Romain Rolland : Un écrivain dont la pertinence est plus grande que jamais

Par Urmie Ray

Urmie Ray est mathématicienne, diplômée de l’université de Cambridge. Elle a eu une carrière de 25 ans en tant que qu’universitaire, entre autres, à l’Institut des Hautes Études Scientifiques, à l’Institut Max Planck pour les mathématiques, au Centre de Recerca Matemàtica, à l’université de Californie à Santa Cruz. Elle a ensuite démissionné de son poste de professeur des universités en France pour se consacrer à l’étude de questions culturelles et historiques. Elle est l’auteur de plusieurs articles et son dernier livre s’intitule “On Science:  Concepts, Cultures, and Limits” (Routledge 2021).

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Romain Rolland : Un écrivain dont la pertinence est plus grande que jamais


Voici ce qu’écrivait Romain Rolland en 1933 :

« De même que dans les guerres de l’avenir, tous écoperont, et les civils, et les femmes, et les vieillards, les impotents et les enfants – de même dans la prison modèle du capitalisme international, chacun aura son numéro, on ne tolérera plus un seul indépendant… Oh ! sans violence ! Le mécanisme sera si parfait qu’il n’y aura de choix que de s’y soumettre ou de mourir de faim. Libertés de presse et d’opinion seront des chimères de l’ancien temps. Et plus un pays où échapper à l’oppression des autres. Les mailles du filet se resserrent peu à peu autour de la terre.i »

Ces quelques lignes révèlent la pertinence de l’analyse politique de cet écrivain dont la vie (1866-1944) couvre une période riche en changements et soubresauts politiques, sociaux et moraux qui ont formé le monde actuel.

En ces temps de désarroi, où tout est fait pour déshumaniser l’homme, la pertinence de l’œuvre et la vie de Romain Rolland, Grand prix de l’Académie Française (1913), Prix Nobel de littérature (1915), ami des plus grands penseurs de son époque, qui a motivé toute une génération, va toutefois bien au-delà – l’œuvre et la vie car elles sont le reflet l’une de l’autre, elles incarnent la condition humaine dans toute sa complexité, mais aussi la tentative d’en harmoniser les extrêmes : idéalisme et réalisme, colère et compassion, souffrance et bonheur, violence et non-violence, attachement à sa terre et amour pour tous les peuples. C’est en cela que ses écrits, où l’on trouve une observation de la vie très attentive et attendrie restent universels. Que cela soit sa lutte contre le méfaits du nationalisme et du fascisme, son pacifisme durant la Grande Guerre, son « panhumanismeii », son indépendance intellectuelle en toutes circonstances, sa rare clairvoyance politique, son amour intense de la vie malgré une mauvaise santé persistante, ou sa force spirituelle profonde, sa conception pratiquement mystique de l’action qui seule offre la possibilité de transcender les contradictions, relire les pages de cet écrivain d’une intégrité morale impressionnante, d’une humanité peu commune et d’une capacité de travail extraordinaire, ne peut que nous aider dans notre propre cheminement.

Cet article n’est qu’une modeste tentative de retransmission de son message exprimé à la fois « sans fard et sans apprêt […] pour être compris […] non pas d’un groupe de délicats, mais par les milliers iii », à la fois « complexe et […] nuancée.iv »

Mondialisme ou nationalisme : une fausse dichotomie

Rappelons que le tournant du 20e siècle a vu la civilisation européenne atteindre son apogée grâce notamment à des découvertes sans précédent dans tous les domaines. De plus, à la veille de la Grande Guerre, l’Europe occidentale connaissait sa plus grande période de calme jusqu’alors : plus de quarante ans de paix ininterrompue. En conséquence, il y régnait un solide optimisme et la plupart des intellectuels européens avaient une foi absolue aussi bien en les grandes idées humanistes de Jaurès qu’en leur patrie respective. Or tout cela reposait sur un transfert inédit de la richesse mondiale vers cette région par une domination coloniale qui se distingue d’autres formes de conquêtes par la destruction de l’infrastructure, mais aussi des façons d’être, de penser, des autres peuples, et de l’imposition de son propre modèle dans le vide crée, bref de ce que l’anthropologue Jack Goody appelle le « vol de l’histoire v » qui détruit l’estime de soi.

Et donc le nationalisme des États-nations modernes – ensuite exporté d’Europe au reste du monde – s’est développé non pas dans dans une réciprocité, non pas dans une reconnaissance de la diversité sous-tendue par une unité humaine, mais dans un contexte de domination.

Il n’est donc pas étonnant que la haine ait repris des dimensions inter-européennes à l’assassinat de Jaurès, « un modèle presque unique vi » à l’époque « d’un grand orateur politique qui est, en même temps, un grand penseur, joignant une vaste culture à l’observation pénétrante et la hauteur morale à l’énergie de l’action. vii» Et cela d’autant plus que sa mort coïncide avec l’essor de l’aspiration à l’indépendance chez les peuples colonisés. Beaucoup des penseurs de l’époque ont été pris de court, voire traumatisés par les premiers soubresauts de l’effondrement de leur civilisation qu’a été la première guerre mondiale.
Or l’un des rares à avoir apprécié la situation bien avant l’heure fatidique a été Rolland ainsi que le révèle son roman Jean-Christophe, publié de 1904 à 1912, un des premiers écrits à sérieusement tenter de rapprocher les peuples français et allemands et à alerter sur les méfaits de la haine nationaliste. Ce livre et avant celui-ci, sa brève biographie de Beethoven, paru en 1903, eurent un tel retentissement à leur sortie, que malgré lui, Rolland devint « un point de ralliement » et un « guide moral ix » d’une partie de la jeunesse et des intellectuels.
Dès la fin 1914, qui marque un tournant dans sa pensée, il se rendit compte de « l’incompatibilité entre les deux idéaux : Patrie, Humanité x » et réussit à se libérer de cette idée de « Patrie, idole sanglante xi ». Cet acte, encore difficile pour beaucoup, était révolutionnaire dans le contexte de l’époque, d’autant plus pour quelqu’un comme Rolland issu de cette vieille bourgeoisie du centre de la France, nourrie des idéaux de la Révolution et de la Patrie. Ainsi que l’avoue Clérambault : « Nulle douleur plus amère que de se séparer de celle qu’on a aimée xii ». Nombreux sont les braves gens qui abreuvés par une propagande bien ficelée, deviennent exaltés par un patriotisme irréfléchi en temps de crise. En particulier durant la guerre de 1914-18, beaucoup d’intellectuels se mirent au service de leur partie, l’inondant d’articles haineux à l’égard de l’ennemi, célébrant la gloire nationale et reniant ainsi les idées humanistes qu’ils avaient supposément soutenues en temps de paix : une vision excluant la majeure partie de l’humanité devait un jour ou l’autre se retourner contre des voisins proches.

Ce nationalisme sectaire, qui reflète sous sa forme extrême le sentiment de séparation, de déconnexion de tout et tous, et donc qui cherche désespérément l’ancrage en l’autre – à ne pas confondre avec la connexion qui reconnaît l’altérité d’autrui – ne pouvait qu’aboutir sur un mondialisme uniformisant, l’envers de la même médaille. Cette perversion de la notion d’universalisme remonte à l’Église catholique romaine du 4e siècle qui en a fait l’imposition de ses dogmes sur tous, une perversion devenue depuis le siècle des lumières, l’imposition des dogmes dont la science moderne a été habillée. Ce mondialisme matérialiste dans laquelle se noient les diversités avive des peurs réelles et imaginaires de perte d’identité et les instincts tribuns, et donc à son tour alimente le nationalisme, accroissant le risque de conflits, ce qui à l’ère de l’omnicide, pour utiliser le terme du philosophe John Somervile représentent un danger certain.

Seul, un équilibre entre individualité et unité peut mener vers un avenir apaisé, c’est à dire en gardant chacun notre propre spécificité, il s’agit comme l’a fait remarquer Rolland de réaliser « pour le monde, l’harmonie des libertés diverses, l’expression symphonique des races, des civilisations associées, de l’humanité intégrale.xiii » Il en vint progressivement à cette idée d’unité mondiale. Jusqu’aux années 1915-16, ainsi que la plupart des intellectuels occidentaux qui dénonçaient la guerre, il était plus spécifiquement concerné par une unité purement européenne. Ses œuvres en soulignent l’urgence  : « Frères, rapprochons-nous, oublions ce qui nous sépare, ne songeons qu’à la misère commune où nous sommes confondus xiv » peut-on lire dans l’Introduction écrit en 1931 pour une nouvelle édition de Jean-Christophe. C’est surtout depuis 1917 qu’il s’est rendu compte de la nécessité d’étendre cette unité à toute la planète pour le bienfait de tous. Ce vœu d’une « internationale de la culture xv » – pour tous et non les seuls privilégiés – est clairement exprimé dans son article Pour l’Internationale de l’Esprit : « Nous devons prendre aujourd’hui l’humanisme dans sa pleine conception, qui embrasse toutes les forces spirituelles du monde entier : – Panhumanisme xvi».

