familles bancaires restaient différentes des banquiers ordinaires sur des points distinctifs : elles étaient cosmopolites et internationales ; ils étaient proches des gouvernements et étaient particulièrement préoccupés par les questions de dettes publiques ; leurs intérêts étaient presque exclusivement dans les obligations, car ils admiraient la « liquidité » ; et ils étaient dévoués à l’usage secret de l’influence financière dans la vie politique. »

« L’influence du capitalisme financier, et des banquiers internationaux qui l’ont créé, s’est exercée à la fois sur les entreprises et sur les gouvernements, mais n’aurait pu faire ni l’un ni l’autre s’il n’avait pas réussi à les persuader d’accepter deux « axiomes » de sa propre idéologie. Ces deux idées reposaient sur l’hypothèse que les hommes politiques étaient trop faibles et trop soumis aux pressions populaires temporaires pour se voir confier le contrôle du système monétaire. Pour ce faire, il était nécessaire de dissimuler, voire d’induire en erreur, les gouvernements et les citoyens sur la nature de la monnaie et ses méthodes de fonctionnement. »

Dans cette deuxième phase donc, la minorité dirigeante occidentale émerge, internationale, politisée et d’orientation surtout financière. Cette description du noyau de la minorité dirigeante occidentale est encore la même aujourd’hui, en dépit des grands changements du système financier depuis un demi-siècle. Autour de ce noyau, il faut évidemment aussi compter parmi cette minorité des politiciens et des hauts fonctionnaires, ainsi que des éditeurs de grands médias, et les dirigeants de beaucoup de multinationales occidentales.

Comme mentionné, cette politisation de la minorité dirigeante est intimement liée à l’expansion rapide du rôle de l’Etat dans la société à partir de la fin du XIXème siècle, qui augmenta d’abord son contrôle sur la production (mainmises étatiques sur des industries clefs), puis sur la monnaie (abandon de l’étalon d’or), puis sur la consommation (introduction de contrôles de prix). Comme disait le critique libéral Albert Jay Nock, « il est plus facile de s’emparer des richesses (des producteurs) que de les produire, tant que l’État fait de la saisie des richesses de la spoliation légalisée. »

La minorité dirigeante occidentale commença dans cette deuxième phase à nuire à la société, même si l’impact n’était pas toujours si visible. Néanmoins, ses financements irresponsables de la révolution russe ainsi que de l’Allemagne nazie, décrits en détail par l’historien Anthony Sutton, ont eu probablement une influence majeure sur le cours de l’Histoire…

Avec la deuxième guerre mondiale et la montée du Keynésianisme, l’inflation monétaire – ce fléau artificiel dont pâti la majorité – devint un important outil d’enrichissement des grandes institutions bancaires. Puis, la financiarisation voulue de l’économie occidentale dans les années 70 ont éloigné de plus en plus les intérêts de la minorité dirigeante des intérêts de l’économie réelle où participe la majorité. L’élite oligarchique occidentale entre alors dans sa troisième phase, qui sera décrite dans la deuxième partie de cet article.

Une pensée sur “L’Elite Oligarchique Occidentale : Son Développement (Partie 1)

  • 24 février 2024 à 19 h 36 min
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    Bonjour,
    D’ un point de vu historique, il est difficile de présenter sous un aspect vertueux les rapports entre élite dominante et peuple dominé. Dans la plupart des cas l’usage du pouvoir débouche sur des abus .. à quelques exceptions près.

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