La relation Chine-Israël sous les projecteurs de l’opinion publique chinoise

par Laurent Michelon

Laurent Michelon est un entrepreneur en Chine. Diplômé de l’IEP de Paris et de l’Inalco, il est établi en Chine depuis bientôt 25 ans, où il a travaillé dans la diplomatie culturelle française et pour différents groupes de communication internationaux, avant de développer ses activités de conseil pour sociétés européennes en Chine et pour multinationales chinoises en Europe. Il a publié en 2022 Comprendre la relation Chine-Occident. Retrouvez-le sur sa chaîne Telegram.

Beijing, le 9 novembre 2023

La Chine a pris la présidence tournante du Conseil de sécurité des Nations unies pour le mois de novembre, et la situation à Gaza figure en tête de l’ordre du jour du Conseil. Invoquant le principe de sécurité indivisible, le porte-parole du Ministère des affaires étrangères chinois rappelle à chaque conférence de presse que « ce n’est que lorsqu’il y a une sécurité pour tous qu’il peut y avoir une sécurité durable« .

Rappeler l’humanité des Palestiniens à l’Occident

La position de la Chine sur la question est sans équivoque: elle exhorte toutes les parties concernées, en particulier Israël, à faire preuve de retenue, à appliquer la résolution de l’Assemblée générale du 27 octobre, et à cesser immédiatement les combats.

En invoquant le respect pour la vie, les valeurs de l’humanité et l’application stricte du droit international, Beijing tente d’éviter « la disparition de la ligne rouge morale, qui signifierait une descente dans l’abîme« .

En contraste avec les capitales occidentales qui n’ont habituellement que le mot « droits de l’homme » à la bouche, Beijing est la seule capitale majeure à rappeler un principe qui ne va pas de soi pour tous les gouvernements, qui veut que « toutes les vies sont précieuses, et la vie des Palestiniens, comme celle de tous les autres peuples, doit être protégée« .

Depuis le début de ce nouvel embrasement entre la Palestine et Israël, Beijing annonce qu’elle condamne et s’inquiète de la mort de civils innocents à Gaza, en contraste avec les provocations de divers dirigeants israéliens qui contestent jusqu’à l’humanité même des Palestiniens (« des animaux humains » du ministre de la Défense) et nient aux 2,5 millions de Gazaouis le statut de civils (« il n’y a pas d’innocents à Gaza » du président Herzog), dans un silence politique et médiatique assourdissant des capitales occidentales.

Une approche holistique pour régler la situation au Moyen-Orient

Beijing, dont le rôle grandissant de contrepoids diplomatique aux États-Unis n’est plus à rappeler, tente d’abord de se positionner en médiateur de la crise, en dépêchant son envoyé pour le Moyen-Orient, Zhai Jun, en tournée des capitales du Proche-Orient et des pays du Golfe pour trouver une solution diplomatique commune, dans un contexte où les États-Unis comme Israël ont depuis longtemps abandonné la diplomatie.

Au même moment, la Chine dépêche six bâtiments de la marine chinoise en Méditerranée, pour rappeler aux États-Unis que la Chine aussi a des intérêts à défendre dans la région.

Enfin, Beijing a immédiatement envoyé une aide humanitaire de 2 millions de dollars à Gaza, principalement de la nourriture et des médicaments.

Les États-Unis, qui disent être également préoccupés par la crise humanitaire à Gaza, envoient une aide de 10 millions de dollars à… Israël, qui consiste en des obus de précision, des batteries anti-missiles, des véhicules blindés et des munitions de gros calibre[1].

Dans la foulée, le Parti républicain a introduit un projet de « paquet d’aide » de 14 milliards de dollars à Israël pour combattre le Hamas (toujours plus de munitions et d’obus au phosphore blanc), qui vient s’ajouter au « paquet d’aide urgente » de 106 milliards de dollars demandé par Biden au Congrès pour Israël, l’Ukraine et… Taïwan (?!), révélant ainsi le volet suivant du plan impérial anglo-américain: après l’Ukraine et la Palestine, la population de Taïwan serait la prochaine à être sacrifiée pour perpétuer la suprématie de l’hégémon sur le reste du monde.


