CNSS: simple cyberattaque ou «Psyop» contre le Maroc?

Source : fr.le360.ma – 18 avril 2025 – Rachid Achachi

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Chronique La cyberattaque qui a ciblé la CNSS, suivie de la divulgation massive des données personnelles, n’était probablement pas une classique action de piratage informatique. Elle a en effet tous les attributs d’une «Psyop», une opération psychologique consistant à créer une dissonance cognitive au sein de la population et un sentiment généralisé de colère, de frustration ou de peur, dont la finalité est de déstabiliser le pays politiquement et socialement.

a récente cyberattaque menée contre la CNSS et la divulgation massive des données personnelles et salariales qui s’en est suivie ont souvent été réduites par une grande partie de la presse nationale à une classique opération de piratage informatique. Certes, cela est évidemment le cas, mais pas seulement. Car si on prend de la hauteur en l’inscrivant dans une plus large perspective et une durée plus étendue, nous aurons là tous les attributs d’une «Psyop», autrement dit d’une opération psychologique.

De quoi s’agit-il exactement? Les opérations psychologiques et informationnelles constituent l’un des instruments majeurs de la guerre hybride moderne. Elles consistent à lancer de manière séquencée des vagues de fausses informations, mélangées à des vraies, pour créer une dissonance cognitive au sein de la population ciblée et un sentiment généralisé de colère, de frustration ou de peur, dont la finalité ultime est de déstabiliser le pays politiquement et socialement.

Chaque vague est séparée de la suivante par un silence informationnel, dont la durée peut varier, mais dont l’objectif est toujours d’éviter une saturation émotionnelle et informationnelle de la cible. C’est la dose qui fait le poison, dit l’adage. Ainsi, à travers une logique de sédimentation, chaque vague vient ajouter une couche de ressentiment et de colère à celles générées par les précédentes, jusqu’à atteindre le point de bascule souhaité.

Dans cette perspective, la divulgation des informations piratées n’est aucunement la finalité, mais l’instrument d’un projet plus grand, et surtout plus dangereux. D’autant plus que la part véridique des informations divulguées et publiées contribue à donner une légitimité à la totalité.

Faisons quelques pas en arrière, et essayons de voir quelles sont ces différentes vagues et opérations informationnelles et psychologiques lancées par l’Algérie contre le Maroc, ainsi que les silences informationnels qui les séparent.

Premièrement, il est important de mentionner que nous ne pourrons citer que celles dont le grand public a pris connaissance, en gardant à l’esprit la possibilité que d’autres opérations aient échoué dès leur lancement en raison de leur mauvaise élaboration, ou en raison des mesures prises par les services marocains de contre-espionnage. Deuxièmement, nous nous limiterons aux deux dernières années pour éviter de complexifier inutilement nos analyses.

Les 14 et 15 décembre 2024 constitueront notre point de départ. Souvenez-vous qu’à l’époque, une tentative d’immigration irrégulière massive a eu lieu à partir de Fnideq, avec pour destination Sebta. Ce jour-là, des centaines de jeunes marocains, dont une majorité de mineurs, épaulés par des Subsahariens et certains Algériens, ont tenté de prendre d’assaut la clôture de sécurité, malgré la présence importante des forces de l’ordre. Le plus troublant, c’est la dimension tout sauf spontanée de cette aventure. En effet, quelques jours plus tôt, de courtes vidéos ont massivement circulé sur Tiktok, où l’on voyait des Marocains, du moins en apparence, inciter les jeunes à se donner rendez-vous le 15 septembre à Fnideq pour tenter de passer illégalement à Sebta.

Peu de temps plus tard, une image a massivement circulé, montrant des jeunes partiellement dénudés et recroquevillés à côté d’éléments des forces de l’ordre, avec des traces visibles de coups sur le dos. Ni le contexte ni la date n’ont bien entendu été donnés, et les vagues d’indignation ont immédiatement déferlé sur les réseaux, pointant du doigt les forces de l’ordre, en partant d’une simple photo, probablement décontextualisée. Nous avons là tous les ingrédients d’une «Psyop» réalisée par les renseignements algériens.

