Comment Elon Musk et Starlink ont, pour 400 millions de dollars, « trahi » l’armée ukrainienne

Source : geo.fr – 22 août 2023 – Thomas Burgel

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Permis par le système Starlink de SpaceX et Elon Musk, l’accès à internet par satellite est crucial pour les combattants ukrainiens. Selon une enquête de Ronan Farrow, le milliardaire a failli couper l’accès au réseau, pour des raisons financières et politiques.

C’est l’un des grands enseignements du conflit en Ukraine, qui décidément en comporte beaucoup : la guerre du futur et l’efficacité opérationnelle de ses combattants reposeront en grande partie sur un accès fluide et constant à internet, et les satellites peuvent le garantir.

En la matière et ainsi que l’expliquait le Monde fin 2022, Elon Musk et SpaceX ont plusieurs coups d’avance ; première en son genre, leur constellation satellitaire Starlink permet une connectivité en tout point du globe. Le système est, dès les premiers jours de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, rapidement devenue vital pour la première, pour ses populations civiles sous les bombes comme pour ses troupes et leurs omniprésents drones à connecter.

Ce fil ténu a pourtant bien failli se rompre, comme l’avaient déjà expliqué le Financial Times ou korii. à sa suite en octobre 2022, et comme l’explore désormais en détail une enquête très fouillée de Ronan Farrow pour le New Yorker.

Des pertes de connexion en pleine offensive

Dès les premiers mois du conflit généralisé, Starlink a offert à l’Ukraine des centaines de récepteurs satellites, souvent financés par des fonds publics ou des dons privés, ainsi que l’expliquait alors Numerama et contrairement à ce que prétendait le patron de SpaceX.

Une fois l’accès au réseau sur le territoire ukrainien ouvert de bonne grâce par Elon Musk, ces antennes ont constitué une garantie solide que l’accès du pays à l’internet, de ses civils comme de ses militaires, ne pourrait être facilement coupé ou brouillé par la Russie. Une telle organisation présente néanmoins un défaut aussi énorme et évident : sans contrat avec un quelconque État et sous cette forme molle, elle dépend du bon vouloir d’un seul homme, en l’occurrence Musk, dont on connaît l’instabilité des avis et humeurs.

Comme l’explique Ronan Farrow dans sa longue et passionnante enquête pour le New Yorker, Elon Musk a d’abord pris fait et cause, sans réserve, pour l’Ukraine. « Initialement, Musk a montré un soutien sans limite à la cause ukrainienne, répondant par des encouragements quand Mykhaïlo Albertovytch, ministre de la transformation numérique du pays, tweetait des photos de l’équipement sur le terrain », écrit ainsi le journaliste.

Mais les choses ont rapidement tourné à l’aigre. Musk a fait comprendre qu’il ne pourrait fournir indéfiniment du matériel ou un soutien technique à l’Ukraine. Surtout, le milliardaire s’est senti de moins en moins à l’aise avec l’usage militaire qui était fait de sa constellation satellitaire.

Puis des coupures de réseau ont été rapportées du front et des régions de Kherson, Zaporijjia, Kharkiv, Donetsk et Luhansk, à l’automne 2022, par des soldats ukrainiens. En pleine offensive d’automne face à l’armée russe, ils se retrouvaient soudainement plongés dans l’obscurité informationnelle, donc dans un noir des plus dangereux : la panique a été grande.

« Les communications étaient mortes, les unités isolées. Quand on est à l’offensive, et c’est particulièrement vrai pour les officiers, on a besoin d’un flux continu d’information en provenance des bataillons. Les officiers ont dû courir vers le front pour se mettre à portée de radio, se mettant eux-mêmes en danger », explique à Farrow un militaire du nom de Mikola.

