Rencontre Macron-Raoult : science abstraite ou soin concret ?
Par Pierre Le Vigan
Pierre Le Vigan est urbaniste et essayiste. Son dernier ouvrage paru est Le grand empêchement. Comment le libéralisme entrave les peuples, aux éditions Perspectives Libres (2020, cerclearistote@gmail.com). Il a aussi publié Avez-vous compris les philosophes ? (3 volumes, éditions La barque d’or, labarquedor@gmail.com).
Pour ou anti méthode Raoult : la France se divise. Mais inégalement. Le peuple est pour Panoramix Raoult. Les élites contre. Une pétition appelant à « écouter le professeur Raoult » a déjà recueilli plus de 200 000 signatures. Ecouter : c’est-à-dire offrir la possibilité de soigner le Covid-19 avec de l’hydroxychloroquine associée à un antibiotique. Un traitement qui n’a rien d’un miracle, mais qui semble obtenir de bien meilleurs résultats que les autres.
Le 9 avril, M. Macron s’est une fois de plus déconfiné pour aller voir le Pr Raoult. Il n’en est rien sorti. Quant aux élites elles sont contre la méthode du Pr Raoult sauf… quand elles sont malades. Christine Rouzioux, professeur retraitée de virologie, évoque sur BFMTV, le 9 avril, à l’occasion de la visite de M. Macron à l’IHU de Marseille, le risque de légitimer, par cette visite, la « théorie » du professeur Raoult. Le « message envoyé par le président Macron » [en rendant visite au professeur Raoult] est donc selon elle « un message délétère pour la communauté scientifique ». Selon Christine Rouzioux, toujours dans cet entretien, la communauté scientifique « a l’habitude de travailler avec une certaine méthodologie ». Diable ! Un professeur, provincial de surcroit, ancien médecin de marine, ancien médecin militaire (c’est louche), qui se permet de bousculer les habitudes. Où va-t-on si on guérit des gens sans user d’une méthodologie scientifique ? Et que fait la police ? Mais enfin : qu’est-ce qu’une méthodologie scientifique ? Quel est ce totem devant lequel il faudrait se prosterner ? Pierre Bourdieu, qui n’a pas dit que des bêtises, l’avait expliqué dans Homo academicus (1984). C’est une méthodologie qui, d’abord, augmente le capital symbolique des gens qui se réclamant de cette communauté scientifique. Pour faire court : est scientifique tout ce qui renforce la légitimité de la communauté scientifique. Et ce qui est scientifique, c’est ce qui légitime de longues recherches, payées par l’Etat, qui généreront de lourds profits, captées par le secteur privé. Voilà comment cela se passe, au-delà des mots savants, au-delà des « clusters » dont se gargarisent les officiels du ministère de la Santé, cluster, un mot qui ne désigne rien d’autre qu’une grappe (comme une grappe de raisins), un groupe, un ensemble (tout le monde a chez lui un « cluster » de brosses à dents ou un « cluster » de serpillères).
Ce débat sur la méthode Raoult a évidemment des enjeux financiers énormes : la possibilité de grands profits privés avec une demande solvabilisée par la Sécurité sociale, c’est-à-dire par les cotisations du peuple français, et d’un autre côté, Pr Raoult, un traitement économique. Mais, chose inaperçue, ce débat renvoie aussi à deux conceptions de la science. Elles s’opposent depuis cinq siècles. Depuis Descartes, la science se veut fondée sur des idées « claires et distinctes ». Elle se veut aussi fondée sur des idées certaines, indépendantes de l’expérience, en amont de celle-ci. Ces idées certaines obéissent à une construction qui se veut logique. Ainsi, pour Descartes, il n’est logique de croire à l’existence du monde qu’après avoir admis l’existence de Dieu. Le critère de la science pour Descartes, c’est la certitude. Il s’agit par celle-ci de rendre l’homme « comme maitre et possesseur de la nature » (Discours de la méthode). La méthode de la science est « un ensemble de règles certaines et faciles ». Cette science de Descartes vise à la certitude, et donc à écarter, comme l’a bien vu Heidegger, toute incertitude, et donc toute angoisse. Plus encore, elle vise à écarter toute responsabilité. S’il y a certitude sur un point, il n’y a alors qu’une seule solution possible. Il n’y a pas place à l’hésitation, pas place au choix. Pas place non plus à l’intuition. Il n’y a plus de responsabilité. Il n’y a que l’application d’une procédure. Un processus. Un procès sans sujet, comme les aimait tant Althusser. C’est la logique que les administrations de la santé (ARS et autre ARH) voudraient imposer aux médecins, réduisant leur pouvoir de diagnostic et leur pouvoir de soigner, en faisant d’eux de simples exécutants de procédures.
La science ainsi conçue est donc abstraite, tandis que la médecine est concrète, fondée à la fois sur les raisonnements et sur l’expérience. Ultimement, la preuve de la médecine, c’est toujours qu’elle sauve des vies, ou qu’elle diminue des souffrances. C’est en ce sens que le professeur Raoult, qui est un scientifique de haut rang, se veut d’abord un médecin. Savoir pour soigner. On lui reproche d’avoir dit qu’il soigne « en fonction des connaissances qu’il a ». C’est bien la moindre des honnêtetés intellectuelles. Il serait extravaguant pour un soignant de prétendre soigner en fonction de « connaissances sûres et certaines », qu’il n’a pas encore, ou qu’il n’aura jamais. La médecine accepte une dose d’incertitude, et une dose d’intuition, elle est un rapport humain, tandis que la science moderne voudrait réduire l’incertitude à néant. C’est pour cela que les scientifiques non médecins préfèrent à un traitement dont l’efficacité contre le Covid-19 est vérifiable et vérifiée, un vaccin qui amènerait, croient-ils, à une certitude absolue de ne pas contracter la maladie. Et pourtant, si on avait attendu un vaccin contre le Sida, des centaines de milliers de personnes en France seraient encore mortes de ce virus depuis 1998. Or, qu’a-t-on mis en place à partir de cette date ? Des trithérapies et des quadrithérapies. Elles n’ont pas fait disparaitre la maladie. Elles ont réduit à un niveau infime la charge virale, et aussi les risques de transmission. Elles n’ont pas vacciné. Elles ont permis aux malades de vivre, et d’être de moins en moins malade. Quant au vaccin contre le VIH, il est encore expérimental. Heureusement qu’on ne l’a pas attendu.