Bien entendu pour arriver à une compréhension mutuelle, il faut porter un regard sur cultures qui à la fois respecte et aime, à la fois n’oublie pas sa propre vision. C’est en cela que Rolland a dépassé ceux même de ses contemporains qui, bien que voués aux mêmes idées humanistes, ont échoué à transcender le cadre de l’Europe. Ainsi qu’en témoigne Jean-Christophe, paru progressivement de 1903 à 1912 dans les Cahiers de la Quinzaine, publiés par son mai Charles Péguy, il a été très tôt intéressé par d’autres civilisations, spécialement celle de l’Inde. En effet il a retrouvé sa propre vision de la vie dans la sagesse émanant de la philosophie indienne – sagesse qu’il a transmise dans ses multiples biographies de penseurs indiens et dans son dernier roman L’Âme Enchantée, publié dans les années vingt.
Il s’agit là d’un point important : afin d’approcher la pensée d’autrui sans préjugés, il faut d’abord être capable d’analyser sa propre culture. Je dirai même plus pour rencontrer la pensé d’autrui et arriver à l’universel, il faut être fortement ancré dans sa propre culture, pour ne pas « chercher xvii » ailleurs comme tant « d’esprits inquiets et désaxés […] je ne sais quelle clef magiquexviii ». Pour Rolland : « Nul mystère dévoilé. Nulle révélation nouvelle. Je n’ai rien trouvé dans l’Inde et en Asie qui ne fût en moi-même.xix »
D’ailleurs, ses œuvres, notamment Colas Breugnon (roman publié en 1919) et Jean-Christophe révèlent une grande connaissance de son pays natal, pour sa « riche civilisation mûrie pendant des siècles, qu’on ne pouvait trouver nulle part ailleurs en Europe xx», et une grande tendresse pour son peuple « qui fait corps avec sa terre, qui a vu passer comme elle, tant de races conquérantes, tant de maîtres d’un jour, et qui ne passe point.xxi » Mais un attachement à sa terre natale ne doit pas exclure un respect pour les autres peuples.

L’inde n’est nullement le seul pays non européen par lequel il a été intéressé. Son « voyage de reconnaissance xxii » l’a notamment conduit au Japon et en Amérique du Sud. C’est ainsi que Rolland est un écrivain de dimensions mondiales et non seulement occidentales. Certes le but initial de Jean-Christophe est de tenter un rapprochement entre les peuples français et allemand, mais ce roman dépasse ce stade puisque l’auteur y montre « l’unité humaine sous quelques formes multiples qu’elle apparaisse.xxiii »
D’ailleurs ce livre a eu un retentissement dans le monde entier à sa sortie : « Des terres les plus lointaines, des races les plus différentes, de Chine, du Japon, de l’Inde, des Amériques, de tous les peuples d’Europe, j’ai vu venir des hommes disant : ‘Jean-Christophe est à nous. Il est à moi. Il est mon frère. Il est moi…xxiv ».

Un pacifisme réaliste

Cette soif de compréhension mutuelle entre peuples, ce refus à la haine durant la Première guerre mondiale, révèle une autre notion fondamentale pour Rolland, à savoir le pacifisme.

À la déclaration de la guerre, il s’est retrouvé par hasard en Suisse et a décidé d’y rester afin de garder la possibilité de s’exprimer, alors que la censure faisait rage en France. En effet, il a pu y travailler pour l’Agence internationale des prisonniers de guerre, et surtout publier article sur article dénonçant le carnage, ceux qui y incitaient, et tentant de garder les peuples de la haine pour autrui. Le plus célèbre est Au dessus de la mêlée, paru en 1914. Ce n’est pas sans hésitation qu’il a pris position publiquement. « Qui étais-je ? Un poète musicien, que visitaient parfois des pressentiments de l’avenir : – dès avant mes vingt ans, j’avais entendu venir la grande catastrophe d’Occident […] – Mais je n’avais jamais touché à la politique.xxv » Par ailleurs, bien que convaincu des méfaits de la guerre et de ceux du nationalisme, il savait que sa vérité pouvait être nuisible pour une jeunesse pour laquelle il n’avait que compassion devant son « abnégation xxvi », son « intrépidité xxvii », sa « foi absolue en xxviii » sa « cause sacrée xxix ». « Mes paroles mêmes, ma vérité, jetées au-dessus de la mêlée, risquaient, comme des shrapnells, d’achever de les tuer – Là fut le vrai drame pour moi… Va-t-on de gaîté de cœur, jouer le rôle … pour lequel on n’est point fait, – d’apôtre d’une vérité dont le monde ne veut point ? Mais il fallait parler. – Pourquoi ? Parce que nul ne parlait.xxx » Il a parlé non «pour convaincre », mais « pour soulager [sa] conscience xxxi ». Il a parlé pour exprimer son indignation envers les dirigeants et intellectuels hypocrites qui poussèrent cette jeunesse au sacrifice en la trompant sur le néant que recouvre le symbole de la Patrie alors qu’eux restaient en sécurité. « Quand j’ai vu […] ce mépris des faibles, des désarmés, des sentiments sacrés, ces bas instincts exploités, cette oppression des conscience, cette poltronnerie devant l’opinion, ces moutons que l’on maquille en héros et qui le deviennent par moutonnerie, ces bonnes gens qu’on force à tuer, cette masse débile qui s’ignore et se laisse mener par une poignée de dévoyés, – mon cœur de honte et de douleur, s’est soulevé !xxxii »

Il devint en conséquence la cible d’attaques abjectes de la part d’intellectuels et de journalistes des deux bords. Comme le dit l’auteur à travers Colas Breugnon : « Tous les hommes sont mes amis. S’ils se battent, c’est leur plaisir. Je tire, quant à moi, mon épingle du jeu. Oui, si je peux. Mais c’est qu’ils ne veulent point, ces gueux. Si je ne suis l’ennemi de l’un, j’aurai les deux comme ennemis. xxxiii» Mentionnons l’ironique justesse et la bêtise de certaines de ces attaques : « On pourrait croire, en le lisant, que l’auteur veut être avant tout un citoyen de l’humanité ! xxxiv» D’ailleurs sa réponse à ce genre de commentaires était claire : « si une telle foi [en l’unité de la pensée humaine] nous vaut d’être injuriés, ces injures sont un honneur, que nous revendiquons devant l’avenir.xxxv »

Il dut sacrifier son succès « à la tâche de combattre la déraison et la haine.xxxvi » Peu à peu la plupart de ses amis le délaissèrent. Comme énoncé dans son roman Clérambault, l’histoire d’une conscience libre pendant la guerre, publié en 1920, il était « l’Un contre tous xxxvii ». Ou plutôt, « en me défendant, c’est vous que je défends. L’un contre tous est l’Un pour tous. Et sera bientôt l’Un avec tous.xxxviii » En effet, sa profonde humanité lui valu de devenir le guide, l’ami des âmes restées libres et humaines. Infatigablement il répondait à toutes les lettres lui venant des quatres coins du monde, soutenant et aidant autant que possible. Son rôle a été d’autant plus essentiel que ceux-la même qui ne pouvaient accepter le déclin de l’Esprit étaient forcé à prendre position pour la première fois. Pris au dépourvu par une situation qui les dépassait, ils se sont retrouvés désorganisés. Pour l’écrivain autrichien Stefan Zweig : « Grace à lui, l’Europe en proie à un accès de folie furieuse avait conservé sa conscience morale.xxxix » Einstein lui a fait savoir qu’il a : « eu, par les jounaux, connaissance du courage avec lequel vous vous êtes exposé, pour dissiper les malentendus si pénibles qui séparent le peuple français et le peuple allemand. Je vous en exprime ma chaleureuse estime. xl» Schweitzer, alors sous surveillance en Afrique, lui a témoigné son soutien : « combattez bien dans un combat où je suis de cœur avec vous xli». De Russie, Gorki lui a attesté de « la grande considération et amour qu’ils [les articles de Rolland] m’ont inspirés.xlii » Hesse a même avoué que « je doute si j’aurais pu vivre durant ces années sans la chaleur de son amitié.xliii » Ainsi, « la guerre a même eu l’avantage douloureux de grouper à travers l’univers les esprits qui se refusent à la haine des nations.xliv »

Tous les pacifistes, connus et inconnus, furent systématiquement calomniés par la presse, accusés de crime de haute trahisons et certains furent même emprisonnés. Durant un conflit, les pacifistes – rares – ne sont pas tolérés puisque c’est justement alors qu’ils pourraient avoir un impact. En temps de paix, ils sont légions. En temps de guerre, ils se font rares. Notons que c’est du carnage de 14-18 que date la légitimation légale du recours à la guerre que Rolland a en particulier dénoncé : Si on peut à la rigueur accepter la guerre « comme un fait de la nature …, mais un fait pathologique, une peste de l’âmexlv », elle devient un crime inacceptable lorsqu’elle devient un acte réfléchi, prémédité. Lorsqu’elle est en plus légalisée, c’est une aberration totale.

