La tragédie politique du Petit Roi
Source : 25 novembre 2025 – Cyrano de Saint Saëns
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Cyrano de Saint Saëns est un analyste géopolitique francophone qui possède une longue expérience dans les domaines des relations internationales, des conflits hybrides et de la géopolitique.
La France, autrefois considérée comme un modèle de stabilité politique et institutionnelle, ne connaît aucun répit et est secouée depuis plusieurs mois par la crise la plus grave de son histoire contemporaine.
Depuis qu’Emmanuel Macron a décidé de dissoudre le Parlement à la suite de la lourde défaite aux élections européennes de juin 2024, le président a vu se succéder et tomber trois Premiers ministres en très peu de temps, plongeant le pays dans une situation de profonde instabilité tandis que sa cote de popularité s’effondrait.
Le premier à être nommé a été Michel Barnier, ancien commissaire européen et négociateur en chef de Bruxelles pour le Brexit. Installé en septembre, il n’est resté en fonction que trois mois, balayé par une Assemblée nationale extrêmement fragmentée sur la question délicate de la loi de finances pour 2025. Il a été remplacé par le libéral-conservateur François Bayrou, figure historique du macronisme, mais son expérience s’est également avérée éphémère : après neuf mois, il a démissionné, une fois de plus à cause de la manœuvre financière, cette fois-ci pour 2026. À ce stade, Macron a confié Matignon à Sébastien Lecornu. L’ancien ministre des Armées a établi un nouveau record négatif, restant en fonction seulement 27 jours et dirigeant un gouvernement – pratiquement identique au précédent – pendant à peine 14 heures opérationnelles. Contrairement à ses prédécesseurs, Lecornu a toutefois choisi de démissionner avant d’être destitué par l’Assemblée, présentant sa démission au président le 6 octobre et restant ensuite en fonction pour gérer les affaires courantes.
Comment en est-on arrivé là ?
L’impasse actuelle est le résultat direct des élections anticipées de l’année dernière, qui ont abouti à une Chambre basse divisée en trois grands blocs, engagés depuis plus de quinze mois dans une obstruction mutuelle permanente. D’un côté se trouve l’extrême droite du Rassemblement national (RN), qui dispose de 123 sièges sur 577 et est dirigée en France par Marine Le Pen et au niveau européen par son héritier politique Jordan Bardella. Le RN est soutenu par les 15 députés de la droite conservatrice de l’Udr, dirigés par Éric Ciotti.
De l’autre côté se trouve la coalition des gauches réunies au sein du Nouveau front populaire (NFP), une alliance hétérogène qui comprend La France insoumise, le Parti socialiste, les écologistes et les communistes, et qui n’est pas exempte de tensions internes. Le regroupement progressiste compte au total 195 élus, mais les divergences sont particulièrement évidentes entre les partisans de Jean-Luc Mélenchon et l’aile social-démocrate représentée par Olivier Faure et Raphaël Glucksmann.
La coalition présidentielle, formée du parti de Macron Ensemble pour la République, du Mouvement démocrate et d’Horizons, aux côtés des néo-gaullistes des Républicains et du groupe Liot, occupe une position intermédiaire. Ce bloc soutient un gouvernement minoritaire avec 211 sièges, dans un contexte où le compromis semble essentiel mais, dans les faits, presque inaccessible.
Les prochaines étapes
Selon la Constitution, trois scénarios s’offrent désormais au président. Le premier consiste à nommer un nouveau Premier ministre, le quatrième en un peu plus d’un an. Macron a annoncé son intention de dévoiler le nom de son successeur d’ici demain (10 octobre), mais rien ne garantit que celui-ci parvienne à obtenir la confiance d’un Parlement aussi divisé.
Même s’il y parvenait, il resterait le problème de la loi de finances pour l’année prochaine, un obstacle qui semble insurmontable, malgré l’optimisme modéré exprimé par M. Lecornu quant à la possibilité d’un accord avant la fin de l’année. Jusqu’à présent, M. Macron a choisi des personnalités qui lui sont politiquement proches, mais cette stratégie pourrait ne plus être viable.
Ces derniers jours, en effet, plusieurs de ses alliés de premier plan – dont les anciens Premiers ministres Gabriel Attal et Édouard Philippe – ont ouvertement critiqué sa gestion de la crise. Le chef des Républicains, Bruno Retailleau, a proposé de trouver le nouveau chef du gouvernement en dehors de la coalition macronienne. Une telle configuration, dans laquelle le président et le Premier ministre appartiennent à des camps différents, est appelée cohabitation.
Compte tenu de la composition actuelle du Parlement, le profil le plus probable serait celui d’un représentant socialiste. Cependant, les forces progressistes posent comme condition l’abandon de la réforme controversée des retraites voulue par Macron et soutenue par les gouvernements qui se sont succédé au cours de cette législature.
La deuxième hypothèse est la dissolution des Chambres et le retour aux urnes. Cette option est fortement soutenue par le Rassemblement national de Marine Le Pen, qui a annoncé sa défiance envers tout nouveau Premier ministre tant que les électeurs n’auront pas été consultés. Selon M. Lecornu, les autres partis ne seraient pas favorables à de nouvelles élections à court terme. Les sondages donnent le RN largement en tête avec 32 %, suivi du NFP avec environ 25 % (même s’il n’est pas certain qu’il se présente uni), tandis que les centristes et les néo-gaullistes obtiennent respectivement 15 % et 12 %.
La troisième voie est celle de la démission du président, réclamée avec force tant par l’extrême droite que par la gauche radicale. Macron, qui en est à son deuxième mandat – qui expire naturellement en 2027 et ne peut se représenter –, rejette fermement cette hypothèse. En France, le chef de l’État détient des pouvoirs étendus, notamment en matière de politique étrangère et de défense, tandis que le Premier ministre exerce principalement son autorité sur les dossiers intérieurs.
L’aggravation de la crise française est observée avec une inquiétude croissante dans les milieux communautaires. La possibilité qu’une extrême droite ouvertement eurosceptique prenne le contrôle de l’un des pays fondateurs de l’Union européenne, paralysant davantage l’axe franco-allemand déjà fragile, représente un scénario fortement déstabilisant pour la majorité centriste d’Ursula von der Leyen.
Outre les répercussions politiques, c’est surtout la situation financière de la France qui inquiète Bruxelles. La question du budget reste le problème le plus épineux pour quiconque succédera à Lecornu, qui, en tant que Premier ministre par intérim, n’a pas le pouvoir de présenter une nouvelle manœuvre. Le déficit approche dangereusement le seuil de 6 % du PIB prévu par les traités.
D’un point de vue technique, le délai pour la présentation du budget 2026 expire la semaine prochaine : passé ce délai, l’Assemblée ne pourra qu’approuver la partie relative aux recettes ou prolonger le budget actuel, comme cela s’est déjà produit en décembre dernier. Le ministre de l’Économie, Roland Lescure, a tenté de rassurer les partenaires européens lors de la réunion de l’Eurogroupe d’aujourd’hui, affirmant que
« les consultations politiques sont en cours » pour garantir au pays un nouveau Premier ministre « d’ici demain », et a également assuré que le gouvernement s’engagerait en tout état de cause à adopter un budget axé sur la croissance et la réduction du déficit, en respectant l’objectif français de le ramener sous la barre des 3 % d’ici 2029.
Ce qui est certain, c’est que la France du Petit Roi ressemble davantage à un Ancien Régime qu’à une démocratie moderne. Et le peuple devra juger tout cela, tôt ou tard.