«Que peut-on, en tant que citoyens, opposer à ces “Psyops”? Beaucoup de choses, en vérité.»

Quelque cinq mois plus tard, vers la mi-février 2025, une nouvelle attaque informationnelle et psychologique a eu lieu, ciblant cette fois l’institution royale. À travers la création d’un clone du site du journal électronique Hespress, les instigateurs de cette attaque ont créé la confusion dans l’esprit de beaucoup de gens en annonçant de manière mensongère le décès de Sa Majesté le Roi. L’information a été assez rapidement infirmée, mais entre-temps, la peur et la panique ont réussi à se frayer un chemin dans l’esprit et le cœur de nombreux Marocains. Quasiment en même temps, un autre site a été cloné, celui de Foot Africa, pour servir de support à une autre annonce mensongère, celle de l’annulation de l’organisation de la CAN 2025 par le Maroc.

Environ deux mois plus tard, une attaque cybernétique de grande ampleur a été menée contre le site de la CNSS, avec le piratage et la publication de plusieurs milliers de fiches de paie, avec pour finalité d’attiser les tensions au sein des entreprises marocaines en révélant des écarts de salaires parfois injustes et injustifiés, mais également en alimentant les tensions politiques à travers la mise en exergue de salaires mirobolants de certaines personnalités proches des cercles de pouvoir, mais dont l’exactitude et la véracité restent à démontrer.

À partir de là, on aura beau affirmer que les informations ont été corrompues, cela ne servira strictement à rien. Car là où les institutions essaient de rationaliser les choses, la «Psyop», de son côté, joue sur les facteurs émotionnels. Et comme disait Oscar Wilde, «l’émotion nous égare, et c’est son principal mérite». Non pas que la colère des citoyens ne soit pas légitime, loin de là, mais dans le sens où la rationalisation nécessaire de certaines injustices salariales révélées et la formulation de critiques réfléchies et pertinentes sont empêchées par la dimension émotionnelle du modus operandi de la «Psyop».

De même, pour accroître cette dimension émotionnelle, nous avons assisté quasiment en parallèle à la prolifération inhabituellement massive de vidéos d’agressions à main armée de citoyennes et de citoyens dans nos rues, et d’autres actes de violence plus barbares les uns que les autres. Une coïncidence, me direz-vous? Le fruit du hasard? Mon expérience me dit que non. D’autant plus que les périodes de silence informationnel séparant les différentes attaques vont en se réduisant, nous laissant entrevoir la possibilité d’une «Psyop» d’une plus envergure et d’une intensité supérieures dans à peu près un mois, voire moins.

Que peut-on, en tant que citoyens, opposer à ces «Psyops»? Beaucoup de choses, en vérité. Cela va de la mise en place d’une hygiène informationnelle qu’il faudra impérativement adopter pour éviter ce genre d’intoxication, à la prise de recul émotionnel nécessaire face aux évènements, afin de pouvoir les inscrire dans une perspective stratégique et politique, et ne pas sombrer dans le piège du pathos.

Quant au gouvernement, offrir une formation professionnelle en communication de crise à ses membres ne serait pas un luxe. Car en attendant, loin de calmer les citoyens, la communication de nos chers ministres est de nature à jeter de l’huile sur le feu, là où leur rôle est d’assumer leurs responsabilités et d’agir en conséquence.

Et dans une perspective de moyen et long terme, je me demande comment peut-on, en 2025, ne pas enseigner dans les écoles de journalisme les mécanismes et les rouages des guerres cognitives et des opérations psychologiques.

Si pour Henri IV Paris vaut bien une messe, pour nous, les «Psyops»valent bien un module ou une matière dans la formation de nos journalistes, qui doivent figurer parmi les sentinelles de cette nouvelle guerre qui ne dit pas son nom.

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