[1] Source: US Congress (https://www.speaker.gov/speaker-johnson-applauds-bipartisan-passage-of-israel-aid-package/)

Éviter le piège du « avec ou contre nous »

Poser la question « la Chine est-elle du côté d’Israël ou de la Palestine? » ne peut mener qu’à des interprétations erronées de la position chinoise, et joue le jeu de l’hégémon qui depuis son invasion de l’Irak, somme le monde entier, y compris ses vassaux alliés de se positionner avec ou contre lui, la neutralité ou une « troisième voix » ne faisant pas partie des positionnements acceptables.

La Chine le dit et le répète depuis des décennies: elle est du côté de la paix, de l’équité et des valeurs de l’humanité. Elle soutient donc depuis longtemps la solution des deux états, qui est la seule possible depuis que l’accord de paix Arafat-Rabin est mort et enterré suite à l’assassinat de ces deux dirigeants.

Malgré un positionnement naturellement alter-mondialiste, la Chine a pris soin de ménager ses relations avec les deux protagonistes de cette guerre:

La Chine a reconnu l’OLP en 1964, la souveraineté de la Palestine en 1988, puis établit des relations diplomatiques avec l’Autorité palestinienne en 1989. Les relations économiques sino-palestiniennes sont au maximum de ce que permet le blocus israélien depuis des décennies, en augmentation constante mais limitées à quelques centaines de millions de dollars annuellement, dont une partie importante consiste en réalité en une aide chinoise au développement de la Palestine.

En juin 2023 encore, Xi Jinping recevait Mahmoud Abbas à Beijing, pour signer un protocole de coopération dans le cadre des Nouvelles routes de la soie, en négociation depuis 2019. A cette occasion le président Xi a confirmé le soutient de la Chine à la solution des deux états, avec une Palestine indépendante, dans ses frontières de 1967 et sa capitale à Jérusalem Est[1]. Xi Jinping a également confirmé à Mahmoud Abbas que la Chine allait élever ses relations diplomatiques au niveau stratégique avec les autorités palestiniennes, et accélérer les négociations en vue d’un accord de libre-échange sino-palestinien.

Cependant, la Chine sait que la Palestine est l’acteur faible de la question israélo-palestinienne, et ne peut donc pas, en raison de sa tradition diplomatique qui marie réalisme et recherche du Juste milieu[2], soutenir unilatéralement l’Autorité palestinienne contre Israël.

La relation économique avec Israël est bénéfique pour les deux états, et ce depuis des décennies, notamment sur le volet militaire, puisque Israël a contribué à la modernisation de l’Armée populaire de Libération depuis les années 60. Aujourd’hui, la vente de matériel militaire israélien à la Chine continue de prospérer. De plus, la Chine considère Israël, avec qui elle a établi des relations diplomatiques en 1992 seulement, comme une des portes d’entrée des Nouvelles routes de la Soie vers l’Europe, ce dont témoignent les investissements chinois dans les ports d’Ashdod et d’Haïfa, qui préoccupent beaucoup les États-Unis[3], dont l’inquiétude croît à chacune des avancées de la Chine en dehors de ses frontières.

En comparaison au volet économique, le volet diplomatique de la relation bilatérale est tendu, car la Chine a voté en faveur des 62 résolutions en faveur de la paix et la justice dans la région, qu’Israël a constamment ignorées, se plaçant ainsi en dehors du cadre des institutions onusiennes.

En membre responsable du Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine ne peut soutenir aucun des protagonistes, quel qu’il soit, qui sortirait de lui-même de la communauté internationale en violation constante de la Charte onusienne. Ainsi, ce n’est pas Beijing qui serait « contre Israël », mais bien ce dernier et son bras armé américain qui se moquent ouvertement du droit international, et ramènent la communauté internationale à la loi de la jungle, ce que la Chine refuse.

