La fin de l’Axe de la Résistance ? Qui sont les hauts responsables iraniens tués par l’attaque israélienne
Source : legrandcontinent.eu – 15 juin 2025 – Pierre Ramond
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Jeudi, dans la nuit, Israël a lancé contre l’Iran une opération d’une ampleur historique qui pourrait modifier en profondeur la géopolitique du Moyen-Orient. La rédaction est mobilisée pour suivre cette séquence inédite. Pour soutenir ce travail indépendant et recevoir nos analyses en temps réel, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent
Le profil des dirigeants iraniens tués, de même que celui de ceux qui les ont remplacés au pied levé, est extrêmement similaire. Il s’agit d’hommes nés à la fin des années 1950 ou au début des années 1960, qui ont participé à la Révolution iranienne, puis combattu dans la guerre Iran-Irak au cours de laquelle ils ont fait leurs preuves et gravi les échelons du nouveau régime.
- Leur disparition soudaine pourrait marquer le début de l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants militaires, mais les annonces de remplacements effectuées depuis suggèrent plutôt que leurs doubles ont pris leur place.
- Israël a certes décapité la République islamique de ses principaux commandants militaires, mais il a aussi porté un coup très profond à cette génération qui était parvenue à perpétuer la gloire acquise lors de la guerre Iran-Irak en créant un « axe de la Résistance » dans la région, aujourd’hui effondré.
- Leur disparition marque une nouvelle étape dans la désagrégation de cette stratégie régionale : non seulement ils n’ont pas réussi à accroître l’influence de l’Iran, mais ils ont également échoué à défendre le territoire contre une attaque massive et directe. Or leur légitimité provenait justement de leur capacité à préserver le territoire et à éviter que les bombardements dévastateurs de la guerre Iran-Irak ne refassent surface.
Tuer les principaux cadres pour favoriser un changement de régime ?
Le profil des personnalités tuées, notamment Ali Shamkhani, l’un des principaux cadres de l’appareil politico-stratégique de l’Iran et bras droit du Guide suprême, illustre le désir de changement de régime et de régicide affirmé par Benjamin Netanyahou dans le discours suivant l’attaque.
Ali Shamkhani : la figure centrale du dispositif sécuritaire iranien
La disparition d’Ali Shamkhani est probablement la plus spectaculaire, tant celui-ci incarnait le sommet de l’appareil militaro-stratégique iranien depuis des décennies. Il avait en effet réussi à s’assurer une légitimité auprès de l’État officiel iranien et de l’État profond, ainsi que des Gardiens de la Révolution.
- Né en 1955 dans une famille arabe d’Ahvaz, fait rare pour un dirigeant iranien de premier plan, il devient célèbre lors de la guerre Iran-Irak, au cours de laquelle il officie notamment comme commandant dans le corps du Khouzestan – région du Sud-Ouest de l’Iran, majoritairement arabophone et stratégique pour les opérations de renseignement des Gardiens. À l’issue de la guerre, il est nommé en 1989 par Ali Khamenei général en chef des forces navales des Gardiens de la Révolution.
- Il devient par la suite le ministre de la Défense du président réformiste Mohammed Khatami (1997-2005). Il reste à ce poste pendant huit ans, et détient ainsi le record de longévité d’un ministre de la Défense de la République islamique.
- Pendant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), Ali Shamkhani a occupé différents postes au sein de think tanks de l’État profond, notamment au Conseil stratégique pour les relations étrangères, avant d’être nommé en 2013 secrétaire général du Conseil suprême de sécurité nationale.
- Sa position au sein du Conseil était exceptionnelle pour deux raisons : d’une part, il s’agissait du premier secrétaire général à avoir été commandant d’une armée des Gardiens de la Révolution ; d’autre part, il avait été nommé à ce poste par Hassan Rouhani, mais était également le représentant personnel d’Ali Khamenei, réunissant ainsi les légitimités combinées des deux parties de l’État iranien.
- Il avait été écarté en mai 2023 au profit de Ali Akbar Ahmadian, un commandant des Gardiens de la révolution. Si les raisons de son éviction ne sont pas claires — le préserver de scandales de corruption à venir, la pression d’une partie du régime qui le considérait trop proche de l’administration Rouhani — Ali Shamkhani continuait toutefois à jouer un rôle de premier plan dans l’appareil stratégique iranien, en tant que conseiller du Guide suprême au sein du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime.
- Il avait notamment été l’organisateur et le représentant de l’Iran lors des négociations avec l’Arabie saoudite, soutenues par la Chine, en 2023.

