La fin de la gouvernance mondiale

Source : reseauinternational.net – 17 janvier 2024 – Patrick Lawrence

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Israël & l’Amérique ont déjà perdu très gros. Notre culture s’est avilie. Sinon destinés à nous piéger dans le mythe de l’Occident, ses attraits se sont flétris, comme des idoles visiblement factices.

Le déclin de l’Occident est à nos portes

De nombreuses photos du président Biden circulent ces jours-ci. C’est peut-être parce que, même en tenant compte de son déclin physique et de son incompétence mentale, ses serviteurs ne peuvent plus le soustraire aux regards en ce début d’année électorale. L’image à laquelle je pense, diffusée par la BBC, est une image vidéo prise lors du discours de Biden à Valley Forge la semaine dernière. Il s’agissait de sa première apparition dans le cadre de sa campagne de réélection en novembre prochain.

On y voit Joe Biden et la première dame Jill – pardon, le Dr Jill – debout devant le décor habituel de ce genre d’occasion, un immense drapeau américain. Joe sourit de son visage figé, empreint de ce qui ressemble à de l’ahurissement. Le Dr Jill sourit également – un sourire crispé, mais qui suggère qu’elle est au moins consciente de ce qui se passe. Le Dr Jill fait un signe de la main, le bras gauche levé bien haut. Les deux se tiennent par la main.

Qu’est-ce qui fait que cette image, parmi tant d’autres, reste gravée dans mon esprit ? J’en conclus que c’est la vacuité totale des poses et des gestes. J’ai vu assez peu de représentations d’hommes politiques de premier plan, et en l’occurrence de leur épouse, aussi dénuées de sincérité et d’authenticité.

Cela a également à voir avec la situation du moment. Ce président a fourni et financé une guerre par procuration en Ukraine qui a échoué après avoir tué des dizaines de milliers de soldats et déplacé des millions d’autres. C’est un président qui parraine aujourd’hui un génocide à Gaza sous les yeux du monde en temps réel – un génocide, rien que ça… Le projet phare de ce président – l’Amérique mènera les nations démocratiques dans une croisade contre les autoritaires du monde – n’est plus nulle part pris au sérieux. Cet homme préside, avec son impériale désinvolture, une république qui a sombré dans un chaos spirituel et social et dans d’extrêmes inégalités économiques, tout en affichant une indifférence plus ou moins générale vis-à-vis de la détresse de son pays. C’est un président qui fait face à des poursuites judiciaires basées sur de nombreuses preuves attestant de sa participation aux trafics d’influence de son fils et de son frère.

C’est un homme qui sourit. À la fin de la vidéo, le Dr Jill doit faire sortir le président Joe de la scène. Il n’arrête pas de sourire tandis qu’elle s’exécute. Je suppose que l’intention est d’encourager le plus grand nombre d’Américains à croire – sans trop réfléchir – que tout va bien à l’aube de 2024, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mon interprétation de l’image de Valley Forge est diamétralement opposée à celle-ci. Les expressions figées du président et de la première dame, ainsi que leur détermination évidente à ne rien trahir de ce qui se cache derrière les sourires, sont effrayantes.

Voilà à quoi ressemble la «culture de la victoire» lorsqu’elle est filmée ou photographiée, pour reprendre l’expression très utile de Tom Engelhardt. Lorsque Tom a publié «The End of Victory Culture» en 1995, il pensait avoir écrit l’épitaphe de cette préférence typiquement américaine pour l’illusion de «victoires» sans fin, du succès où que l’on regarde. Il le sait mieux aujourd’hui, comme le montre l’édition révisée de cet excellent ouvrage. Si l’image de Joe et du Dr Jill Biden à Valley Forge me fait peur, je la trouve également dangereuse. Et je pourrais même ajouter qu’elle est offensante.

