Kissinger et la frivolité stratégique – Nicolas Bonnal
Par Nicolas Bonnal
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La frivolité stratégique, notion dessinée par Kissinger dans ses œuvres, est devenue une donnée permanente en occident, à l’heure où nous risquons de sombrer dans un énième et espérons-le définitif holocauste militaire-humanitaire. Mais laissons de côté les risques actuels et rappelons ce que nous disait ce maître sous-estimé et grand amateur (comme votre serviteur modeste) du grand dix-neuvième siècle alors :
« Mais l’histoire punit tôt ou tard la frivolité stratégique. La Première Guerre mondiale a éclaté parce que les dirigeants politiques ont perdu le contrôle de leurs propres tactiques. Pendant près d’un mois après l’assassinat du prince héritier autrichien en juin 1914 par un nationaliste serbe, la diplomatie a été menée sur le modèle dilatoire de nombreuses autres crises surmontées au cours des dernières décennies. Quatre semaines se sont écoulées pendant que l’Autriche préparait un ultimatum. Des consultations ont eu lieu ; comme c’était le plein été, les hommes d’État ont pris des vacances. Mais une fois l’ultimatum autrichien soumis en juillet 1914, son échéance a imposé une grande urgence à la prise de décision, et en moins de deux semaines, l’Europe s’est lancée dans une guerre dont elle ne s’est jamais remise. »
Grand défenseur du Traité de Vienne et de l’axe Metternich-Castlereagh Kissinger ajoute (longuement) sur cette irresponsabilité générale :
« Au cours des quarante années qui ont suivi le règlement de Vienne, l’ordre européen a amorti les conflits. Au cours des quarante années qui ont suivi l’unification de l’Allemagne, le système a aggravé tous les différends. Aucun des dirigeants n’a prévu l’ampleur de la catastrophe imminente que leur système de confrontation routinière soutenu par des machines militaires modernes rendait presque certaine tôt ou tard. Et ils y ont tous contribué, inconscients du fait qu’ils étaient en train de démanteler un ordre international : la France par son détermination implacable à reconquérir l’Alsace-Lorraine, ce qui nécessitait la guerre ; l’Autriche par son ambivalence entre ses responsabilités nationales et ses responsabilités en Europe centrale ; l’Allemagne en essayant de surmonter sa peur d’un encerclement en affrontant en série la France et la Russie côte à côte avec un renforcement des forces navales, apparemment aveugle aux leçons de l’histoire selon lesquelles la Grande-Bretagne s’opposerait certainement à la plus grande puissance terrestre du continent si elle agissait simultanément comme si elle avait l’intention de menacer la prééminence navale de la Grande-Bretagne. La Russie, par ses incursions constantes dans toutes les directions, menaçait simultanément l’Autriche et les vestiges de l’Empire ottoman. Et la Grande-Bretagne, par son ambiguïté occultant le degré de son engagement croissant aux côtés des Alliés, combinait les inconvénients de chaque option. Son soutien rendit la France et la Russie inflexibles ; son attitude distante a semé la confusion chez certains dirigeants allemands, qui ont cru que la Grande-Bretagne pourrait rester neutre dans une guerre européenne. »
Aucune guerre occidentale à mon sens n’est nécessaire. Et de la même manière qu’en expliquant à Chesterton que les idées chrétiennes ont toujours été folles (que ce soit sous la forme croisée, renacentiste, wokiste, bergoglienne ou inquisitoriale ou hérétique et/ou réformée), on pourrait dire à Kissinger que la stratégie en occident a toujours été frivole. C’est Daniélou qui a raison : l’occidental est un aryen prédateur et destructeur, rien d’autre. Ah oui, il claironne humanitaire en même temps…
Kissinger :
« Il est généralement inutile de réfléchir à ce qui aurait pu se passer dans des scénarios historiques alternatifs. Mais la guerre qui a bouleversé la civilisation occidentale n’avait aucune nécessité inévitable. Elle est née d’une série d’erreurs de calcul commises par des dirigeants sérieux qui n’ont pas compris les conséquences de leur planification, et d’un tourbillon final déclenché par une attaque terroriste survenue dans une année généralement considérée comme une période de calme. En fin de compte, la planification militaire a pris le pas sur la diplomatie. C’est une leçon que les générations futures ne doivent pas oublier. »
Tout cela est dans World Oder. On va citer Wikipédia qui ajoute (dans son excellente version anglaise) sur notre France éternelle et bonapartiste :
« Kissinger avait introduit la notion de frivolité dans son livre « Diplomatie » (1994), décrivant les actions des hommes d’État de la seconde moitié du XIXe siècle qui ont finalement conduit à la Grande Guerre . Il a notamment souligné les actions de Napoléon III qui considérait la politique étrangère de la France, selon les mots du baron Hübner , comme « un instrument qu’il utilise pour assurer son règne en France ». « La frivolité est une indulgence coûteuse d’un homme d’État », et Napoléon s’est rapidement retrouvé piégé dans les crises qu’il a provoquées sans réfléchir aux conséquences à long terme : après avoir contrarié la Russie en rejoignant la guerre de Crimée en 1853 et en soutenant la révolte polonaise (1863) , il n’a trouvé aucun soutien contre l’affirmation de soi allemande dès 1864 pendant la deuxième guerre du Schleswig . Le contrôle sur les arrangements de pouvoir en Allemagne, dont la France jouissait depuis des siècles (depuis le cardinal de Richelieu ), a été perdu en un éclair. »
Rôle affolant et criminel des médias toujours (repenser et compléter la Galaxie Gutenberg de Macluhan) :
« Dans « L’ordre mondial », Kissinger décrit comment les résolutions diplomatiques de la première crise marocaine , de la deuxième crise marocaine et de la crise bosniaque ont donné l’impression que la prise de risques pour apaiser les journalistes nationalistes et l’opinion publique agitée était une manière normale de mener la politique étrangère. Les hommes d’État s’étaient habitués à faire pression sur les autres grandes puissances sur des questions d’intérêt secondaire, comptant sur les diplomates pour trouver des moyens d’éviter de véritables guerres. Le statu quo européen global était en fait acceptable pour toutes les grandes puissances (il n’y avait pas de conflits territoriaux en Europe à l’exception de l’Alsace-Lorraine ), mais il n’a fallu que deux semaines entre l’ultimatum en 10 points et le début des hostilités. L’Europe ne s’est jamais remise de cette indulgence. »
Kissinger a été prolongé et complété par le penseur russe Timothée Bordachev. Malheureusement je trouve (et on constate) que l’opération militaire spéciale qui va déboucher sur un holocauste (et à déjà tué, déplacé et ruiné des millions de personnes) relève de la même frivolité stratégique. Cette au départ tranquille promenade militaire va dégénérer en holocauste : voir PCR.
Une histoire pleine de fureur, et écrite par des idiots… Il semble d’ailleurs que Kissinger ne se faisait pas trop d’illusions sur notre futur en fureur.
Sources :
https://en.wikipedia.org/wiki/Strategic_frivolity