Mohammad Hossein Baqeri : le principal responsable militaire du régime
Mohammed Hossein Baqeri était le plus important officiel de l’armée iranienne, à la tête des forces armées qui comprennent à la fois l’armée nationale iranienne et le Corps des Gardiens de la révolution — il était ce qu’il y a de plus proche d’un Chef d’état-major des armées pour prendre un point de comparaison français — poste qu’il occupait depuis 2016.
- Né en 1958 ou 1960, il fait partie des révolutionnaires de 1979 et des premiers mobilisés lors de la guerre Iran-Irak, dans laquelle son frère aîné, Hassan Baqeri, se distingue rapidement par des faits d’armes, avant d’être tué en 1983. Le général Soleimani disait d’Hassan Baqeri qu’il était à la guerre ce que l’ayatollah Behechti était à la politique.
- Son ascension s’inscrit dans le contexte d’une réorganisation de l’appareil militaire iranien et de la création d’un Commandement conjoint des forces armées au sein duquel il devient responsable adjoint des renseignements en 1988.
- Au cours de la présidence de Khatami (1997-2005), Mohammed Baqeri a pris à plusieurs reprises position contre le président de la République et en faveur de factions ultraconservatrices du système. Il a notamment apporté son soutien à Mohsen Rezaei, commandant en chef des Gardiens de la révolution, contre Mohammed Khatami, et a co-signé une lettre avec d’autres hauts gradés de l’armée qui menaçaient un coup d’État contre le pouvoir politique s’il ne parvenait pas à maîtriser les émeutes étudiantes de 1999.
- Il est promu de façon très soudaine en 2008 au poste de major-général, directement nommé par le Guide, ce qui étonne alors car ni son parcours ni sa visibilité limitée n’auraient en théorie justifié une telle promotion. Tout en restant discret, il a gravi les échelons dans le sillage de Hassan Firouzabadi, commandant en chef des forces armées depuis 1989, qui en fait son homme de confiance avant de quitter ses fonctions en 2016, après un mandat d’une durée exceptionnelle, en raison notamment de problèmes de santé. Mohammed Hossein Baqeri lui a succédé.
- Au poste de commandant en chef des forces armées, il a notamment contribué à développer les relations militaires avec la Russie, la Chine, et la Biélorussie, tout en restant relativement discret par rapport à d’autres commandants militaires, à l’instar de Hossein Salami (cf. infra), jugé plus charismatique.
Il avait théorisé la doctrine de la « nouvelle équation » à la suite de l’attaque de grande ampleur que l’Iran avait mené contre Israël en avril 2024, considérant qu’« une nouvelle équation a été établie avec cette opération : si le régime sioniste attaque, il sera contre-attaqué depuis l’Iran ».

Hossein Salami : le commandant en chef des Gardiens de la Révolution
L’assassinat d’Hossein Salami est un coup majeur porté à l’appareil sécuritaire de la République islamique d’Iran qui perd l’un de ses plus anciens stratèges. Il était l’un des architectes de la prolifération balistique, artisan de l’expansion de l’influence régionale du régime et figure de la militarisation de la répression interne.
Salami était depuis avril 2019, le commandant en chef du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI). Nommé directement par le Guide suprême, il avait succédé à Mohammad Ali Jafari dans un contexte marqué par l’intensification des tensions avec les États-Unis après la décision de retrait unilatéral par Donald Trump en mars 2018 de l’accord sur le nucléaire. Il était l’un des architectes de la prolifération conventionnelle et du renforcement de l’influence régionale de la République islamique d’Iran, notamment à travers les forces Al-Qods des Gardiens.
- Né à Golpayegan (province d’Ispahan) en 1960, il s’engage au sein des Gardiens de la révolution au cours de la guerre Iran-Irak, accomplissant ainsi ses principaux faits d’armes. Diplômé d’études aéronautiques de l’université des sciences et technologies d’Iran (Elm-o San’at) à la fin de la guerre, il prend la tête de l’université du commandement et d’état-major des Gardiens de 1992 à 1997, où il contribue à la formation des futurs cadres et à l’élaboration des doctrines militaires.
- En 1997 puis 2005, il prend successivement la tête des opérations des Gardiens puis du Commandement de la force aérienne, qui supervise le développement du programme balistique, y compris son arsenal de drones. C’est dans le cadre de ces fonctions qu’il travaille étroitement avec Qassem Soleimani, figure emblématique de l’influence iranienne dans la région, assassiné à Bagdad par les États-Unis en janvier 2020.
- Son rôle actif dans la prolifération balistique lui vaut notamment une désignation sur la liste des sactions des Nations unies dès décembre 2006 (résolution n°1737), puis mars 2007 (résolution n°1747), et une inscription sur la liste des individus sountenant le terrorisme de l’Office of Foreign Assets Control des États-Unis en 2019.
- En 2009, il est nommé n°2 des Gardiens, poste qu’il occupera jusqu’à sa nomination à la tête des Gardiens en 2019. Il y poursuit activement le développement du programme balistique iranien, ainsi que le renforcement de l’influence régionale du pays à travers l’élaboration d’un réseau de soutien à plusieurs groupes armées (milices chiites en Syrie et en Irak, Hezbollah au Liban, Houthis au Yémen).
- Architecte des doctrines de la politique étrangère, il a également joué un rôle clé dans la répression intérieure, notamment lors des manifestations de novembre 2019 et du mouvement « Femme-Vie-Liberté » après la mort de Jîna Amini en septembre 2022. Dans ce cadre, il a été sanctionné par l’Union européenne, les États-Unis et le Canada pour violations graves des droits humains.