L’heure est aux nombreuses défaites pour l’Amérique et les Américains. Citons la liste susmentionnée. La guerre en Ukraine est perdue d’avance, peu importe le temps que cela prendra et, de manière perverse, les États-Unis et leurs clients continuent de gaspiller des vies et de l’argent pour éluder cette réalité. Les Israéliens l’emporteront sur le terrain à Gaza, comme nous l’avons récemment souligné dans cette rubrique, mais Israël et l’Amérique ont déjà perdu gros, très gros, si l’on raisonne en termes stratégiques plutôt que tactiques. La crise de Gaza, à son tour, est venue fragiliser le tissu social et politique de notre pays. Les législatures fédérales et des États, les tribunaux, les universités, les médias, les droits de réunion et la liberté d’expression : jusqu’où l’Amérique ira-t-elle avant de reconnaître que le soutien des États-Unis à un État sioniste hors de contrôle est un préjudice que l’Amérique s’inflige à elle-même ?

Je me tourne à présent vers une défaite plus grande encore que toutes celles qui viennent d’être évoquées. Nous vivons un tournant de l’histoire qui, aussi difficile soit-il, doit être reconnu pour son ampleur. On l’attendait depuis longtemps, mais la sauvagerie pathologique des Israéliens exterminant les Palestiniens de Gaza annonce la fin de toute prétention de l’Amérique et de l’Occident au leadership mondial sur quelque base morale ou juridique que ce soit, ou de toute hypothèse selon laquelle l’Occident est doté d’idéaux ou de principes de gouvernement supérieurs, ou quoi que ce soit d’autre. Le génocide israélien, reconnaissons-le, a de nombreux antécédents. Ainsi, l’État d’apartheid, en exposant sa propre perversité, expose également les siècles de péchés de l’Occident.

C’est une époque, ni plus ni moins. C’est la défaite qui va marquer notre époque, du moins telle que les meilleurs historiens la relateront. «Quelque chose s’est perdu, qu’on ne retrouvera jamais» est le titre d’un article superbement inspiré qu’Alastair Crooke a publié la semaine dernière dans la revue Strategic Culture Foundation.

«Notre culture s’est avilie. D’habitude destinés à nous piéger dans le «mythe de l’Occident», ses attraits se sont flétris, comme des idoles manifestement factices», écrit l’ancien diplomate britannique, qui dirige aujourd’hui le Conflict Forum à Beyrouth. «Le feu qui s’éteint a dilapidé tout sentiment de «magie» dans l’Occident en décomposition, ou même d’espoir de regagner ce quelque chose qui s’est «perdu». Il s’agit d’une prise de conscience nostalgique que, dans l’état actuel des choses, le mythe n’est plus à même d’offrir quoi que ce soit de durable».

Voici Crooke un peu plus loin dans cet essai incontournable :

«Nous nous trouvons aujourd’hui là où nous nous sommes toujours trouvés, dans les sables mouvants du temps. Un passage de témoin ; un monde qui s’éteint, profondément englué dans la lente phase d’épuisement, le processus naturel de décomposition et de renouvellement, tout en nous faisant progresser vers de nouvelles graines fraîches, qui n’ont pas encore germé. C’est le sentiment de quelque chose de perdu que l’on ne retrouvera jamais, que nous endurons tous de nos jours.

«Les «élus» ont toutefois délibérément fait monter les enchères. Ils ne veulent pas «lâcher prise». Ils ont décidé que, le train occidental s’étant écrasé sur son propre «mur» culturel, l’histoire de la «fin des temps», c’est-à-dire la convergence vers un avenir commun, est «révolue» elle aussi.

«Et avec elle, le mandat occidental revendiqué pour dicter la «marche à suivre» est également révolu».

Crooke s’est largement inspiré d’un article que Simplicius, le blogueur toujours passionnant, a publié sous le titre «Les ossements de demain» la veille du Nouvel An. C’est le genre de langage – inclusif, prévoyant, sans chichis, grandiose à sa manière – dont notre époque a besoin si nous voulons la comprendre. Nommez un dirigeant occidental qui le parle, et vous irez bien au-delà des personnages de dessins animés qui pensent qu’un sourire grotesque leur permettra de s’en sortir, et nous avec. Ils ne peuvent pas le dire parce qu’ils sont trop occupés à «transformer chaque récit», comme le dit Crooke, en «une nouvelle «victoire» de l’Occident». C’est ce que je veux dire lorsque je suggère que les sourires de Joe et du Dr Jill sont dangereux. Soit ils ne peuvent pas comprendre, soit ils ne peuvent pas gérer ce qu’ils comprennent, si bien qu’ils ne peuvent pas commander et, en fait, ne sont surtout pas censés le faire.

