NABU : le bureau national de lutte contre la corruption qui soulève les foules ukrainiennes

Source : stratpol.com – 4 aout 2025 – Laurent Brayard

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Laurent Brayard est journaliste, historien et auteur de l’ouvrage Ukraine, le royaume de la désinformation, se trouve actuellement à Moscou, où il suit à distance les opérations militaires engagées par la Russie sur le sol ukrainien. Un territoire qu’il connaît bien pour avoir couvert les événements dans le Donbass en 2015-2016 aux côtés des séparatistes qui rejetaient la révolution de Maïdan.

La corruption en Ukraine est restée depuis l’indépendance du pays, un fléau et poison prégnant, s’invitant toujours dans les débats publics. Après la période trouble de l’après chute de l’Union soviétique, le cheminement de l’Ukraine avait été contraire à celui de la Russie. Dans un État faible, avec des dirigeants controversés, un clivage social et ethnique aggravé par les manœuvres américaines et de la CIA, l’Ukraine n’avait jamais réussi à lutter contre la corruption. Cette dernière était même devenue un cheval de bataille des partis bandéristes, alors qu’un pic de scandales avait noyé l’Ukraine, avec l’emblématique affaire de la « Reine du Gaz », Ioulia Timochenko. Sous la pression occidentale et américaine, suite à la révolution du Maïdan, la création du NABU avait été imposée au Président Porochenko (16 avril 2015). Le bureau n’avait jamais pu effectuer son travail, mais il est aujourd’hui au cœur de troubles en Ukraine, après l’annonce du Président Zelensky de s’attaquer à l’institution.

Un pétard mouillé dans un océan de corruption. A sa fondation en 2015, le Bureau national de la lutte contre la corruption d’Ukraine, avait pour mission de « contrer des dangers contre la sécurité nationale », et évidemment de s’en prendre à la corruption endémique. Tous les pans de la société ukrainienne étaient touchés : Ministères, Police Nationale, fonctionnaires, administrations de l’État, régionales ou locales, l’Ukraine était en fait contrôlée par des strates de réseaux mafieux, des bandits en cravates, oligarques ou élites locales. Les premiers visés furent les députés de la Rada, des hauts-fonctionnaires, mais malgré l’émergence de multiples affaires (2015-2021), peu d’entre-elles furent traitées par la justice. Le NABU avait pourtant des fonctions étendues, mais aussi politiques, car il s’agissait de poursuivre, dans la foulée de la police politique du SBU, les « ennemis de l’intérieur », comprendre les pro-russes. Dans les faits, le NABU pouvait procéder à des contrôles, et surtout à la confiscation des biens de particuliers ou d’entreprises. Un vaste système de « dénonciations » fut mis en place, alors qu’un journalisme d’investigation (aujourd’hui disparu dans le pays), se lançait dans des enquêtes mettant en cause de nombreux politiques et personnages. En octobre 2019, sous la présidence de Zelensky, le NABU eut même des pouvoirs étendus, pouvant procéder à des écoutes indépendamment du SBU.

Un organisme sous tutelle et contrôle. Bien que défini comme indépendant, le NABU fut placé sous le contrôle de la Rada, avec obligation de référer de ses actions à cette dernière, mais aussi au Président de l’Ukraine et au Conseil des Ministres (rapport tous les 6 mois). Une commission disciplinaire fut mise en place pour s’occuper « des affaires de corruption et manquements » des personnels du NABU. En outre, un Conseil de contrôle public fut formé, constitué de 15 citoyens ukrainiens admis sur la base d’un concours public. Une direction nationale fut fondée, avec des antennes régionales, et un découpage du bureau en une vingtaine de services. Le personnel alloué fut d’environ 700 personnes, un effectif ridicule, si l’on considère la tâche à accomplir. Ce personnel fut recruté sur concours, mais la nomination du directeur du bureau fut laissé au Conseil des Ministres. Faute d’expérience, lors de la formation du personnel, l’Ukraine demanda de l’aide au Royaume-Uni, qui envoya des « experts en renseignement financier et en lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent ». La formation du personnel fut longue, et le bureau ne commença à travailler qu’en octobre 2015, et la première action fut opérée en décembre.