Ahmad Vahidi : le successeur d’Hossein Salami
Sa nomination à la tête du Corps des Gardiens de la Révolution est le symbole de la continuité d’une ligne dure, offensive et idéologiquement fidèle au Guide suprême. Formé pendant la guerre Iran-Irak, fin logisticien du renseignement et des opérations extérieures et figure majeure de la répression interne, Ahmad Vahidi est l’un des vétérans les plus influents du système de sécurité iranien.
- Né à Shiraz (province du Fars) en 1958, il participe activement à la guerre Iran-Irak au sein de la branche du renseignement militaire des Gardiens.
- C’est dans ce cadre qu’il opère au Liban au début des années 1980, en participant — entre autres — à la fondation du Hezbollah en 1982. Il est également impliqué dans les activités de coordination des forces chiites au Liban et en Syrie, et aurait joué un rôle opérationnel dans l’organisation de l’attentat contre le QG des marines américains à Beyrouth en octobre 1983 (241 morts). Ces opérations installent durablement sa réputation « d’artisan » de la guerre asymétrique à l’échelle régionale.
- En 1988, il fonde la force al-Qods, chargée des opérations extérieures des Gardiens, qu’il contribue à façonner dans une logique clandestine et transnationale. En 1994, il est accusé par les autorités argentines d’avoir été l’un des planificateurs de l’attentat contre le centre communautaire juif AMIA à Buenos Aires (85 morts). Cela conduit à l’émission, en novembre 2007, d’une notice rouge Interpol (avis de recherche en vue d’extradition) à son encontre, toujours active à ce jour.
- Nommé ministre de la Défense de 2009 à 2013 sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, Vahidi contribue à la montée en puissance du programme balistique iranien. Il est également l’un des initiateurs d’un rapprochement stratégique avec les forces armées russes, nord-coréennes et vénézuéliennes face à la multiplication des sanctions internationales.
- En 2011, il prend la tête du renseignement extérieur des Gardiens, où il coordonne les opérations clandestines, les liaisons avec les milices — notamment en Irak, en Syrie — et l’architecture du soutien logistique aux forces pro-iraniennes dans la région (Hezbollah au Liban et Houthis au Yémen).
- En 2021, il fait son retour en politique en qualité de ministre de l’Intérieur d’Ebrahim Raïssi. Il joue alors un rôle central dans la répression du mouvement « Femme, Vie, Liberté », et notamment la traque numérique de ses partisans sur les réseaux sociaux. Son implication directe dans la répression des manifestations lui vaut d’être sanctionné par l’Union européenne, les États-Unis, et le Canada, pour violations graves des droits humains et usage disproportionné de la force contre les civils 1.

Esmaeel Qaani : le successeur de Qassem Soleimani
Esmaeel Qaani, qui avait pris la succession de Qassem Soleimani à la tête de la force Qods des Gardiens de la Révolution, a également été tué. Sa mort n’a été annoncée que dans la journée du 13 juin.
- Proche de Qassem Soleimani dont il était le second au sein de la force Al-Qods de 1998 à 2020, il s’était davantage spécialisé dans les opérations à l’Est de l’Iran.
- Après avoir combattu lors de la guerre Iran-Irak, il avait rejoint de 1987 à 1993 le Corps Ansar, qui opère notamment en Afghanistan et en Iran.