Il y a beaucoup à dire sur la défaite, ce que j’avance depuis longtemps. La défaite donne au vaincu l’occasion de battre en retraite, de repenser entièrement ses erreurs et sa vision du monde, et de réintégrer la communauté humaine avec d’autres aspirations et d’autres objectifs. L’addiction à une variante de la culture de la victoire, flagrante chez ceux qui prétendent nous diriger, nous prive de cet avantage salutaire. En dehors de ceux qui ouvrent les yeux sur les escroqueries des «élus», elle nous empêche aussi de comprendre notre monde de manière suffisamment rationnelle pour pouvoir agir avec sagesse. Elle nous plonge dans un état de paralysie, d’incertitude et de confusion. C’est ce que j’entends par abusif. Nous sommes condamnés aux ténèbres, tourmentés par de monstrueux sourires à la Jack Nicholson.

*

Je ne pense pas être le seul à être déçu par la réaction tiède ou hésitante des pays non occidentaux face aux barbaries commises par l’Israël de l’apartheid à Gaza. Au début du conflit, un certain nombre de nations non occidentales ont rappelé leurs ambassadeurs à Tel-Aviv et, dans le cas de la Bolivie, ont carrément rompu leurs relations. Je n’étais pas le seul à applaudir à l’époque. Mais il ne s’est pas passé grand-chose depuis. J’aurais souhaité des sanctions militantes, l’expulsion de tous les fonctionnaires israéliens, la rupture des relations à différents niveaux opérationnels. La Chine a proposé de jouer un rôle dans le règlement de la question israélo-palestinienne, mais n’a rien fait depuis. Seuls les Houthis, invoquant l’obligation légale des autres d’intervenir contre les auteurs d’actes génocidaires, ont réagi à la crise de Gaza selon ce qu’ils pensent être juste en vertu du droit international.

Ces deux dernières années ont été marquées par l’ampleur du regroupement des nations non occidentales en diverses formations, ainsi que par l’élaboration de liens bilatéraux de toutes natures. J’ai également salué cette évolution comme l’amorce d’un nouvel ordre mondial, tel que le conçoivent les Chinois. Gaza, me semble-t-il, a été le premier défi majeur à cette dérive vers une cause commune entre les puissances non occidentales. C’est arrivé un peu tôt, d’après ce que j’ai lu. Ils ne sont pas prêts pour ça.

Les BRICS-Plus, formé par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ainsi que l’Organisation de coopération de Shanghai, sont les deux grands groupes qui ont retenu l’attention ces dernières années. Mais nous devons maintenant comprendre ce qu’ils sont, et ce qu’ils ne sont pas. Je prendrai une comparaison pour illustrer mon propos. Au cours des premières décennies de l’après-guerre, les Asiatiques ont vécu avec ce que l’on appelait un système de «porte-parole» et de «relais» concernant leurs relations extérieures. Toutes les nations non communistes avaient des liens avec les États-Unis, mais leurs liens mutuels étaient fragiles. Il a fallu beaucoup de travail et de réflexion pour surmonter cette situation difficile, dont les vestiges subsistent comme dans le cas du Japon.

Il me semble que le non-Occident dans son ensemble tente quelque chose de similaire en cherchant à s’affirmer résolument au-delà des schémas postcoloniaux. Mais il s’agit d’un processus de longue haleine, comme l’ont constaté les Asiatiques de l’Est. Les formations non occidentales telles que les BRICS-Plus et l’OCS sont jusqu’à présent des associations informelles de nations aux priorités et aux intérêts individuels, la plupart d’entre eux étant économiques plutôt que diplomatiques ou politiques. Les deux organisations n’ont pas de siège. Ni l’une ni l’autre n’a de cause commune définie, comme c’est le cas, par exemple, de l’OTAN. Il ne faut donc pas trop attendre d’eux à ce stade. Un jour viendra peut-être où les BRICS-Plus auront la capacité d’agir de manière influente dans une crise comme celle de Gaza, d’assumer tel ou tel type de leadership, mais ce jour est encore à venir.

