[ La machine de propagande de l’UE ] Les sables mouvants du pouvoir budgétaire

Source : mars 2025 – Thomas Fazi

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Depuis le début des années 2000, l’Union européenne n’a cessé de contrer la défiance des citoyens et la montée des partis populistes en finançant des « ONG ». USAID made in the EU.

Premier volet : [ Intro ] La machine de propagande de l’Union européenne

Pendant des décennies, le budget de l’UE a principalement été consacré à la Politique agricole commune (PAC), au développement régional et aux projets d’infrastructures. Ces projets étaient largement perçus comme des instruments destinés à garantir les conditions d’un marché commun et à promouvoir la convergence des niveaux de vie.

Cependant, au milieu des années 1990, face à la baisse de confiance du public dans le projet européen et au rejet du traité de Maastricht par les électeurs danois en 1992, la Commission européenne a commencé à envisager d’engager un “dialogue civil” avec le public afin de renforcer la légitimité de l’UE. Elle a ainsi commencé à financer systématiquement des campagnes visant à promouvoir le sentiment de citoyenneté et d’appartenance européenne par le biais de programmes tels que L’Europe contre le racisme et Jeunesse pour l’Europe.

Constatant la faible participation aux élections du Parlement européen de juin 1999, le Comité économique et social européen (CESE) s’est déclaré alarmé par le “désenchantement démocratique” des citoyens européens, de plus en plus sceptiques quant au fonctionnement des partis et des responsables politiques 1.

L’année suivante, un document de réflexion de la Commission européenne, rédigé par le président de la Commission européenne Romano Prodi et l’un de ses vice-présidents, Neil Kinnock, affirmait noir sur blanc que les ONG pouvaient aider les responsables politiques à atteindre leur objectif d’une “union sans cesse plus étroite” en agissant comme relais d’opinion et en promouvant l’intégration européenne au plus près des citoyens :

En encourageant les ONG à collaborer pour atteindre des objectifs communs, les réseaux d’ONG européennes contribuent de manière significative à la formation d’une “opinion publique européenne”, généralement considérée comme un préalable à la création d’une véritable entité politique européenne. Parallèlement, cela contribue à promouvoir l’intégration européenne de manière concrète, souvent au niveau local. […] Les ONG européennes, leurs réseaux et leurs membres nationaux peuvent servir de canaux supplémentaires à la Commission pour garantir que l’information sur l’Union européenne et ses politiques atteigne un large public2.

Les échecs référendaires ultérieurs – le rejet par les électeurs français et néerlandais du projet de Constitution européenne en 2005 et le rejet par les électeurs irlandais du traité de Lisbonne en 2008 – ont tous suscité la même réaction à Bruxelles : si les citoyens votent contre le projet européen, la seule explication possible était leur ignorance des avantages évidents de l’intégration européenne.

Comme l’a déclaré Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement européen : “Nous n’avons pas suffisamment expliqué les avantages de la construction européenne […] Nous avons été trop modestes3”. Par conséquent, de nombreux nouveaux rapports ont été publiés, soulignant l’urgence pour la Commission européenne de remédier aux “problèmes de communication” de l’UE, principalement en renforçant son “engagement” auprès de la société civile.

Cette évolution progressive vers l’utilisation du budget de l’UE comme outil de propagande des “valeurs de l’UE” est devenue de plus en plus évidente depuis les années 2010, notamment suite à la crise financière et au déclin de la confiance du public dans le projet européen qui en a résulté, ainsi qu’à la montée des partis populistes antisystème dans les États membres.

Pour contrer ces tendances, la Commission a lancé L’Europe pour les citoyens, un programme officiellement destiné à rapprocher les citoyens de l’Union européenne, principalement en s’engageant auprès des organisations de la société civile. Ce programme s’est déroulé de 2007 à 2013 dans sa première phase (avec un budget de 215 millions d’euros), suivie d’une seconde phase de 2014 à 2020 (avec un budget de 229 millions d’euros).

Cependant, nombreux sont ceux qui ont exigé une approche plus stricte et plus proactive dans l’utilisation du budget pour promouvoir et faire respecter les “valeurs” de l’UE, déplorant que les mesures existantes se soient révélées inefficaces pour empêcher l’arrivée au pouvoir de gouvernements “autocratiques” dans des pays comme la Pologne et la Hongrie 4. Cela a conduit à l’introduction en 2020 du Règlement sur la conditionnalité relative à l’état de droit, un mécanisme censé renforcer le respect des “valeurs de l’UE” par les pays en permettant à la Commission européenne de retenir des fonds aux gouvernements qui enfreignent l’État de droit (tel que défini par Bruxelles).

Suite à l’introduction du nouveau règlement, l’UE a gelé 6,3 milliards d’euros de fonds de cohésion destinés à la Hongrie, ainsi qu’environ 6 milliards d’euros de subventions du fonds de relance Covid-19 Next Generation EU (NGEU), invoquant des inquiétudes concernant des irrégularités dans les marchés publics, des inefficacités dans les poursuites et la corruption. Parallèlement, soulevant des inquiétudes similaires, la Commission a également gelé près de 140 milliards d’euros de fonds européens destinés à la Pologne, alors gouvernée par le parti conservateur Droit et Justice (PiS).

Le nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) de l’UE pour 2021-2027 a consolidé le budget de l’UE comme outil de promotion des “valeurs” de l’Union en augmentant significativement l’allocation budgétaire destinée à la promotion des “droits et valeurs”, principalement par le biais du nouveau programme Citoyens, Égalité, Droits et Valeurs (CERV)5.

Cette initiative a été saluée par les partis de l’establishment et les ONG de gauche libérale. Comme l’a déclaré l’une d’elles : “Le prochain CFP pourrait bien être la dernière occasion pour l’UE de prendre des mesures aussi audacieuses pour préserver ses valeurs, compte tenu de la popularité croissante des partis d’extrême droite, qui limitera la marge de manœuvre de l’UE à l’avenir6.

A suivre : [ La machine de propagande de l’UE ] Le budget, outil de l’ impérialisme culturel ?

Notes :

1Comité économique et social européen (EESC), The Civil Society organised at European level, Proceedings of the First Convention, Brussels, 15 & 16 October 1999 eesc.europa.eu

2Commission européenne, The Commission and non-governmental organisations: building a stronger partnership, Commission discussion paper, 18 January 2000 eur-lex.europa.eu

3Cité dans des travaux de Lee Rotherham et Lorraine Mullally, “The hard sell: EU communication policy and the campaign for hearts and minds” Open Europe, December 2008 tinyurl.com

4Lire par exemple R. Daniel Kelemen, ‘The European Union’s Authoritarian Equilibrium’, Journal of European Public Policy, Volume 27, Issue 3, 2020 tandfonline.com

5Journal officiel de l’Union européenne, “Council Regulation (EU, Euratom) 2020/2093 of 17 December 2020 laying down the multiannual financial framework for the years 2021 to 2027” eur-lex.europa.eu

6Civil Liberties Union for Europe, Two proposals to promote and protect European values through the Multiannual Financial Framework: Conditionality of EU funds and a financial instrument to support NGOs, March 2018 cloudfront.net

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