La récente disparition du nom d’Israël des cartographes chinois Amap et Baidu, encore inexpliquée officiellement, peut être interprétée comme un signe subtil de l’insatisfaction croissante de Beijing envers le dédain israélien pour le droit international. On peut également y voir une condamnation chinoise de la nature brutale, collective et donc disproportionnée de la punition infligée à Gaza et à la Cisjordanie dont le Hamas est pourtant absent.


[1] https://www.fmprc.gov.cn/fra/zxxx/202306/t20230615_11098315.html

[2] Michelon, Laurent, Comprendre la relation Chine-Occident, Perspectives libres, 2022, p.69-75

[3] https://www.al-monitor.com/originals/2021/09/israel-opens-chinese-run-terminal-haifa-port

Réparer une injustice historique

Le Président Xi Jinping, lors d’une visite officielle en Arabie saoudite en 2022, avait qualifié « d’injustice historique » le fait que la communauté internationale dans son ensemble ne reconnaissait toujours pas la Palestine comme un état indépendant.

Reprenant récemment ces propos, le Ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi a remis la situation actuelle dans son contexte historique, ce que se gardent bien de faire les médias occidentaux: « La racine de cette question vient du long atermoiement àaliser le rêve d’un état palestinien indépendant, et l’échec des tentatives deparer l’injustice historique dont souffre le peuple palestinien. […] Israël a le droit d’être un état, tout comme la Palestine. Les Israéliens ont obtenus cette garantie à leur survie, mais qui se préoccupe de la survie des Palestiniens? La nation juive n’est plus apatride. Quand la nation palestinienne sera-t-elle autorisée à rentrer chez elle« ?

On remarque l’absence de réaction israélo-américaine à ces déclarations chinoises qui, si elles émanaient d’un dirigeant occidental, lui vaudraient une révolution de couleur dans les mois qui suivraient.

De son côté, le peuple chinois, qui a une détestation naturelle pour la brutalité du fort sur le faible et pour les injustices perpétrées au grand jour avec arrogance, condamne à la quasi-unanimité la réaction d’Israël, et l’a fait savoir sur les réseaux sociaux, forçant l’ambassade israélienne à fermer la section commentaire de ses réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux chinois sont submergés depuis quelques semaines de discussions passionnées sur le sujet, pour lequel se sont soudainement passionné les Chinois. En l’espace de quelques semaines seulement, la brutalité du gouvernement israélien envers la population civile de Gaza a conduit 20% de l’humanité à s’intéresser, et à prendre position sur un conflit qui ne l’avait jamais intéressé jusqu’alors.

La diplomatie chinoise, notamment sa représentation diplomatique en France, a pointé du doigt sur son compte X (anciennement Twitter) le deux poids deux mesures que subit la Chine, que l’Occident accuse périodiquement, et sans preuves, de génocide au Xinjiang musulman, alors que l’opération de nettoyage ethnique en cours en Palestine, revendiquée comme telle par le gouvernement israélien, est validée par les gouvernements et médias occidentaux.

Les images de la violence aveugle qui se déchaîne sur Gaza, qui circulent sur internet en Chine, ainsi que les commentaires traduits en chinois d’observateurs indépendants, sont un désastre de relations publiques Israël, ainsi que pour sa relation avec la Chine, un de ses partenaires économiques majeurs, qui pourrait, en plus d’accentuer sa pression diplomatique à l’ONU, décider de dévier ses Routes de la soie, qui reposent sur la stabilité des chaînes d’approvisionnement, vers des cieux plus cléments et vers des partenaires régionaux plus à l’écoute du projet chinois de « communauté de destin pour l’humanité ».

Une pensée sur “La relation Chine-Israël sous les projecteurs de l’opinion publique chinoise

  • 13 novembre 2023 à 20 h 58 min
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    la caricature, et le déni du réel par le dédain des éléments qui pourraient perturber les convictions partisanes ainsi dévoilées de l’auteur de l’article, sont de bien piètres arguments.

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