Bien entendu, une fois la guerre finie, le pacifisme redevint à la mode. Or, comme l’a fait remarquer Rolland, la paix n’est pas seulement une absence de guerre. Aussi dès 1915, il fut assez lucide pour se rendre compte qu’il ne servait plus à rien de tenter d’arrêter le conflit. Il fallait travailler à la paix qui s’ensuivrait car l’instauration d’une paix véritable demande une préparation consciencieuse. Il est essentiel que le peuple vainqueur ne soit pas assoiffé de vengeance. Il doit simplement rétablir le droit, en accord avec la justice. Malheureusement, comme les évènements le montrent, il n’a pas été écouté et il a en effet souvent critiqué l’hypocrisie du calme qui suivit la période de combats.

Dans les années d’après guerre, Rolland a cependant évolué de cette position de pacifisme absolu. D’ailleurs, comme on le verra il a mis en garde contre le « poison idéaliste xlvi ». Ce qui importe est le contexte. La Première guerre mondiale n’a été qu’une boucherie au profit du grand Capital : « durant toute la durée de la guerre, tandis que les peuples se déchiraient, l’Argent des Forges franco-allemandes, qui s’engraissaient du carnage, n’avait-il pas imposé aux deux États et aux grand Quartiers-Généraux des deux armées l’obligation de respecter religieusement leur poule aux œufs d’or, le bassin de Briey ? Et le contrat avait été tenu, loyalement, des deux côtés alors que tous les xlvii » autres contrats entre États, « les Lois des hommes et de Dieu n’étaient plus que des chiffons de papier. xlviii» Le pacifisme était donc alors justifié. La Seconde était différente. Il s’agissait de mettre un frein à l’oppression du fascisme et du nazisme, des régimes qui aboutissent à la perte de toute dignité humaine. Donc leur sophistication militaire grandissante l’a mené à écrire dans les années vingt : « Les discussions académiques sur la violence ou la non-violence n’étaient plus de saison. Il s’agissait de faire bloc de toutes les forces, et de la violence, et de la non-violence, contre toutes les forces de la réaction.xlix » En d’autres termes, il est venu à accepter la nécessité de la lutte armée dans certaines conditions. En particulier, durant la guerre civile espagnole, d’après lui, un soutien militaire des républicains espagnols de la part des démocraties occidentales auraient vaincu les régimes fascistes tout en évitant une guerre de plus grande dimension. Sa tâche était donc « extraordinairement périlleuse : mener de front l’opposition à la guerre, qui était un article fondamental de mon code d’action sociale, et le combat contre l’oppression internationale.l » Il a ainsi été président d’honneur du Congrès mondial de la jeunesse contre la guerre et le fascisme, ainsi que du Comité international antifasciste, et aussi l’un des architectes majeurs du « rassemblement mondial de tous les partis contre la guerreli » à Amsterdam en 1932.


Réalisme idéaliste ou Idéalisme réaliste


Comme le montrent les sections précédentes, la pensée de Rolland tente d’harmoniser réalisme et idéalisme, notamment à travers son héros Jean-Christophe, et à travers son amitié avec Olivier qui représente la pureté de l’idéalisme lorsqu’elle ne cligne pas des yeux sur la réalité. «La rêverie » est essentielle. Cependant elle « n’est pas inoffensive dans un monde où il faut constamment agir et surveiller  lii» Elle peut sinon devenir « le culte de toutes les idoles liii» quelle qu’elles soient et alors s’adapter aux mauvais instincts de l’homme liv». Une pensée « détachée et dédaigneuse du monde réellv » est « une sottise dans un instant où toutes les forces doivent être tendues vers le réel lvi» comme on peut lire dans son essai de 1900, Le poison idéaliste.

L’œuvre de Rolland reflète une réflexion qui a tenté de prendre en compte la complexité du monde, c’est à dire d’accepter la multitude de vérités, et donc que la sienne peut ne pas être partagée par tout le monde. C’est cette prise en compte qui a suscité en lui une compassion pour tous, même pour ceux dont les opinions étaient contraires aux siennes, et a même été jusqu’à reconnaître que sa vérité pouvait se révéler néfaste pour certains, comme il l’a écrit à propos du pacifisme. Cette compassion est tout le contraire du « sentimentalisme lvii». Le sentimentalisme engendre un « humanitarisme morbide » qui ronge « la distinction du bien et du mal lviii ». Tout comme à la fin 19e siècle, l’un des maux majeurs de la société actuelle est « cette abdication de l’intelligence », mais à l’instar de Rolland, nous ne devons pas nous en culpabiliser : « trop de raisons nous y portaient, sans qu’il y eut de notre faute lix ».
En effet il ne peut y avoir de véritable sympathie pour autrui que si nous faisons preuve de sympathie envers soi-même.
« Chacun peut se tromper. Mais qu’il se trompe ou non, il doit être sincère. L’erreur sincère n’est pas le mensonge, elle est l’étape vers la vérité.lx» Même plus, « l’erreur qui s’efforce ver la vérité vivante est plus féconde que la vérité morte lxi. »
Il n’est pas aisé « de se séparer » de ce en quoi on a cru et qu’on a chéri, ainsi qu’il l’a écrit à propos de la  Patrie ». Il n’y a « rien de plus difficile que d’être tout à fait vrai dans la société moderne, avec l’héritage écrasant d’habitudes paresseuses transmis par les générations.lxii » L’indulgence pour soi et pour les autres est essentiel, mais l’erreur sincère n’a pas peur de la vérité et sait reconnaître s’être trompé : « Je ne me fais pas illusion, je n’attribue pas à ma conscience une importance exagérée lxiii » lit-on dans Clérambault. Ces erreurs nous mènent donc à reconnaître notre responsabilité, que cela soit des pensées que nous entretenons, des paroles que nous prononçons ou des actes que nous faisons. Insistons que responsabilité n’est pas culpabilité, et surtout elle nous permet de cesser d’accuser le monde extérieur pour notre réaction, et donc de progresser vers une plus grande compassion, mais tout en consolidant notre propre perspective. Le sentimentalisme lui nous fait apitoyer devant ceux-là mêmes qui participent à la destruction de la société au nom d’une fausse tolérance.

Il s’agit là d’un point important. Tolérance ne rime pas avec une acceptation sans jugement. « On peut, on doit être tolérant et humain. Mais il est interdit de douter de ce qu’on croit bon et vrai.lxiv » Encore faut-il savoir ce qui est bien, ce qui est mal. N’est-ce pas ce qu’on appelle vérité et mensonge ? Qu’est ce que la vérité alors ? « La vérité, c’est de chercher toujours la vérité ». En effet, notre esprit ne peut englober l’infini qu’est la vérité, ce qui notamment rend la « discussion est impossible, avec qui prétend ne pas chercher, mais posséder la vérité lxv » puisque cela ne peut être la vérité. Donc tout n’est pas vérité même si elle pose comme vérité : il ne s’agit pas la d’une relativité des valeurs qui fait qu’on doit tout accepter. Il ne faut pas accepter le mensonge, qui étant le contraire de la vérité, « est d’en avoir peur et de vouloir l’étouffer.lxvi » La vérité par conséquence n’est pas « un dogme dur lxvii ». Elle « est la vie lxviii» et donc multiple. « Vous ne pensez pas de même. La belle affaire ! Eh tant mieux ! Voudriez-vous cultiver tous le même champ ? Plus la famille aura de champs et de pensées, plus nous seront heureux et forts. […] Chacun la sienne et tous uni lxix ». On revient donc à un réalisme et à un idéalisme relié par la compassion : « Il ne faut pas vouloir que les autres soient heureux à notre façon, mais à la leur. lxx» « Que vous préfériez la vérité à votre bonheur, je vous en estime, mais au bonheur des autres… halte-là ! … Il faut aimer la vérité plus que soi-même, mais son prochain plus que la vérité lxxi ». Inversement, il faut respecter « les efforts de ceux qui peinent à sa poursuite lxxii ». En un mot : « Pitié. Vérité. […] rien sacrifier. lxxiii» Car la pitié sans vérité devient sentimentalisme, et vérité sans pitié « marche sur les vaincus lxxiv ».
En particulier, c’est le devoir de tout intellectuel, c’est à dire de « celui qui ne fait pas de soi et de son idéal le centre de l’univers, mais qui regardant autour, voit […] les milliers de petites flammes qui coulent avec la siennes, et qui ne cherche ni à les absorber, ni à leur imposer sa route, mais à se pénétrer religieusement de la nécessité à toutes et de la source commune qui les alimente.lxxv »

