Avortement, un dogme gnostique postmoderne
Source : eclj.org – 4 mars 2024 – Gregor Puppinck
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Promouvoir l’avortement comme une liberté exprime un choix philosophique fondamental qui dépasse la question de la régulation des naissances : c’est le choix de la domination de la volonté individuelle sur l’être, du volontarisme sur la métaphysique ; un choix au fondement de la postmodernité.
De ce choix, il résulte que l’être conçu et porté n’acquiert de valeur qu’en proportion de la volonté dont il est d’abord l’objet puis le sujet. Son existence vaut ainsi à la mesure du projet que l’adulte est capable de former à son égard, puis à mesure de son niveau de conscience, c’est-à-dire d’autonomie. Ce n’est pas la vie, qui est partagée avec les animaux les moins évolués, mais le niveau de conscience individuelle émergeant de la vie et identifiée à l’esprit, qui aurait une valeur en soi.
La pratique légale et massive de l’avortement transforme le rapport de notre société à la vie humaine : elle la désacralise et dénature la procréation ; elle libérerait ainsi l’homme de son respect superstitieux envers la nature, ouvrant la voie à la maîtrise rationnelle de la vie humaine considérée comme un matériau. Pierre Simon, l’apôtre de la contraception et de l’avortement en France, déclarait en 1979 : « La vie comme matériau, tel est le principe de notre lutte », « il nous appartient de le gérer » et de la façonner « comme un patrimoine ».
En brisant, par l’avortement, l’icône du respect de la vie, la société accède à une liberté nouvelle : à la liberté scientifique qui conduit à la maîtrise de la procréation et de la vie, mais aussi à la liberté sexuelle qui est facilitée par la contraception, mais garantie par l’avortement.
L’avortement libère la sexualité de la procréation et la femme de la « servitude de la maternité » (Margaret Sanger). Cette transgression émanciperait l’humanité de l’instinct sexuel et reproductif qui est un archaïsme de son animalité primaire. Ainsi, l’humanité progresserait dans le processus d’évolution qui mène de la matière à l’esprit. Plus encore, la volonté étant l’expression la plus parfaite de l’esprit, les slogans « Mon corps m’appartient » ou « IVG, mon corps, mon choix, mon droit » (c’est-à-dire Moi, Moi, Moi !) exprimeraient le triomphe de l’esprit humain sur le corps, sur la matière. En même temps, le recours massif à l’avortement condamne la société au matérialisme en nous interdisant d’envisager que l’être humain ait une individualité et une âme, dès avant la naissance, indépendamment de son état de conscience. Nous devons ainsi croire que l’humanité d’un être résulte de son état de conscience qui est conditionné principalement par son état physique, matériel.
L’avortement serait aussi bon en ce qu’il réduit plus fortement la descendance des populations les moins évoluées : il jugule la misère à la source. Bien avant le féminisme, le matérialisme, le malthusianisme puis l’eugénisme ont été les premiers promoteurs de l’avortement.
Ainsi, le véritable objet du « birth control » n’est pas tant la planification des naissances que la prise de contrôle rationnel de l’instinct sexuel, de la procréation et de la vie, comme vecteur de progrès de l’humanité.
Par contraste, les opposants à l’avortement ne seraient que des idolâtres de la vie et des ennemis du progrès ; ils n’auraient pas compris ou admis que la vie n’est que matière, tandis que la conscience est esprit, le propre de l’homme et son seul bien véritable.
Cette conception du progrès qui fonde le dogme de l’avortement résulte d’une mise en opposition du corps et de l’esprit. Cette dialectique, profondément ancrée dans l’imaginaire humain, est destructrice de l’unité humaine : la volonté ne peut pas, sans souffrance, se retourner contre son propre corps, ni s’élever contre lui. Affirmer « l’IVG est ma liberté » revient à s’imposer une mutilation ; mais celle-ci, pas plus que les piercings, les tatouages ou le suicide, ne parvient à spiritualiser le corps.
Cette négation du corps au profit de l’esprit est l’aspiration angélique, antique et manichéenne. Le Christ y a répondu en s’incarnant. En se faisant chair, le Verbe, l’esprit de Dieu, a élevé le corps à une dignité qui dépasse tout ce que l’homme peut atteindre par ses propres forces. Chaque fois que l’Eucharistie est consacrée, la matière la plus ordinaire est élevée à la plus haute dignité ; chaque fois qu’une femme et un homme communient à l’Eucharistie, chaque fois qu’ils s’unissent et transmettent la vie, ils participent à l’unité vitale des personnes divines dans la Trinité.
Source : La Nef, N°288, Janvier 2017