Subvertir la modernité
Source : geopolitika.ru – 27 septembre 2024 – Claude Bourrinet
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Le vocable « subvertir » présente la fâcheuse connotation d’une action violente, et l’on notera que sa première attestation, au 12ème siècle, en français, dans le Psautier de Cambridge, appartient au lexique biblique, en l’occurrence vétéro-testamentaire, puisqu’il s’agit de Psaumes, vocabulaire souvent chargé d’énergie belliqueuse. Et ce n’est certes pas là une tonalité inattendue et déconcertante, car, contrairement au « paganisme », qui considérait le supra-humain comme la légitimation du Monde, quoique la piété et l’équité ne soient étrangères ni aux Grecs, ni aux Romains, le judaïsme est une rébellion contre la société établie, immanquablement pervertie par le Mal. C’est pourquoi la première acception du terme, dans notre langue, renvoie à l’idée de destruction, en l’occurrence, dans ce psautier, d’une ville.
La signification du verbe latin – qui s’apparente au mot roman, démarquage savant de clerc – est encore plus précise et détaillée : il est constitué du préfixe « sub- », qui suggère une poussée destructrice du bas vers le haut, et du verbe « vertere », qui signifie « tourner, changer, transformer ». On retrouve la même signification de « tourner » dans le mot « révolution », mouvement de retour à l’origine, comme une boucle. Aussi bien l’idée de « révolution » a-t-elle été, à l’origine, un projet à haute teneur mythique, ou mystique, que l’on remarque aussi bien chez les païens, de l’Inde à l’Océan (et même en Amérique précolombienne), l’avènement de l’Âge d’or, celui de Saturne, que dans les religions issues du judaïsme, lorsque le péché (qui est métaphysiquement la scission d’avec Dieu, la Chute, le Diable étant celui qui scinde) sera résorbé dans la miséricorde divine, l’Éden étant le recouvrement de l’Unicité de Dieu, éprouvée comme une résolution totale dans son sein, l’ego, le petit soi s’anéantissant dans son Amour infini.
L’universalisation du message biblique a engendré un travers pervers. Sa malignité ne provient pas à proprement parler de la violence, parfois féroce, que la dérivation de l’idée de subversion du « Ciel » vers la Terre », de son acception mystique à sa dimension politique et historique, a engendrée, (la brutalité de l’existence étant, toutes choses égales par ailleurs, toujours la même, quelle que soit la croyance commune), mais de l’erreur de perception, une perception quasi diabolique, qu’elle suppose.
On sait que les musulmans distinguent le djihad mineur et le djihad majeur. Les poncifs fleurissant dans notre Occident peuplé de diplômés incultes, il est bon de souligner combien cette conception appartient aussi au christianisme. Saint Bernard (illustration, ci-dessus), au 12ème siècle, a prêché la Guerre Sainte, promettant le salut à celui qui mourrait en combattant l’Infidèle. Ce Djihad guerrier, dont la source se trouve dans la Bible, et dans la tradition essénienne (Saint Bernard ignorait ce dernier point, mais le Nouveau Testament est imprégné de cette spiritualité du désert et du combat – les anas christiques sont garnis de mots belliqueux : le fer, l’incendie, le feu, etc.), se retrouvera plus tard, notamment contre l’Empire ottoman, ou même actuellement, grotesquement, en défense du « judéochristianisme ».
Mais, pris de scrupules, l’abbé de Clairvaux ne manque pas de rappeler que la « guerre sainte » se situe aussi, et avant tout, dès le seuil du monastère franchi. Car le djihad majeur est d’abord le combat que l’on mène contre soi-même, contre son amour-propre (l’égocentrisme), contre son propre état de pécheur. Dans ce sens, l’action de « subvertir » consiste à détruire en soi-même les effets de la Chute, et de « retourner », subvertir son âme, pour la diriger vers Dieu.