Cette poursuite de la vérité exige une totale liberté d’esprit. Rolland a été en ce sens influencé par Tolstoï dont toute la vie a été gouvernée par « la raison librelxxvi ». Et « le meilleur hommagelxxvii » qu’on puisse « rendre à des hommes comme Tolstoï, c’est d’être libre, comme lui.lxxviii » Son célèbre manifeste Déclaration de l’indépendance de l’Esprit, publié en 1919, souligne la nécessité de cette liberté. Co-signé par plusieurs des grands esprits de l’époque – à part ceux déjà cités, mentionnons Beneditto Croce, Rabindranath Tagore, Selma Lagerlôf, Jules Romains, Heinrich Mann, et Upton Sinclair – il s’agissait d’opposer une internationale de l’Esprit libre à l’  « Internationale nouvelle de l’argentlxxix ». Il y exhorte la masse des intellectuels à ne pas entrer dans des compromis puisque « l’Esprit n’est le serviteur de personne. C’est nous qui sommes les serviteurs de l’Esprit.lxxx » C’est bien pour cela que Rolland n’a jamais rejoint de parti politique : « préférer un parti ne signifie pas lui aliéner son indépendance d’espritlxxxi ». Ce manifeste se révèle ainsi être une véritable profession de foi : « Nous honorons la seule Vérité, libre, sans frontières, sans limites, sans préjugés de races ou de castes.lxxxii »

Ce dévouement à la cause de la Vérité a fait de certains des martyrs. Comme on l’a vu c’était le cas des pacifistes durant la Grande Guerre. À l’occasion de l’arrestation de l’un d’eux en 1917, Rolland écrivit : l’ « État […] a la force : il en use. Mais depuis que l’homme est homme, cette force a toujours échoué, au seuil de l’Âme librelxxxiii ».
Bien entendu, à aucune époque n’y a-t-il eu beaucoup d’ « Hommes libres » : « à part une pincée (ce serait trop de dire : une poignée) d’indépendants, ils ont presque tous abdiqué. lxxxiv» Le courage manque et « la mentalité du troupeaulxxxv » qu’il a souvent décrié s’y oppose : « quand l’homme est en troupe, Dieu n’en mène pas large. lxxxvi»
Mais, à nouveau son réalisme qui reste toujours compassionnel ne peut que reconnaître que « [q]ui veut être libre, il lui faut l’argent, il faut qu’il vende sa liberté.lxxxvii » Celui qui ne sait pas d’où viendra son repas suivant, la liberté n’a aucun sens pour lui : « Avant le beau, avant la paix, avant la guerre, avant l’avenir de l’humanité, il y a la gueule. Elle bée de faim…lxxxviii». Mais « l’enfer humain lxxxix» ne se réduit pas à ceux dont le ventre est vide. Trop sont usés à petit feu et n’ont ni énergie, ni temps pour comprendre même leur oppression.


Ce réalisme compatissant qui reconnaît la complexité se retrouve dans la fresque sociale qu’on trouve dans ses deux grands romans, Jean-Christophe et l’Âme enchantée : de l’aristocratie au prolétariat, en passant par la vieille bourgeoisie mais aussi la petite bourgeoisie, toute la société de ce début du 20e siècle y défile. D’ailleurs ces catégorisations sont trop simplistes : « c’est une sottise de croire qui dit peuple, dit populaire. Le peuple a ses aristocrates, de même que la bourgeoisie a ses âmes de la plèbe.xc » Quant à la petite bourgeoisie, ce qui saute aux yeux, on pourrait s’en tenir à son esprit étroit fondé sur une conception de « devoir insipidexci » et de « travail sans plaisirxcii », mais ce serait lui faire une injustice : « sous ces enveloppes rugeuses, que de trésors en réserve, de droiture, de bonté, de silencieux héroïsme !… Toute la force d’un peuple, toute la sève de l’avenir. xciii» De même, « cette grande bourgeoisie, riche, assez distinguée, … qui ne craint rien tant que d’élargir le rond de la lumière sur la table ou de le déplacer car le moindre changement risquerait d’ébranler ses certitudesxciv », « au bout du comptexcv », ses membres « souffrent. Ils sont malades. Comment ne pas les plaindre ? xcvi»

Qui sont le plus à plaindre ? Les opprimés – « prolétaires exploités, peuples persécutés, …, les misérables de tout le genre humainxcvii » – ou les oppresseurs ? « le plus atroce n’est pas la misère et la maladie, c’est la cruauté des hommes les uns envers les autres. xcviii» L’âme la plus perdue, celle qui a besoin d’une compassion qui va au-delà de l’humain, n’est-elle pas celle qui nie le mal qu’elle fait et n’a aucun remords ?Comment même définir l’injustice, de la perspective de qui ? La complexité de la question ne pouvait pas échapper à Rolland : « L’injustice est innombrable ; pour remédier à l’une, on risque d’en causer d’autres. Qu’est-ce que l’injustice ? – Pour l’un, c’est la paix honteuse, la patrie démembrée. Pour l’autres, c’est la guerre …, pous celui-là c’est l’Église spoliée, pour ce ce troisième, c’est l’avenir étouffé, la liberté en danger. Pour le peuple, c’est l’inégalité ; et pour l’élite, c’est l’égalité. Il y a tant d’injustices différentes, que chaque époque choisit la sienne, celle qu’elle combat, et celle qu’elle favorise.xcix »

Alors la solution est-elle de ne rien faire, de peur d’être injuste envers l’un ou envers l’autre ? Non, bien au contraire comme le suggère déjà la vie de son héros Jean-Christophe. Que cela soit Olivier qui meurt en cours de route est significatif : vouloir comme celui-ci « rendre justice même à mes ennemis […] comprendre tout et tout aimer c» est stérile, même lorsque ce désir s’accompagne de celui de « garder au milieu des passions la luciditéci » du « regard cii». Il faut aller plus loin que la simple compassion ou analyse : « Ce qu’on croit, on doit le défendre.ciii » Utiliser « l’indépendance de l’espritciv » comme excuse pour s’esquiver de la réalité et ne pas agir, est contraire même à la liberté : la vraie liberté pour lui doit se concrétiser par l’action.



Un engagement mystique basé sur une lucidité politique

Ce qui est implicite chez Jean-Christophe est clairement proclamé par l’un des protagonistes de l’Âme enchantée :
« J’ai tout compris, je n’ai cru à rien. Trop comprendre a tué en moi le goût d’agir. – Il faut agir ! […] qu’il ne se contente pas de tout comprendre comme moi, de tout aimer comme vous… Qu’il préfère !… Il est beau d’être juste. Mais la vraie justice ne demeure pas assise devant sa balance, à regarder osciller les plateaux.cv »

Certes « il en bien facile de combattre, quand on met tout le mal de l’autre côté, et tout le bien du siencvi », mais bien que sachant que c’est faux, c’est dans l’action qu’on peut résoudre toutes les contradictions, une action basée sur une analyse politique lucide – essentielle pour qu’elle soit effective et ne soit pas manipulée pour créer la confusion et la division : « Les ouvriers passaient leurs temps à s’accuser mutuellement. Leurs grèves échouaient toujours par les dissentiments perpétuels […] – par le lâche égoïsme et la bassesse de ceux qui profitaient de la révolte des autres pour se pousser auprès des maîtres cvii».

Un observateur aussi fin et intelligent de la société que Rolland ne pouvait pas ne pas comprendre le changement fondamental qui s’est peu à peu mis en place au courant de sa vie, à savoir le passage d’un capitalisme marchand à un capitalisme financier. Pour ce dernier, seul compte le profit. Les peuples n’ont plus aucune valeur sauf par leur contribution au profit dans un monde où L’Argent désormais régnait suprême. La « traîtrise des traités secrets qui disposaient des peuplescviii » avait aboutit non seulement à la guerre en Europe, mais aussi au « pillage éhonté du reste de la terre cix».

