Nouvel ordre : l’Empire et von der Leyen activent le soldat «Allemagne»

par Alexandre Keller

Analyste passé par les rédactions de RT France et de Sputnik pour contrer le narratif officiel, Alexandre Keller est un contributeur de Strategika. Il anime aussi le canal Telegram : t.me/kompromatmedia

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L’événement n’est pas anecdotique : début février, l’Allemagne «recrutait», le terme utilisé dans la presse est notable, l’activiste américaine Jennifer Morgan. Cette Américaine de 55 ans, à la tête depuis 2016 de Green Peace, est devenue le 1er mars la «représentante spéciale pour la politique internationale sur le climat» du gouvernement allemand.

La ministre fédérale des Affaires étrangères Annalena Baerbock, ancienne chef des Verts allemands, a présenté cette «ambassadrice du climat» comme son futur «bras droit» au ministère.

Une fois sa naturalisation allemande obtenue, elle aura rang de secrétaire d’Etat allemande.

Jennifer Morgan est un pur produit des réseaux d’ingénierie sociale et politique. Avant Green Peace, elle a été coordinateur de la section américaine du Climate Action Network. Elle a ensuite dirigé le programme Changement climatique mondial du WWF de 1998 à 2006. Puis travaillé comme directrice du changement climatique mondial pour le groupe de réflexion E3G (Third Generation Environmentalism) de 2006 à 2009.

Le mondialisme ne se cache donc vraiment plus : quand c’est nécessaire, des mercenaires, des agents, sont placés aux postes clés des Etats-nations, sans aucune légitimité démocratique.

L’Empire états-unien a patiemment noyauté les gouvernements nationaux européens, un long travail qui a mis au du principe électif démocratique, remplacé par le concept oligarchique de «gouvernance».

Mercenaires nomades interchangeables

Il y a des précédents. Après le coup d’Etat de 2014 ourdi par Washington, le régime de Kiev avait lui aussi «recruté» à l’étranger. Outre l’ex-président géorgien Saakachvili, naturalisé ukrainien pour devenir gouverneur de l’oblast d’Odessa, on se rappelle de l’épouse du «fils-de», Raphaël Glucksmann, la Géorgienne Eva Zgouladze.

Cette femme a occupé le poste vice-ministre de l’Intérieur de la Géorgie entre 2005 et 2012, après la révolution colorée dite «des roses». Après avoir acquis la nationalité ukrainienne, elle devient, de 2014 à 2016, vice-ministre de l’Intérieur de l’Ukraine. Cette mercenaire a ainsi pu superviser, sans être totalement au premier plan, les opérations de police, de renseignement et de répression contre les populations du Donbass.

L’Empire fait ainsi circuler ses élites transnationales, comme on réaffecte des cadres à un nouveau département dans une entreprise. A l’instar du franco-espagnol Manuel Valls, Premier ministre français, puis en mission en Catalogne.

Bien qu’il soit français, Macron relève de la même stratégie impériale. Inconnu du public, non élu, associé-gérant de la banque Rothschild. Il est parachuté à l’Elysée dès 2012 comme secrétaire général adjoint, puis comme ministre de l’Economie pour le compte des opérations de prédation américaines (Alstom, Technip…)

Réarmement de l’Allemagne pour le compte de Washington

Cette grille de lecture posée –celle d’une prise en main oligarchique et atlantiste des vieux Etats-nations européens–, le tout nouveau réveil, officialisé, de l’Allemagne prend sens.

Depuis sa position stratégique de secrétaire d’Etat, Jennifer Morgan, œil de Washington et de l’Union européenne (UE), est en mesure de cadenasser les politiques énergétique, étrangère et économique de l’Allemagne.

Dans une séquence précédente, Ursula von der Leyen, ex-ministre de la Défense allemande de 2013 à 2019, avait lancé en novembre 2021 un partenariat entre l’UE avec Bill Gates : le programme public-privé « Catalyst», destiné à lutter contre le réchauffement climatique et développer les énergies vertes.

A cheval entre le super-ministère allemand du «Climat et de l’Economie», d’une part, et les Affaires étrangères d’autre part, Morgan verrouille la politique allemande au nom du discours écologiste… et justifie même un projet de réarmement.