NABU… la plus américaine des administrations ukrainiennes. Le bureau entama dans l’année 2016, plusieurs centaines d’actions judiciaires, pour un préjudice estimé à 83 milliards de dollars US… Mais très vite, il fut attaqué par l’Ordre des avocats d’Ukraine, pour des abus de pouvoirs, et le Bureau du procureur général d’Ukraine ordonna des perquisitions dans ses locaux (5 août), pour des faits d’écoutes illégales et d’abus multiples. Dans l’année 2017, un premier député de la Rada fut arrêté (20 avril), et 2 autres dans la suite « en collaboration avec le FBI ». Le NABU s’attaqua même au fils du puissant Ministre de l’Intérieur, Arsen Avakov, et mis sous les verrous un ancien vice-ministre (octobre 2017). Un bras de fer, défini comme une véritable guerre des services secoua ensuite l’Ukraine, qui ne fut pas gagnée par le NABU. Les affaires concernant les plus hauts personnages de l’État disparurent, et l’intouchable Avakov, appuyé sur les forces de police et le SBU resta maître du terrain. Mis en difficulté, le bureau végéta dans l’année 2018, mais fut réactivé comme arme politique en 2019. Le NABU s’attaqua soudainement à Porochenko et son entourage (mars 2019), probablement suite à des ordres donnés… très loin de l’Ukraine, à Washington. Après l’élection de Zelensky, le NABU montra une vigueur nouvelle, et fut engagé dans l’estocade portée à Igor Kolomoïsky, ancien « patron de Zelensky », oligarque mafieux, ukrainien, chypriote et israélien, dont la tête était réclamée par George Soros en personne. Le scandale éclata l’année suivante, par des dénonciations et l’apparition de preuves réelles, sur l’ingérence, l’influence et la compromission de l’Ambassade US en Ukraine. Des documents furent rendus publics prouvant l’action souterraine de Joe Biden, notamment dans la fermeture d’affaires contre certaines personnalités (2019-2020). Malgré les scandales, il fut décidé d’affaiblir le NABU, en subordonnant les affaires visant des fonctionnaires… au Bureau du Procureur général d’Ukraine. Déjà passablement discrédité, le NABU avait toutefois porté quelques coups, bien qu’orientés, contre la corruption, et restait pour le grand public ukrainien « un progrès ».

La tentative de Zelensky de prendre le contrôle du NABU. Il y a quelques jours, en annonçant vouloir changer l’institution du NABU et de la placer sous tutelle présidentielle « pour éliminer la menace russe »… l’événement avait provoqué des manifestations monstres, cristallisées par le mécontentement général, la lassitude de la guerre, et l’écroulement et la ruine visibles du pays. Cette tentative de prise de contrôle, peu s’expliquer par plusieurs hypothèses :

  1. la destruction d’un organisme dangereux pour Zelensky, lui-même, sachant très bien que le NABU avait été utilisé contre son prédécesseur et son entourage, et dans l’écrasement de son protecteur, Kolomoïsky,
  2. un petit coup de propagande, pour tenter de faire croire à une lutte accrue contre la corruption, en sous-entendant que l’organisme serait infiltré « par la menace russe ». Cette propagande étant destinée tant au peuple ukrainien, qu’aux politiques et législateurs occidentaux de l’Union européenne (dans l’expectative d’une hypothétique entrée dans l’UE et de ses exigences et normes).
  3. Enfin, une tentative de prise de contrôle, pour s’assurer une carte supplémentaire dans la main, à propos de son avenir et de sa survie… après la résolution du conflit.

Contré par le peuple ukrainien, le Président Zelensky a fait marche arrière, ce qui démontre également la grande impopularité et la lassitude qu’il génère… mais aussi par des politiques occidentaux, qui n’ont pas pris de pincettes avec lui. Au delà d’une institution incompétente et elle-même corrompue, sous contrôle d’un pays étranger, les revendications des citoyens ukrainiens n’ont pas changé depuis la Révolution Orange ou le Maïdan : la corruption reste au cœur de leurs attentes.

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