Une question de (gros) millions

« Les officiels ukrainiens expliquent que le timing de ces pannes et de leur résolution peut laisser penser que les problèmes ne sont pas dus à de mauvais fonctionnements techniques, ou à un brouillage par les forces russes, mais qu’ils sont le résultat de restrictions géographiques imposées par SpaceX », écrivait quant à lui le Financial Times, qui parlait de « geofencing », une technique consistant à couper l’accès dans certaines zones mais pas dans d’autres.

Musk répondait, lui, que la question était avant tout financière, et qu’il ne pouvait indéfiniment fournir un service gratuit à Kiev. Des mois plus tard, ainsi que l’a rapporté Reuters, il faudra l’intervention du Pentagone et la signature d’un contrat à 400 millions de dollars pour s’assurer qu’Elon Musk ne couperait pas l’accès de l’Ukraine sur un coup de tête solitaire.

Bad reporting by FT. This article falsely claims that Starlink terminals & service were paid for, when only a small percentage have been.

This operation has cost SpaceX $80M & will exceed $100M by end of year.

As for what’s happening on the battlefield, that’s classified.— Elon Musk (@elonmusk) October 7, 2022

Plans de paix, rencontre avec Vladimir Poutine et peur de la Chine

La question financière était-elle la seule à faire vaciller le plein soutien initial de Musk à l’Ukraine ? Sans doute pas. Il s’en est publiquement vanté avant de rétracter ses rodomontades, mais il semble que le milliardaire d’origine sud-africaine ait pu s’entretenir directement avec Vladimir Poutine, à qui il a pourtant proposé un combat singulier.

Un peu après cette supposée discussion, le multi-patron proposait publiquement un « plan de paix » très proche de ce que pourrait être la ligne du Kremlin ou de Donald Trump : que l’Ukraine accepte officiellement d’abandonner les territoires déjà conquis par son envahissant voisin, notamment la Crimée, et les deux pays pourront commencer à discuter.

Ukraine-Russia Peace:

– Redo elections of annexed regions under UN supervision. Russia leaves if that is will of the people.

– Crimea formally part of Russia, as it has been since 1783 (until Khrushchev’s mistake).

– Water supply to Crimea assured.

– Ukraine remains neutral.— Elon Musk (@elonmusk) October 3, 2022

Bref, les coupures intermittentes des services de Starlink dans les zones où l’Ukraine était à l’offensive ont semblé correspondre assez précisément à ce curieux nouvel alignement de Musk avec une certaine ligne plus favorable à la vision russe, et à celle de Vladimir Poutine.

Mais Farrow pousse la réflexion –et l’enquête– un peu plus loin. Selon lui, c’est aussi en pensant à sa relation de grande dépendance avec la Chine que Musk a ainsi commencé à changer d’avis. Beijing prépare sa propre constellation de 13 000 satellites en basse orbite, comme l’a rapporté notamment le Washington Post. Mais si elle le fait, comme l’explique The Economist, c’est que l’empire du Milieu a rapidement compris quel risque militaire (voire civil) l’existence d’un réseau universel et privé comme Starlink, détenu par une firme américaine, pouvait présenter.

Or, Elon Musk est hautement dépendant de la Chine : c’est pour Tesla un marché colossal, et les gigantesques installations de la marque à Shanghai produisent la moitié des véhicules qu’elle vend dans le monde. Et la Chine, alliée discrète de la Russie, a fait comprendre à Musk qu’elle voyait son soutien à l’Ukraine d’un très mauvais œil, en ayant sans doute en tête ce qui pourrait se passer à Taïwan si une invasion venait à être décidée.

Ce n’est donc pas un hasard si le patron de SpaceX et Tesla a, comme il l’avait fait pour l’Ukraine et ainsi que l’a rapporté le Monde, également proposé sa propre vision d’un « plan de paix » entre les deux Chine : pour Musk, il est là aussi à la fois question de politique, et d’opinions changeantes, comme de gros, de très gros sous.

4 pensées sur “Comment Elon Musk et Starlink ont, pour 400 millions de dollars, « trahi » l’armée ukrainienne

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