PLV
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Merci pour ce texte.
J’ai une vision différente de la votre, concernant la Science, la rigueur scientifique et le fait d’être scientifique. La science que j’ai étudiée et pratique est la Chimie … les puristes (mathématiciens, physiciens) ont un peu de mal, la Chimie n’étant pas une science assez exacte pour eux. C’est peut-être grâce à ce côté inattendu que j’ai aimé cette science.
Je suis moi-même scientifique (chimiste) et ai une expertise dans mon domaine. La rigueur scientifique est la base, celle qui permet d’affirmer un résultat, qui donne de la crédibilité. La méthodologie est un processus de travail, et si le processus n’est pas adéquat, les résultats n’auront aucune valeur scientifique.
Les experts scientifiques que je croise se posent des questions, cherchent des tests et méthodes, remettent en doute leurs croyances, ont de l’humilité face à tout ce que l’on ne connait pas ou ne sait pas résoudre.
Et Il y a effectivement des scientifiques qui ont besoin de protocoles, de méthodologies rigides … … et ce sont ces personnalités que les entreprises recherchent et valorisent, car il y a une sécurité dans les protocoles, une sensation de contrôle. Mais alors, suivre le protocole devient plus important que l’objectif du projet, et ces personnes ne remettront pas forcément en question le protocole, …
En tant que chercheur (et scientifique), je me suis retrouvée dans la même position que le Pr Raoult, à une bien plus petite échelle. C’était une confrontation entre l’Imaginaire du Marketing (l’ingrédient qui avait de nombreuses propriétés, qui ferait plein de ventes) et le Réel de la Science (les résultats ne correspondaient pas à ce qu’ils attendaient).
Ce genre d’attaques personnelles est choquant, car insensé, incompréhensible … et je n’avais jamais vécu cela dans mes précédentes entreprises plus internationales.
Oui, les découvertes du Pr Raoult ont été le grain de sable dans le plan des Lobbies pharmaceutiques, mais c’est surtout en France que les attaques ont été personnelles, et n’ont pas cessé après plusieurs semaines. Bien sûr il y a de « l’arrogance parisienne » pour la province (pire, le sud de la France)… mais il y a quelquechose de plus profond, de très « français », et je n’ai aucune idée de ce que cela peut être.
cela est peut être l’attachement au confort de ne pas avoir à débattre pour justifier et fonder son affirmation :
En science comme vous le montrez pour la chimie ou la physique , on sait que si l’on oublie un paramètre , le résultat ne confirme pas l’hypothèse et il faut donc chercher jusqu’à ce que l’hypothèse soit vérifiée et qu’elle ait résisté aux contre expertises . C’est la réussite de la réalisation qui confirme lorsqu’elle se produit à chaque fois.
En médecine la guérison de la grande majorité des malades devrait suffire à confirmer la validité du traitement ; cependant les malades présentent de nombreux paramètres qui interfèrent ; la médecine est un art (une technique , une habileté ) outre son aspect de connaissance certifiée , elle doit connaitre aussi les éléments qui gênent ou perturbent la réponse de l’organisme.
Ce sont d’autres facteurs de l’esprit et des relations humaines qui conduisent à préférer les protocoles même s’ils sont rigides , académiques et néfastes à la réussite du but recherché : conformité récompensée par les pairs, eux mêmes recherchant un assentiment des supérieurs , désir de gêner un concurrent , jalousie envers celui qui est plus créatif .
Beaucoup d’autres sentiments ou reflexes de la nature humaine , pour éviter d’être pris en situation de faiblesse ,de tout temps , ont suscité le refus de reconnaitre une erreur et donc son utilité pour avancer; et une éducation à la fois peu rigoureuse sur le plan de la rigueur des preuves et rigide et sévère lorsqu’il y a critique ou une remarque sur une contradiction constatée , considérée comme impertinence
L’impertinence pourtant c’est le statut de celui qui tient à défendre le résultat qu’il a vérifié contre le scientifique « savant » qui ne veut pas lâcher un savoir installé qui s’avère incomplet ou erroné .
Celui qui a le mieux parlé de ce travail de recherche et de goût à la fois de l’étonnement et de la rigueur en chimie est l’écrivain Primo Levi ( « le métier des autres » et « Si c’est un homme » ).
Lui même chimiste votre réflexion m’a soudain renvoyé à la lecture de ses courts essais .
la science lorsqu’elle permet le plaisir de la recherche et de la concentration qu’elle provoque et exige n’a pas grand chose à voir avec la recherche un peu enfantine de se faire valoir aux yeux des autres sans grand souci d’être dans le vrai.
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Ping :« La thérapie de choc est une redistribution. Tout sera pour le lion d’Astérix qui aux jeux du cirque bouffe tous ses compères dans l’arène. 100 dollars par chômeur, mille milliards pour Wall Street. Je ne vois donc pas d’effondremen