D’ailleurs, « la paixcx » aussi « ne se fait plus, ni dans la presse, ni dans les discours, ni au Forum, ni au Parlement, ni dans les parlotes des ministres, ni dans les conférences des diplomates, ni même sur le front des armées. C’est du passé. C’est démodé. La paix, la guerre sont dans les mains de ceux qui tiennent les cordons de la bourse : une douzaine. […] Il ne t’offrent même plus le choix. Ils le feront pour toi. Ta vie, ta mort sont dans nos mains […]. Quand nous voudrons ! cxi». La cessation des hostilités de la 1ere guerre n’avait nullement pour but la paix : « Ces faiseurs de paix, ce n’est pas la paix qui est leur objet. C’est l’argent. L’argent veut, aujourd’hui la paix, demain la guerre.cxii »
«Assurément, […] ce qu’on nomme les pouvoirs dirigeants, font figure de marionnettes avec des disques enregistrés pour la galerie. cxiii» Ce ne sont pas eux qui font « marcher la machine énorme des États. Mais d’autres s’en chargent, derrière le rideaucxiv ». En son temps « ceux qui tiraient les fils de l’opinion et des Étatscxv » car il faut aussi manipuler les populations dans les démocracies, étaient « les Royal Dutch, les Standard Oil (“Aimes-tu l’huile ? On en a mis partout…”), les Comités des Forges ou des Houillères, Skoda, Creusot, etc. cxvi» Leur duplicité est dénoncé : « Le roi des huiles n’a-t-il pas, depuis dix ans, mené de front le double jeu d’ameuter le monde de la réaction contre la Révolution russe, et de tâcher de traite, contre ce monde, avec elle ?cxvii » Rien est oublié. Mention est faite « des contrats secrets, des conventions  qui liaient à leur insu les États, avec la complicité de leurs valets, – valets de presse ou de gouvernement.cxviii » Car il ne faut pas oublier « les grands journaux qui s’étaient vendus […] à l’un ou l’autre de ces ogres, et le contrôle que leurs commis exerçaient sur la vente dans les kiosques, les librairies, les étalages, toute la pensée imprimée. cxix» Aujourd’hui ce sont d’autres ogres, également peu nombreux, mais « quelles que soient la tête et les mains qui tirent la ficelle, le maître de la politique est l’Argentcxx », c’est à dire le « grand Capital cxxi», ce « géant à plusieurs têtescxxii » qui « n’a pas toujours visage humain.cxxiii »

Cette analyse révèle une acuité politique remarquable surtout à une époque où le processus en était à ses débuts : tout y est, la manipulation non seulement des États, mais des populations par des intérêts financiers qui restent dans l’ombre, le contrôle des media et même d’une grande partie des publications, la concentration de la richesse.
Il n’est pas étonnant que Rolland ait conclu : « Presque tout est injuste dans cette société. C’est pour cela qu’il faut la changer. cxxiv»

De telles circonstances ne peuvent qu’engendrer une « démoralisation politique universelle cxxv». Certains préfèrent viter d’entendre « la clameur de tous les oppriméscxxvi », préfèrent éviter de se rendre compte qu’eux-mêmes sont victimes, que leur propre humanité s’affaiblit peu à peu plus ils se retiennent au monsonge, et donc attendent de l’État à qui ils ont délégué de penser pour eux, « qu’il le pourvût de fonctions, de pensions, de décorations ; et l’État, en effet, ne manquait pas d’en arroser sa clientèle cxxvii». Les plus sensibles sont eux suffoqués par la « clameur » qui remonte de cet « enfer humaincxxviii » et qui devant ces « Oktopus, des monstres informes anonymes, dont les mille bras fouillent, et qui tapent de leurs trompes aveugles, dans la nuit cxxix» en viennent à abdiquer, lassés.

À tous ceux qui se sont persuadés « que tout ce qu’on peut faire, cela ne sert à riencxxx », la réponse de Rolland est clair. Tout d’abord cette démoralisation est fondé sur une surestimation du pouvoir du grand Capital. Sa défaite « viendra peut-être, plus tôt qu’on ne le pense… Il ne faut pas désepérer de l’imbécilité des plus forts…cxxxi » : Les têtes du géant « sont rivales cxxxii» et donc « se cognent, front baissécxxxiii » comme des « taureauxcxxxiv ». Par ailleurs la tache à accomplir peut décourager en apparaissant titanesque, mais en reformulant l’objectif, de changer la société à « trouver au progrès humain des voies moins inhumaines, cxxxv» il devient domptable.
Donc cessez de « toujours regarder dans le gouffrecxxxvi ». Surtout quoi qu’il arrive, que le système s’écroule de lui-même ou puisse « durer aussi longtemps que nouscxxxvii », « [q]uelles que soient nos forces il nous est interdit d’abdiquer. Le plus petit, en ce monde, a un devoir, à l’égal du plus grand. Et – (ce qu’il ne sait pas) – il a aussi un pouvoir.cxxxviii » Si l’opinion publique n’avait aucune importance, il importerait peu à ce pouvoir de la manipuler. D’où son appel : « Lève toi, peuple ! Tu ne connais ta puissance. Même sans combat, les bras croisés, si tu dis : « “Non !” le tyran tombe.cxxxix » On pense qu’agir c’est agir sur la place publique. On se trompe. « À chacun son action ! cxl» Rolland n’était pas « de ceux qui nient celle de la prière.cxli » D’ailleurs, ce « n’est point par les paroles qu’on agit sur les autres. Mais par son être. Il est des hommes qui rayonnent autour d’eux une atmosphère apaisante, par leurs regards, leurs gestes, le contatct silencieux de leur âme sereine.cxlii » « Soyez forts tranquillement, sans théorie, sans violence, comme les plantes vers le jour, toutes les âmes des faibles de tourneront vers vouscxliii ». « Ne croyez pas que votre révolte isolée soit vaine ! Une conscience forte, et qui sait s’affirmer, est une puissance.cxliv » C’est d’autant plus important d’offrir aux individus cette possibilité du don de soi à la communauté que tout est fait pour étouffer ce besoin vital. Et cela Rolland a trouvé difficile à pardonner à tous ceux dont « la fonction tacite était, en somme de détourner d’agir. Et pour ce but tout étant bon. […] Même l’action !… Car le paradoxal était que la passion du sport en fin de compte, aboutissait à l’inaction. L’alcoolisme de l’action physique et du mouvement pour le mouvement faisait dériver de leur lit naturel les énergies torrentielles et les épuisait […]. Les sports achevaient l’oeuvre destructrice des journaux. Ils créaient des classes d’intoxiqués et d’inutiles. cxlv» Quant à « la plèbe spectatrice […] elle dépensait à à ces spectacles toute la passion, toute la furie qui auraient pu, bien dirigées, d’un coup d’épaule, culbuter toute l’oppression sociale.cxlvi »

Par sa plume, Rolland a donc tout tenté pour réveiller les consciences, afin que chacun assume sa responsabilité envers la société, celle de rendre la terre « plus habitablecxlvii » : Pour cela, tous sont nécessaires : « Croyez-vous qu’on pourrait se passer d’un de vous ? […] Qu’un seul fléchisse et la maison s’écroulera.cxlviii »
On voit à nouveau ici l’influence de Tolstoï, dont l’exemple lui a toujours rappelé « les devoirs de l’art envers les hommescxlix », et tout comme lui, il a été de toutes les batailles de son temps, travaillant sans répit, malgré tous les sacrifices. Il ne faut en effet pas se leurrer : « la vraie justice qui agit en une époque d’oppression ou d’abaissement universel, mène fatalement au sacrifice.cl » Si le sacrifice « est une tristesse pour vous, non une joiecli », mieux vaut s’abstenir. Il n’y a pas de honte à s’abstenir, à avoir peur. Seulement, même dans ce cas, on se doit d’être franc avec soi-même et pas se leurrer sur les raisons de notre fuite : « Sois ce que tu veux ! Fais ce que tu veux ! Si tu veux fuis ! Mais dis : “Je fuis” clii» On voit là à nouveau son honnêté, celle sans laquelle, il ne peut y avoir de recherche sincère de la vérité, l’honnêteté avec soi.

Il va sans dire que sa sympathie a toujours été pour « ceux qui vont vers l’avenircliii » « [s]ur le plan de l’actioncliv ». Mais on se heurte à une question fondamentale : l’action doit-elle rester non-violente ou la violence est-elle acceptable dans certaines conditions ? On a vu son évolution dans le cadre du fascisme.
On comprend alors son attraction pour les deux nouvelles expériences de cette première partie du 20e siècle  qui offraient une solution active où pouvait se résoudre ce paradoxe : « la Non-Acceptation non violence de Inde Gandhiste  et la violence Révolutionnaire organisée clv » de la Russie – « les deux principes antagonistesclvi » dont il a tenté « de faire l’harmonieclvii ».