Amir Ali Hajizadeh : le « pyrotechnicien » de la République islamique
Amir Ali Hajizadeh, chef de la Force aérospatiale des Gardiens depuis 2009, était l’un des architectes du programme de missiles balistiques iraniens, de l’expansion de son programme de drones (notamment le Shahed 136 utilisé en Ukraine), et l’un des principaux artisans de ses doctrines balistiques.
- Né en 1962 à Téhéran, il rejoint les Gardiens au début de la guerre Iran-Irak, où il sert une unité d’artillerie et du génie militaire, avant de rejoindre l’unité dirigée par Hassan Tehrani Moghaddam — considéré le père du programme de missiles balistiques iraniens.
- Dès les années 1980, il participe à plusieurs missions en Corée du Nord, contribuant à poser les bases de la coopération stratégique et technologique entre Téhéran et Pyongyang.
- Adjoint à l’armement de la division aérospatiale des Gardiens dès 1990, il est nommé à la tête de l’aérospatiale en octobre 2009 où il succède à son mentor, Hassan Tehrani Moghaddam.
- Jusqu’en 2025, il dirige le développement de l’ensemble des vecteurs iraniens (Shahab, Qiam, Dezful, Khorramshahr, Fattah), ainsi que la montée en puissance du programme de drones (Shahed 129 & 136, Mohajer 6).
- Il se distingue également sur le plan opérationnel. En effet, en janvier 2020, il supervise les frappes de représaille sur la base d’Ain al-Assad en réponse à l’assassinat de Qassem Soleimani.
- Quelques jours plus tard, c’est également sous sa responsabilité que la défense anti-aérienne iranienne abat le vol Ukraine International Airlines PS752 (176 morts).
- À partir de 2022 il supervise la vente et la livraisons des drones iraniens (Shahed-136) et de technologies de navigation à la Russie. Il est visé par plusieurs trains de sanctions de l’Union européenne, des États-Unis, du Canada et du Royaume-Uni.
Il est également le planificateur des ripostes balistiques contre Israël en avril et octobre 2024, opérations pour lesquelles il a été récompensé avec la médaille « Fath » décernée par le Guide suprême pour « services exceptionnels dans la défense de la Révolution islamique ».

Gholamali Rashid : le planificateur des attaques iraniennes
Commandant en chef adjoint des forces armées de 1999 à 2016, il était à la tête du Centre de commandement Khatam al-Anbiya, qui a la responsabilité de concevoir et de planifier des opérations militaires conjointes.
- Né en 1953 à Dezful (province du Khouzestan), Rashi est dans sa jeunesse un opposant politique à la monarchie pahlavie, raison pour laquelle il est arrêté par la Savak, police politique de la monarchie, et enfermé plusieurs. C’est dans ce contexte qu’il rencontre Ali Shamkhani et Mohsen Rezaei.
- Il participe à la Révolution iranienne de 1979 et rejoint les Gardiens pour combattre dans la guerre Iran-Irak.
- Après la guerre Iran-Irak, il est pendant dix ans à la tête des renseignements et des opérations militaires au sein du Commandement conjoint des forces armées.
- Il avait été impliqué directement dans la conception de l’attaque contre Israël d’avril 2024 et sanctionné individuellement à ce titre par les pays du G7.
- Il a également été sanctionné en 2024 par l’Union européenne pour son rôle dans la fourniture de drones à la Russie.

Les scientifiques tués
Un certain nombre de scientifiques nucléaires ont été également assassinés pendant les attaques israéliennes, dont six annoncés officiellement par la presse 2.
- Fereydoon Abbasi-Davani, physicien nucléaire, avait dirigé l’Organisation pour l’énergie atomique de l’Iran de 2011 à 2013, après avoir présidé le département de physique de l’Université Imam Hossein de Téhéran. Il avait déjà survécu à une tentative d’assassinat en 2010 à Téhéran. Il était sous sanctions du Trésor américain depuis 2012 pour son rôle dans le programme nucléaire iranien 3.
- Ahmadreza Zolfaghari était professeur d’ingénierie nucléaire à l’Université Shahid Beheshti, la plus réputée du pays. Il était également le rédacteur en chef de la Revue d’énergie et technologie nucléaire. Les images de sa maison, entièrement détruite par une frappe, ont beaucoup circulé sur les réseaux iraniens.
- Amirhossein Feqhi, né en 1979, était professeur de physique nucléaire à l’université Shahid Beheshti. Il était officiellement spécialiste des applications médicales de la physique nucléaire, notamment pour traiter les cancers. La presse israélienne justifie toutefois son assassinat par sa spécialisation dans les réacteurs nucléaires 4.
- Abdolhamid Minoutchehr avait obtenu son doctorat en physique nucléaire à l’université de Moscou, avant de rejoindre l’université de Shahid Beheshti 5. Il était spécialisé dans le travail sur les réacteurs nucléaires et la conception du combustible nucléaire.
- Mohammad Mehdi Tehranchi était professeur à l’Institut de recherche sur le plasma et les lasers de l’université Shahid Beheshti. Depuis 2019, il était président de l’université Azad de Téhéran.