L’oubli de cette « Guerre sainte » intérieure a ouvert la voie aux pires égarements, et à ce que les religions du Livre nomment l’idolâtrie : fétichisme des bannières guerrières, nationales, communautaires, adulation de sa propre image, de l’action en tant que telle, surtout si elle a la vertu de flatter le narcissisme, amour de l’argent, de la réussite, vue comme signe d’élection, fanatisme, persuasion de sa propre supériorité, par exemple « démocratique », « libérale », ou raciale. L’éventail du crime imbécile est aussi large que l’est la somme des présomptions de l’homme. Cela va de la vanité du peuple se croyant « élu », et, à ce compte, autorisé à réduire en esclavage le reste de l’humanité, voire à en délivrer une grande partie de la surface de la terre, à l’homme qui fait preuve de « bonne volonté » en œuvrant par des actes caritatifs fort médiatisés, et, sans trop même s’en apercevoir, jouit de sa bonté, comme d’autre d’un bon dessert qui flatte les papilles, ou comme un moi hyperbolisé à l’échelle des capacité de diffusion des télévisions et des radios.
On voit par ailleurs que, comme il est maintes fois rappelé dans le Livre, la guerre amène la guerre, le sang, le sang, le fer, le fer. L’expérience historique nous démontre aussi, par la praxis, que la domination et la soumission résultent souvent de la subversion politique, et que les « libérations » promettent inévitablement de nouveaux esclavages, quels qu’ils soient. A cela, nulle surprise, dès lors qu’on ne prend pas en considération le principal ennemi de la véritable liberté : soi-même. Les luttes politiques, guerrières, « révolutionnaires », subversives ont en effet le fatal résultat de conforter le « Vieil homme », de l’endurcir, de le rendre encore plus hautain, orgueilleux, et impitoyable.
Or, notre monde semble se « retourner » : il quitte une séquence dont le début coïncide avec l’Antiquité gréco-romaine et le triomphe des religions du Livre. Ce qui ne signifie nullement que son legs doit disparaître. Mais aucune « épistémè », aucune vision du monde, n’a vocation à l’emporter sur les autres. Cependant, la perspective – un nihilisme plat – la plus communément empruntée, dans notre civilisation technique et matérialiste, consumériste et narcissique, est la négation du Divin, par détestation, mais aussi par un mouvement de dégoût, comme d’un rappel qui plaque sur le pire des désagrément : son propre vide. Rejet qui ne va pas sans soubresauts. On connaît ces explosions de subjectivisme que l’on trouve dans les sectes, des Évangélistes aux bouddhistes de salon, mouvements qui appartiennent autant à la queue frémissante de l’anabaptisme puritain et pourrissant, qu’au New Age. Dans le même temps circule une angoisse diffuse, qui pousse certains à rechercher désespérément, du côté de l’Islam, notamment dans sa mouvance soufie, ou de celui des cloîtres, une voie de salut.
Nul ne sait ce que sera le monde dans cinq cents ans. Nous sommes dans une phase intermédiaire, de transition. Toujours est-il que l’on ne doit pas attendre un temps qui ne sera plus le nôtre, quand on sera mort. Les mystiques insistent souvent sur le caractère urgent de se sauver hic et nunc, ici et maintenant. Christianisme comme Islam présentent ce salut comme la sensation prégnante que l’on échappe au temps lorsque, par l’ascèse, des exercices spirituels, on arrive à s’unir à Dieu dans la vie présente. Cette idée, on peut aussi la rencontrer dans les religions orientales ou dans les Écoles philosophiques de l’Antiquité. A mon sens, la véritable subversion se situe dans cette région de l’existence, non ailleurs.
On nous a indiqué la voie à suivre depuis fort longtemps et il n’y en a qu’une. » Regnum Dei inter nos est « . Vous êtes vous même la pierre philosophale, votre propre coeur est la matière première qui doit être transformée en or pur. William Shakespeare a écrit » l’enfer est vide tous les démons sont ici « . Il n’y a point de juste, pas même un seul. Nul ne sait ce que sera le monde ( démon ) dans 500 ans, mais dans les 5 ans qui viennent, oui.