« Pour être tué, il faut vivre » (Jules Michelet) : comment le vieil occident zombie survit à sa mort – Nicolas Bonnal
Par Nicolas Bonnal
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Illustration : La fête des morts au Mexique
Vladimir Poutine et la Russie dominent, mais l’occident se maintient avec sa dette, son hypocrisie,
ses casseroles coloniales. Dix techno-lords US sont plus riches que tous les africains. Bruxelles
agonise en nous volant argent et liberté.
Jean Baudrillard parla d’hystérésis (1) pour décrire ce monde. Il évoquait même je crois cette barbe
qui continue de pousser au poil de menton du cadavre.
Qu’est-ce qui n’est pas mort en Occident ? Qu’est-ce qui ne relève pas encore du phénomène
zombi ? Les économies hallucinées (James Kunstler), les cent mille milliards de dettes qui ne
terrorisent que les naïfs (on ira tous à un million de milliards de $, imprimez !), les nations abolies,
fusionnées, les peuples remplacés ou stérilisés, les religions profanées, tout en fait, y compris la terre
et son atmosphère (voyez comment vivent la Chine ou l’Inde de notre René Guénon pour rire un
peu), relève de la parodie, de la mort défigurée et du mort-vivant. Le public se reconnaît du reste
dans ce type abominable de série yankee : les morts qui font semblant de vivre. Je continuerais
durant des pages, si je ne craignais de me répéter. Le mouvement autonome du non-vivant, disait-on
du mouvement matériel en ces temps aéroportés et précipités.
Je ne suis pas plus pessimiste que cet historien progressiste, qui est passé de mode en ces temps
divagants, palabreurs et parkinsoniens. Michelet s’étonne en son temps de républicanisme alors
prometteur, de l’hystérésis médiévale, du maintien incompréhensible, des siècles durant, du clergé
et de la féodalité, maintien qui aboutit aux violentes révolutions qu’on connaît.
« L’état bizarre et monstrueux, prodigieusement artificiel, qui fut celui du Moyen-âge, n’a
d’argument en sa faveur que son extrême durée, sa résistance obstinée au retour de la nature. »
Et il philosophe du coup Michelet (il le fait souvent bien) :
« Mais n’est-elle pas naturelle, dira-t-on, une chose qui, ébranlée, arrachée, revient toujours ? La
féodalité, voyez comme elle tient dans la terre. Elle semble mourir au treizième siècle, pour refleurir
au quatorzième. Même au seizième siècle encore, la Ligue nous en refait une ombre, que continuera
la noblesse jusqu’à la Révolution. Et le clergé, c’est bien pis. Nul coup n’y sert, nulle attaque ne peut
en venir à bout. »
Comment se maintint le clergé en fait ?
« Frappé par le temps, la critique et le progrès des idées, il repousse toujours en dessous par la force
de l’éducation et des habitudes. Ainsi dure le Moyen-âge, d’autant plus difficile à tuer qu’il est mort
depuis longtemps. Pour être tué, il faut vivre. Que de fois il a fini ! »
Michelet rappelle les grandes dates agoniques du Moyen-âge :
« Il finissait dès le douzième siècle, lorsque la poésie laïque opposa à la légende une trentaine
d’épopées ; lorsqu’Abélard, ouvrant les écoles de Paris, hasarda le premier essai de critique et de bon
sens.
Il finit au treizième siècle, quand un hardi mysticisme, dépassant la critique même, déclare qu’à
l’Évangile historique succède l’Évangile éternel et le Saint-Esprit à Jésus.
Il finit au quatorzième, quand un laïque, s’emparant des trois mondes, les enclot dans sa Comédie,
humanise, transfigure et ferme le royaume de la vision.