Berlin, d’un coup d’un seul, avec l’autorisation de Washington et de son proxy, l’UE, abandonne son statut de «géant économique, nain diplomatique». Le 27 février dernier, le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé une dotation de 100 milliards d’euros pour l’armée allemande en 2022.

«Nous utiliserons ces fonds pour les investissements et les projets d’armement nécessaires. A partir de maintenant, nous investirons chaque année plus 2% du produit intérieur brut dans notre défense», a déclaré le dirigeant allemand. Contraint à n’avoir qu’une armée minimale depuis 1945, l’Allemagne affirme désormais ses ambitions militaires, pour le compte de Washington.

La commissaire parlementaire allemande aux Forces armées, Eva Högl, a ainsi pointé le «manque important en équipement» des forces de la Bundeswehr, qui participent à la présence de l’OTAN en Lituanie. «L’armée doit être équipée de manière à pouvoir agir en conséquence dans l’Alliance», a-t-elle précisé.

Contre les intérêts allemands (et européens)

Berlin suit aussi l’agenda américain qui consiste à priver l’Europe de l’énergie russe. Le gouvernement fédéral a annoncé le 22 février la suspension de la certification du gazoduc Nord Stream 2, qui contourne l’Ukraine et donne à Gazprom un accès direct à son plus gros client européen, l’Allemagne. 

Non sans remous : les milieux d’affaires ont tiré la sonnette d’alarme, rappelant que le gaz russe est indispensable au complexe industriel allemand.

Depuis, l’Allemagne cherche en catastrophe de nouvelles sources d’approvisionnement, après 60 ans de coopération énergétique et industrielle avec la Russie. Une coopération que Washington n’a cessé de saboter, conformément à l’agenda séculaire de la thalassocratie anglo-saxonne qui consiste à couper la péninsule européenne des matières premières russes. Déjà en 1962, le gouvernement d’Adenauer avait dû céder aux injonctions de l’OTAN, qui imposaient un embargo sur des produits d’industrie lourde, causant une grave pénurie pour l’économie ouest-allemande.

Le changement radical a aussi causé des remous parmi les membres de la classe politique qui n’étaient pas encore mis au parfum de la nouvelle mission assignée à l’Allemagne. «Nous avons besoin de ce gazoduc», déclarait encore Manuela Schwesig, la ministre-présidente SPD dans le Mecklembourg–Poméranie-Occidentale, le 3 mars dernier, appelant à ne pas «confondre le blocage du gazoduc avec des questions de politique étrangère».

L’ancien chancelier Gerhard Schröder est également l’objet d’une campagne d’opinion – jusqu’en France où Le Parisien le qualifie de «paria qui embarrasse l’Allemagne». La pression monte pour le faire renoncer à son entrée prévue en juin 2022 au conseil de surveillance du géant russe Gazprom.

La France, puissance européenne de second rang ?

Qu’importe, le rouleau compresseur est en route. Depuis son siège à la Commission européenne, Ursula von der Leyen fait rouler les tambours de guerre et exige des Etats-membres un quasi-engagement en Ukraine. A la faveur du conflit, la présidente de la Commission européenne, en coordination avec l’OTAN, a imprimé une accélération sans précédent à l’intégration supranationale militaire européenne.

La redistribution des cartes est en cours. La nouvelle donne : à l’OTAN échoit le volet militaire de la «souveraineté» militaire européenne tant chantée par Macron.A l’UE oligarchique, le rôle de charnière entre politique et Défense. Et à l’Allemagne, le leadership économique et bientôt diplomatique, conjointement avec Bruxelles. Berlin a désormais besoin d’une armée à la hauteur du rôle que l’Empire lui assigne.

Avec la fin du long règne de Merkel, c’est la page de la France comme puissance politique tutélaire de l’Allemagne qui se tourne définitivement. L’influence géopolitique semble passer à l’Allemagne, en témoignent les nombreuses prises de positions autonomes d’Olaf Scholz sur l’Ukraine et l’incessant ballet à Berlin, nouveau carrefour diplomatique,

La France de Macron, dont le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité est toujours plus discuté, avec son narratif obsolète du couple franco-allemand à la Mitterrand-Kohl, en est pour ses frais.

Alexandre Keller, pour Strategika

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