La Non-Acceptation non violente face au rouleau compresseur de l’oppression organisée est certes le triomphe de l’esprit libre et de l’individualisme, mais elle l’est justement parce qu’elle passe par l’action, d’où l’attention toute particulière que Rolland, le premier biographe de Gandhi, lui a accordé. Il ne s’agit nullement d’une posture passive de sages ego-centrés loin du tumulte des hommes. Gandhi a activement mené son pays vers l’indépendance et a su « adapter son action aux possibilités clviii ».

L’attirance de Rolland pour la révolution russe s’explique notamment par la porte de sortie de « la prison modèle du capitalisme international clix » qu’elle offrait et la lueur d’espoir qu’elle donnait aux opposants des idéologies fascistes que ce capitalisme avait contribué à mettre en place. Et donc, contrairement à bien d’autres intellectuels, pour Rolland il fallait savoir comment et quand la critiquer publiquement et quand s’en abstenir, toute critique étant vite exploitée par la presse réactionnaire.

Y voir une apologie de la violence serait faire erreur. Il n’a cessé de dénoncer les « dictateurs de Moscou clx » et de dénoncer la violence, qu’il a reconnu être « un vin trop fort pour les hommes clxi ». « Contrer la force » certes, mais par « une force plus grande » « qui n’a nullement besoin de se manifester par la violence ». Ce qu’il faut éviter c’est « la faiblesse », « le renoncement ». Son œuvre contient une discussion détaillée du précepte : La fin justifie les moyens. À une époque où tous les moyens coercitives totalitaires sont utilisés comme nécessaires pour des fins réels ou imaginés, sa mise en garde vient à propos : « les moyens sont encore plus importants au vrai progrès que la fin… La fin ? Est-il jamais une fin ?clxii ».

Il s’agit d’agir par devoir sans attachement au résultat, un enseignement au cœur des philosophies indienne, et qu’on retrouve chez Gandhi, et qu’on pourrait appeler l’action sans action (actionless action), c’est à dire l’action joint au renoncement. C’est dans cette perspective « de dire ce que je crois juste et humain. Que cela plaise ou que cela irrite, cela ne me regarde plus.clxiii » Il n’est alors plus question d’une lutte contre des adversaires, mais d’une action positive constructive pour affirmer la nature sacré de l’homme,  qui comprend comme Rolland « ceux qui le détestaient clxiv », qu’il « n’y a pas d’ennemis, il n’y a pas de méchants, il n’y a que des misérables clxv » et n’oublie jamais que « le seul bonheur durable est de nous comprendre mutuellement pour nous aimer.clxvi »

Attendre toutefois que les peuples intègrent « la loi de l’amour complet … serait se vouer d’avance à l’échec clxvii ». Il faut leur demander « que ce qu’ils peuvent donner clxviii », mais « tout ce qu’ils peuvent donner clxix». Il s’agit de les amener par l’action, non seulement à la possibilité de se débarrasser des chaînes physiques de l’oppression, mais aussi à la possibilité de se débarrasser de la haine, du rejet de l’autre, c’est à dire de ressentir l’unité qui sous-tend l’apparente diversité. C’est en cela que la révolution « offrait un espoir de nouveau clxx » : l’individualisme stricte est stérile, mais dans une idéologie de masse, on risque de perdre la liberté d’esprit. On trouve dans les page de on roman, L’Ame enchantée, publié de 1922 à 1933 une discussion de cette dichotomie : « Il faut, pour sauver même l’âme individuelle de le consomption qui la ronge, la retremper dans la cuve bouillante de l’Âme sociale, par le don actif de soi à la communauté en marche et en combat clxxi », en d’autres termes, « L’indépendance de l’individu et le sacrifice à la communauté clxxii».


Une foi et une joie de vivre profondes

On retrouve donc chez Rolland, la même « mystique de l’action » qu’il admirait chez Péguy. « Agir, c’est croire clxxiii ». Cette mystique de l’action se reflète dans une mystique de l’acte créateur. Ses héros, Jean-Christophe, Clérambault, Annette, sont tous intensément créateurs, bien que de nature différente. « Créer, dans l’ordre de la chair, ou dans l’ordre de l’esprit, … c’est être Celui qui Est.clxxiv » Cette conception quasi-religieuse de la création n’étonne pas chez un homme qui a fait preuve d’un humanisme rare quelles qu’en soient les conséquences pour lui et avec une capacité de travail extraordinaire.

Il faut une foi ardente indescriptible pour agir sans rien espérer. « Je n’ai pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » Cette foi ressort de ses ouvrages, qui bien plus qu’ « une œuvre de littérature » constituent « une œuvre de foi clxxv». Dans l’Âme enchantée, la description de la « vie intérieure » de l’héroïne est toute aussi importante, sinon plus, que celle de sa vie quotidienne. « On écrit toujours l’histoire des événements d’une vie. On se trompe. La vraie est la vie intérieure. » Ses héros, certes libre-penseurs, sont d’une grande piété et reflètent sa « foi idéaliste, de l’unité de la vie sans limites, qui n’a ni commencement, ni fin, et dont les milliard d’êtres et les milliards d’instants ne sont que les rayons de l’unique soleil.clxxvi » Alors qu’est-ce que cette vie ? L’auteur y répond lui-même : « C’est proprement un ‘Enchantement‘ […] ‘L’Âme enchantée‘ se dépouille, au long de sa vie, des tissus d’illusions qui la recouvrent clxxvii » : l’illusion de l’enfant, l’illusion de l’amant, de la vie à deux clxxviii », mais aussi l’illusion du « drapeau, la fureur sacrée de la patrie clxxix », ou au contraire « la foi en la fraternité des hommes et en l’amour. clxxx» « Cette passion de Vérité, quelle plus grande illusion ! » Tout n’est que « Rêve universel, où clxxxi», tout comme l’Âme enchantée, nous sommes immergés. Donc n’y a-t-il rien ? Si, « reste la force essentielle, le pouvoir d’illusion et de rêve, l’élan vital qui crée perpétuellement et renouvelle, – ‘le grand Magicien‘. clxxxii»
Prendre rendre conscience de ce Soi universel en chacun de nous ne veut pas dire nier l’ego, car l’illusion fait partie intrinsèque de la vie dont nous faisons partie, et donc tout comme c’est l’ego qui mène à la prise de conscience de sa propre illusion et donc à la prise de conscience du « Soi », c’est bien cette prise de conscience qui mène à son tour à la pleine reconnaissance de l’altérité de l’autre. C’est bien parce que notre véritable identité est l’unique soleil que nous partageons tous que faire du mal à d’autres c’est faire du mal à soi. « Voyez-vous pas qu’en vous nuisant, c’est vous-même que vous détruisez ? clxxxiii» s’écrie Colas Breugnon.

La vision non-dualiste est à la base de la vision politique de Rolland. Proche de la philosophie des Upanishads, il était bien entendu au-delà des dogmes religieux et a mis en garde contre l’intolérance à accorder trop d’importance à des qualifications. Peu importe de se dire catholique, protestant, hindou, musulman, juif ou autre. Et on retrouve sa compassion pour ses semblables  dans sa compréhension de ceux qui ont besoin d’un concept concret de Dieu. Il a non seulement respecté en eux cette croyance, mais a été jusqu’à dire qu’il serait criminel de tenter d’ « ébranler » leur « appui ». Toutefois, il a très clairement ajouté : « Ils croient … comme nous. Nous croyons tous la même chose. Seulement, ils croient moins que nous. Ce sont des gens qui, pour voir la lumière, ont besoin de fermer leurs volets et d’allumer leur lampe. Ils mettent Dieu dans un homme. Nous avons de meilleurs yeux. Mais c’est toujours la même lumière que nous aimons.clxxxiv »
L’implication de cette affirmation est essentielle. En quelque domaine que ce soit, tolérance ou compassion ne rime nullement avec acceptation de tout comme égal, c’est à dire avec une relativité des valeurs. Cette différence, subtile, est de plus en plus perdue et il rêne aujourd’hui une grande confusion très délétère.