Et définitivement, le Moyen-âge agonise aux quinzième et seizième siècles, quand l’imprimerie,
l’antiquité, l’Amérique, l’Orient, le vrai système du monde, ces foudroyantes lumières, convergent
leurs rayons sur lui. »
Ce système de la Renaissance-science-nation est en train de crever autour de nous comme on sait. Il
n’accouche de rien du tout, on a un œuf de serpent écrasé. Comme je le montre dans un livre (3),
Tocqueville, Pouchkine ou Poe avaient déjà tout dit sur ce monde gelé il y a deux cents ans. Ce
monde qui dure depuis relève de cette hystérésis. Mais combien de temps un tel zombi peut durer ?
Michelet poursuit avec conscience :
« Que conclure de cette durée ? Toute grande institution, tout système une fois régnant et mêlé à la
vie du monde, dure, résiste, meurt très longtemps. Le paganisme défaillait dès le temps de Cicéron,
et il traîne encore au temps de Julien et au-delà de Théodose. »
Tout met du temps à crever, paganisme compris, et tout dure au-delà de sa mort. Michelet persiste
et signe :
« Que le greffier date la mort du jour où les pompes funèbres mettront le corps dans la terre,
l’historien date la mort du jour où le vieillard perd l’activité productive. »
Si c’est comme cela pour le génie médiéval, je ne vous dis pas pour la démocratie-marché…
« Tout finit au douzième siècle ; le livre se ferme… », termine Michelet qui remarque qu’un système
périclitant comme celui de l’Eglise – ou de la démocratie bourgeoise à notre époque – a tendance à
devenir totalitaire et dangereux :
« Les anciens conciles sont généralement d’institutions, de législation. Ceux qui suivent, à partir du
grand concile de Latran, sont de menaces et de terreurs, de farouches pénalités. Ils organisent une
police. Le terrorisme entre dans l’Église, et la fécondité en sort. »
Cette Eglise moderne lança aussi la Croisade. Les conciles orthodoxes furent oubliés. C’est encore
cette Eglise catholique romaine, star des temps modernes, qui inventa en 1622 le beau mot
de propagande.
A Michelet j’adjoindrai un philosophe oublié (Michel Onfray en parle, mais trop peu), Ludwig
Feuerbach qui remarque que son antichristianisme n’a plus prise parce qu’il a à faire à des farceurs
masqués. C’est comme pour les attentats, les « gens », le « public » ne sentent pas les coups. Ils
sont anesthésiés (Stanley Payne). En ces temps de Bergoglio et de gauchisme catho, cela ne prêtera
pas à sourire.
« Le ton « des bonnes sociétés, » le ton neutre, sans passion et sans caractère, approprié à la défense
d’illusions, de préjugés et de mensonges dont tout le monde convient, voilà le ton dominant, le ton
normal de l’époque, le ton dans lequel non seulement les affaires politiques, — ce qui se comprend
de soi-même, — mais encore les affaires de religion et de science, c’est-à-dire le mal d’aujourd’hui,
sont traitées et doivent être traitées (4). »
Et Feuerbach annonçait ce que décrit Edgar Poe à la même époque : le masque prendrait la place du
visage, le cerveau celui de l’âme.
« Apparence, mensonge, hypocrisie, masque, voilà le caractère du temps présent; masque notre
politique, masque notre moralité, masque notre religion et masque notre science. »
Le masque de la mort rose occidentale cache une décrépitude sans égale ; la Russie ici aussi devra se
mettre à l’œuvre pour inspirer des hommes de bonne volonté.
Notes
(1) Le dictionnaire d’Oxford de mon ordinateur donne cette définition en anglais. ‘The phenomenon
in which the value of a physical property lags behind changes in the effect causing it, as for instance
when magnetic induction lags behind the magnetizing force.’
(2) A l’ouest rien de « moderne » – Chroniques de la Fin de l’Histoire, (Edition Kindle sur amazon.fr).
(3) Michelet (Jules : Histoire de France, VII, Renaissance, pp. 17-18 (sur uqac.ca).
(4) Feuerbach (Ludwig) : l’essence du christianisme, traduit de l’allemand par Joseph Roy, Paris, 1864.
préface de la seconde édition.