Quoi qu’il en soit, avoir foi, c’est ce sentir un avec tout et tous, et donc aimer la vie, être tourné vers l’avenir et non le passé. « Seule la vie est sainte. Et l’amour de la vie est la première vertu clxxxv ». Cette forte joie de vivre, déjà visible dans Jean-Christophe, ressort particulièrement des pages de Colas Breugnon, « un livre à la ‘bonne Françoise’, qui rit de la vie, parce qu’il la trouve bonne, et qu’il se porte bien ». Ce roman a été écrit en 1914 (il ne paraîtra qu’en 1919) alors que tout un monde s’écroulait autour de lui. Ainsi il était l’exemple vivant de cette sagesse qui, malgré la souffrance ressentie, personnelle ou altruiste, garde son calme et son appétit de la vie. Malgré sa sombre lecture géopolitique, malgré les combats qu’il a mené et souvent perdus, Rolland n’a jamais été pessimiste. Ainsi qu’il l’a écrit peu de temps avant sa mort en 1944, alors que la Seconde Guerre Mondiale faisait encore rage, « J’ai foi en l’avenir de mon pays et du monde.clxxxvi » « Il [Mon Périple] m’a fait tâter le drap de cette espèce humaine ; et, malgré ses accrocs, je me suis convaincu de sa solidité.clxxxvii » D’ailleurs la vraie défaite serait le pessimisme : « La destinée de l’homme se fait chaque jour, et nul ne la connaît ; Elle est ce que nous sommes ; être découragé, c’est la décourager clxxxviii ». Il est certain que la situation politique ou personnelle peut souvent paraître sans issue. On peut alors devenir sceptique ou blasé, voire perdre tout amour pour la vie. On devient en conséquence incapable de s’aider et donc d’aider les autres. «Pour répandre le soleil sur les autres, il faut l’avoir en soi. clxxxix»

Il n’est pas surprenant, vu sa révérence devant la vie, que Rolland ait été un observateur très compatissant et très fin de ses divers aspects. Son œuvre regorge de descriptions de la nature dans toute sa grandeur et faisant ressortir les sentiments des protagonistes qui à la fois observent et font partie intégrante de cette nature. En quelques traits, certaines pages dépeignent des portraits très vivants et toute la palette des émotions humaines. Ses écrits sont loin d’être celui du simple observateur du genre humain, mais celui de quelqu’un d’une sensibilité remarquable qui parle de son propre vécu. Seul quelqu’un qui lui même a ressenti la vie aussi intensément en serait capable. En donnant voix avec authenticité et empathie à toutes les émotions, ces écrits donnent les mots à tout un chacun pour exprimer leur ressenti profond.
Qui a connu le désespoir, qui a connu la perte d’un être cher, se reconnaîtra dans ces lignes :

« Tu as creusé le vide autour de moi, en moi. J’étais brisé, malade, sans volonté, sans armes, pareil à un enfant qui pleure dans la nuit. Tu as choisi cette heure pour me frapper. Tu es venu à pas sourds, par derrière, comme un traître, et tu m’as poignardé ; … j’étais sans force, tu le savais, et je ne pouvais lutter… Si je pouvais au moins crier ma douleur… !  Christophe était sans aide ; et sa main ne rencontrait aucune main dans la nuit. Il ne pouvait plus remonter à la lumière du jour.
Ce fut l’épreuve suprême. Alors, il se senti aux limites de la folie. Tantôt une lutte absurde et démente contre son cerveau, des obsessions de manique, une hantise des nombres : il comptait les planches du parquet, les arbres de la forêt … Tantôt un état de prostration, comme un mort.cxc »

Cependant, Rolland ne laisse jamais le lecteur dans le désespoir. Les lignes suivantes cxci convainquent que la connexion perdue avec la vie revient même après les pires douleurs, que soudain on semble « s’éveiller d’un cauchemar » et que pour une raison où une autre, on est est traversé par « une douceur déchirante » et enfin viennent les sanglots qui nous soulagent et notre « esprit » est enfin « lavé ». Il peut donc être libératoire et réconfortant de relire parfois certaines pages et au final le lecteur ne peut qu’être gagné par la forte joie qui ressort de ses livres. Il nous faut alors répéter avec Colas, que malgré tout : « Que de glorieuses choses sur la machine ronde, riantes à regarder, suaves à savourer ! Grand Dieu ! Que la vie est bonne !cxcii »


Conclusion


Couvrir toutes les facettes d’un auteur aussi polyvalent est impossible dans un article. J’ai laissé de côté Rolland le musicien. Pianiste accompli, il a d’abord été professeur en musicologie à la Sorbonne, chaire dont il a démissionné en 1912 pour se consacrer à ses écrits. Ses nombreux ouvrages sur le sujet, notamment ses biographies de compositeurs, sont toujours étudiés. C’est le Rolland oublié que j’ai voulu remettre au goût du jour.


Au-delà de son analyse politique qui reste très pertinente, ses écrits nous font réfléchir sur notre propre vie, notre attitude face aux divers problèmes ravageant notre monde. Ils nous incitent à nous remettre en question, à voir clair en nous et à regarder la vie sans se voiler la face.
Seul ce « voyage intérieur » peut nous mener vers la joie, qui n’est autre que la conscience que chacun de nous, nous sommes « l’un avec tous cxciii », l’un en tous. C’est alors que cessent les angoisses qui tourmentent notre ego, notre soi séparé. C’est alors que nous pourrons vraiment nous sortir de la crise civilisationnelle inédite que nous traversons et qui va jusqu’à menacer la survie de l’humanité, ou du moins une vie qui mérite d’être vécu.

Nos ancêtres depuis notre émergence sur cette planète, à travers bien des efforts, dans la joie et la souffrance, ont fait qu’aujourd’hui nous avons nous aussi la possibilité d’une telle vie, que peu à peu à travers les âges nous avons progressé vers un plus grand sentiment d’unité qui accepte la singularité de chacun. Il serait tragique de nous arrêter en cours de route et de régresser, voire de disparaître dans un magma informe d’uniformité sans nom, qui est tout le contraire d’une unité composée d’entités séparées libres. Il serait tragique de ne pas se donner et donner à nos descendants la possibilité de se dire comme Clairambault à la fin de la vie, qu’au moins on « avait été librecxciv » ou comme Jean-Christophe : « Seigneur, n’es-tu pas trop mécontent de ton serviteur ? J’ai fait si peu ! Je ne pouvais davantage…J’ai lutté, j’ai souffert, j’ai erré. Lasse-moi prendre haleine dans tes bras paternels.cxcv »
Dans notre combat non pas contre qui que ce soit, mais pour une plus grande humanité, relire Rolland nous rappellera que nous ne sommes pas seuls, que Jean-Christophe, « aura beau mourir cent fois, il renaîtra toujours, il combattra toujours, il est et reste le frère ‘des hommes et des femmes libres de toutes les nations, – qui luttent, qui souffrent , – et qui vaincront.’ cxcvi». Et enfin viendra le jour où nous réussiront à « bâtir un Burg de l’esprit international, sans frontières, sur les fondations de l’individualisme, libre, lucide et intrépide.cxcvii »

iL’Âme enchantée [1922-1933] , Paris, Albin Michel, Tome II, 1979, p. 385

iiL’Esprit Libre : Au-dessus de la mêlée, Les précurseurs, Introduction à l’Édition Nouvelle [1931], Paris, Albin Michel, 1953, p. 49

iiiJean-Christophe [1904-1912], Paris, Albin Michel, 1961, p. xvii

ivIbid.

vGoody, Jack. Le vol de l’histoire : Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde , Paris, Gallimard, Folio, 2015

viL’Esprit Libre, op. cit., Jaurès [2 août 1915], p.171

viiIbid.

viiiL’Esprit Libre, Introduction à l’Édition Nouvelle, op. cit., p.18

ixIbid.

xIbid., p.17

xiIbid., p. 20

xiiClérambault : Histoire d’une conscience libre pendant la guerre [1920], Paris, Albin Michel, p.134

xiiiL’Esprit Libre, op. cit., Aux écrivains d’Amérique [nov. 1916], p. 226,

xivJean-Christophe, op. cit., p.xii

xvL’Esprit Libre, Introduction à l’Édition Nouvelle, op. cit., p.50

xviL’Esprit Libre, op. cit., Pour l’Internationale de l’Esprit, p. 333

xviiLe Voyage intérieur (Songe d’une vie) [1942], Paris, Albin Michel, 1959, p. 283,

xviiiIbid.

xixIbid.

xxJean-Christophe, op.cit., p. 952

xxiIbid., p. 813

xxiiLe Voyage intérieur, op. cit., p.286

xxiiiJean-Christophe, op. cit., p. xvi

xxivIbid.

xxvL’Esprit Libre, Introduction à l’Édition Nouvellem op. cit., p.18

xxviL’Esprit Libre, op.cit., Au-Dessus de la mêlée [15 sept. 1914], p. 78

xxviiIbid.

xxviiiIbid.

xxixIbid.

xxxLe Voyage intérieur, op. cit., p. 269

xxxiL’Esprit Libre, Au-Dessus de la mêlée, op.cit., p. 88-89

xxxiiL’Âme enchantée, op. cit., Tome 2, p. 239

xxxiiiColas Breugnon [1919], Paris, Albin Michel, 1986, p. 26

xxxivL’Esprit Libre, op. cit., Introduction à l’Édition Nouvelle, p.32

xxxvIbid., Lettre à ceux qui m’accusent [17 nov. 1914], p. 116

xxxviIbid., Introduction à l’Édition Nouvelle, p. 40

xxxviiClérambault, op. cit., p. 365

xxxviiiIbid.

xxxixZweig, Stefan. Le monde d’hier : Souvenirs d’un Européen [1943], p. 337-369

xlL’Esprit Libre, Introduction à l’Édition Nouvelle, op. cit., p. 36

xliIbid., p. 45

xliiL’Esprit Libre, op. cit., Deux lettres de Maxime Gorki [1916], p. 220

xliiiHesse, Hermann. If the War Goes On…: Reflections on War and Politics, Foreword [1946], Trad. Ralph Manheim, Triad Panther, 1985, p. 10

xlivL’esprit Libre, op. cit., Lettre au journal « Svenska Dagbladet »de Stockholm, p. 147-148

xlvL’Âme enchantée, op. cit., Tome 1, p. 499

xlviCompagnons de Route [juillet 1900], Albin Michel, 1961, p. 17

xlviiL’Âme enchantée, op. cit., Tome 3, p. 108

xlviiiIbid.

xlixIbid., p. 393

lLe Voyage intérieur, op. cit., p. 293

liIbid.

liiCompagnons de Route, op. cit., p. 18-19

liiiL’Esprit Libre, op. cit., Les idoles [4 déc. 1914], p. 118

livIbid.

lvCompagnons de Route, op. cit., p. 18-19

lviIbid.

lviiJean-Christophe, op. cit., p. 764

lviiiIbid.

lixIbid., p. 17

lxClérambault, op. cit., p. 106

lxiJean-Christophe, op. cit., p. 954

lxiiIbid., p. 396

lxiiiClérambault, op. cit., p. 106

lxivJean-Christophe, op. cit., p. 1048

lxvL’Esprit Libre, op. cit., Inter arma caritas [30 oct. 1914], p. 96

lxviClérambault, op. cit., p. 106

lxviiJean-Christophe, op. cit., p. 1070

lxviiiIbid.

lxixColas Breugnon, op. cit., p. 236

lxxJean-Christophe, op. cit., p. 1572

lxxiIbid., p. 979

lxxiiClérambault, op. cit., p. 106

lxxiiiL’Âme enchantée, op. cit., Tome 1, p. 11

lxxivIbid.

lxxvL’Esprit libre, Les idoles, op. cit., p. 126

lxxviL’Esprit libre, Tolstoy :L’Esprit libre [1 mai 1917], p.213

lxxviiIbid., p.216

lxxviiiIbid.

lxxixL’Âme enchantée, op. cit., Tome 2, p. 385

lxxxL’Esprit libre, op. cit., Déclaration de l’indépendance de l’Esprit [26 juin 1919], p. 344

lxxxiClérambault, op. cit., p. 244

lxxxiiL’esprit Libre, op. cit., Pour une internationale de l’Esprit [mars-avril 1918], p. 344

lxxxiiiL’esprit Libre, op. cit., Pour E. D. Morel [15 sept. 1917], p. 242

lxxxivAdieu au passé, Europe, XXVI. K° 102 11, 15 juin 1931, p. 161-202

lxxxvColas Breugnon, op. cit., p. 39

lxxxviIbid.

lxxxviiL’Âme enchantée, op. cit., Tome 3, p. 34

lxxxviiiIbid., Tome 2, p. 283

lxxxixJean-Christophe, p. 1260

xcIbid, p. 812

xciIbid., p. 274

xciiIbid.

xciiiIbid., p. 342-343

xcivL’Âme enchantée, op. cit., Tome 1, p. 203-204

xcvIbid., p. 1154

xcviIbid.

xcviiop. cit., 1260

xcviiiJean-Christophe, op. cit., p. 1260

xcixIbid., p. 1263

cIbid., p. 987

ciIbid., p. 987

ciiIbid.

ciiiIbid., p. 1048

civL’esprit Libre, op. cit., Pour une internationale de l’Esprit, p. 342-348

cvL’Âme enchantée, op. cit., Tome 2, p. 150

cviIbid., Tome 2, p. 74

cviiJean-Christophe, op. cit., p. 1291

cviiiL’Esprit Libre, Introduction à l’Édition Nouvelle, op. cit., p.14,

cixIbid.

cxL’Âme enchantée, op. cit., Tome 3, p. 103

cxiIbid.

cxiiIbid., Tome 3, p. 109

cxiiiIbid., , Tome 2, p. 384

cxivIbid.

cxvL’Âme enchantée, op. cit., Tome 3, p. 104

cxviIbid.

cxviiIbid., Tome 2, p. 384

cxviiiop. cit., Tome 3, p. 104

cxixIbid.

cxxIbid., Tome 3, p. 108

cxxiIbid.

cxxii Ibid., Tome 2, p. 384

cxxiiiIbid.

cxxivIbid., Tome 2, p. 33

cxxvJean-Christophe, op. cit., p. 764

cxxviIbid., p. 1260

cxxviiIbid., p. 764

cxxviiiIbid., p. 1260

cxxixL’ Âme enchantée, op. cit., Tome 2, p. 384

cxxxIbid., Tome 3, p. 104

cxxxiIbid., Tome 3, p. 105

cxxxiiIbid.

cxxxiiiIbid.

cxxxivIbid.

cxxxvClérambault, op. cit., p. 107

cxxxviJean-Christophe, op. cit., p. 1260

cxxxviiL’Âme enchantée, op. cit., Tome 3, p. 106

cxxxviiiJean-Christophe, op. cit., p. 1048

cxxxixL’Âme enchantée, op. cit., Tome 3, p. 496

cxlIbid., Tome 2, p. 174

cxliIbid.

cxliiJean-Christophe, op. cit., p. 1059

cxliiiIbid., p. 1274

cxlivIbid., p. 1048

cxlvL’Âme enchantée, op. cit., Tome 3, p. 356

cxlviIbid., p. 357

cxlviiColas Breugnon, op. cit., p. 235

cxlviiiIbid.

cxlixLe voyage intérieur, op. cit., p. 42

clL’Âme enchantée, op. cit., Tome 1 p. 13

cliJean-Christophe, op. cit., p. 1157

cliiIbid., p. 308

cliiiLettre à Pierre Jouve, 15 mai 1917, cité dans Eugène Relgis, L’internationale pacifiste, Paris, André Delpeuch, 1929, p. 109

clivIbid.

clvL’Âme enchantée, op. cit., Tome 1, p. 15

clviIbid.

clviiIbid.

clviiiMahatma Gandhi, Librairie Stock, 1926, p. 51

clixL’Âme enchantée, op. cit., Tome 2, p. 385

clxMahatma Gandhi, op. cit., p. 30

clxiL‘Ame enchantée, op. cit., Tome 3, p. 152.

clxiiPremière lettre ouverte de Romain Rolland à Henri Barbusse, [«l’art libre», Bruxelles, 1922], cité dans le recueil Romain Rolland, Textes politiques, sociaux et philosophiques choisis, Paris, Jean Albertini, Editions sociales, 1970, p. 203

clxiiiL’Esprit Libre, Au-dessus de la mêlée, op. cit., p. 61

clxivClérambault, op. cit., p. 293

clxvJean-Christophe, op. cit., p.xii

clxviIbid.

clxviiMahatma Gandhi, op. cit., p. 51

clxviiiIbid.

clxixIbid.

clxxClérambault, op. cit., p. 244

clxxiL’Âme enchantée, op. cit., Tome 1, p. 16

clxxiiIbid., tome 3, p. 113

clxxiii Ibid., Tome 2, p. 173

clxxivJean-Christophe, op. cit., p. 382

clxxvIbid., p. xiv

clxxviIbid., p. 1337

clxxviiL’Âme enchantée, op. cit., Tome 1, p. 9

clxxviiiIbid., Tome 1, p. 10

clxxixIbid., Tome 2, p. 250

clxxxIbid.

clxxxiIbid.

clxxxiiIbid., Tome 1, p. 9

clxxxiiiColas Breugnon, op. cit., p. 236

clxxxivJean-Christophe., op. cit., p. 1308

clxxxvClérambault, op. cit., p. 167

clxxxviVoyage intérieur, op. cit., p. 297

clxxxviiIbid.

clxxxviiiClérambault, op. cit., p. 243

clxxxixJean-Christophe, op. cit., p. 1261

cxcIbid., p. 1407

cxciIbid., p. 1343

cxciiColas Breugnon, op. cit., p. 21

cxciiiClérambault, op. cit., p. 365

cxcivIbid., p. 366

cxcvJean-Christophe, op. cit., p. 1593

cxcviIbid., p. xix

cxcviiAdieu Au Passé, op. cit., p. 201

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