Les Sud-Africains, qui connaissent parfaitement l’apartheid et les conséquences de ses péchés, ont porté plainte contre Israël devant la Cour internationale de justice jeudi et vendredi. L’issue de cette action sera connue dans plusieurs semaines et reste pour l’instant une question ouverte, tant les États-Unis ont corrompu l’espace public international au cours de nombreuses décennies. Jeudi, le tribunal a entendu les accusations de l’Afrique du Sud selon lesquelles l’allié numéro un des États-Unis au Moyen-Orient (et peut-être dans le monde entier) enfreint la Convention sur le génocide de 1948. Vendredi, Israël a présenté sa défense, à savoir qu’il n’est pas en infraction. Par souci de diligence, l’Afrique du Sud a demandé une ordonnance restrictive temporaire plutôt qu’un jugement définitif. Nous ne pouvons pas présumer que le jugement de la Cour sera une conclusion ouverte et catégorique en faveur de l’Afrique du Sud, en dépit des barbaries commises par Israël. «Ils présentent un dossier plausible», a fait remarquer Norman Finkelstein, le célèbre universitaire, lors d’une interview vidéo l’autre jour. «Mais ce n’est pas une question de droit, c’est une question de politique».

Ces politiques sont décourageantes. Voilà à quoi cela ressemble. Les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies – États-Unis, Grande-Bretagne, France, Chine et Russie – sont tous représentés sur le banc des 15 membres de la CIJ. Il est intéressant de noter que M. Finkelstein doute que les deux derniers soutiendront l’affaire sud-africaine : la Russie est sous le coup d’une affaire en suspens devant la CIJ en raison de la guerre en Ukraine, et la Chine est accusée de génocide dans l’affaire des Ouïghours.

«Veulent-ils ouvrir la boîte de Pandore ?» s’interroge M. Finkelstein. «Je dirais que c’est très peu probable».

Les Sud-Africains ont besoin que 8 des 15 juges votent avec eux. En faisant un peu d’arithmétique, Finkelstein estime qu’il leur manquera une voix – trop se rangent du côté d’Israël, ou sont impliqués d’une manière ou d’une autre, comme semblent l’être la Russie et la Chine.

L’affaire sud-africaine à La Haye est importante en soi : les Palestiniens de Gaza méritent justice et sans aucun doute une injonction immédiate de restriction. Il s’agit également d’un rappel dont nous devons tenir compte. L’ancien ordre s’est effondré sous nos yeux. L’histoire étant très pauvre en symétries idéales, ce qui le remplacera, quel que soit son nom, est en cours de gestation, mais n’a pas encore vu le jour.

source : ScheerPost via Spirit of Free Speech

3 pensées sur “La fin de la gouvernance mondiale

  • 21 janvier 2024 à 16 h 21 min
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    Finalement, le vieillard cacochyme Biden représente parfaitement notre Occident ; il faudrait même lui décerner un Oscar de la décadence…. Ses faits et gestes sont dirigés depuis l’extérieur de lui-même ; Gates, Soros et Schwab ont pris le vrai pouvoir… Biden personnifie cet Occident en déconfiture et les pays qui ont encore un État le savent tous. Ils assistent – parfois navrés et plus généralement interloqués – à notre naufrage civilisationnel. Biden est vieux, Macron est jeune (de plus en plus relativement) et le naufrage est aussi évident. Certes, à l’issue de ses conférences ce dernier trouve seul, la porte de sortie, mais sa consommation de psychotrope est de plus en plus évidente même pour la ménagère de plus de cinquante ans qui n’a aucune velléité complotiste. Pour Biden c’est le désastre du comédien qui ne peut plus réciter son texte ; pour Macron, c’est le comédien raté qui n’a jamais joué juste. L’occident s’effondre, c’est finalement une bonne chose. On joue les surpris ou les désolés mais nous avons ce que nous méritons puisque la majorité de la population a reconduit sans discontinuer des majorités de confort, des dirigeants de consensus, des politiques de la modération où tout se négocie mais rien ne se décide vraiment pour le bien de la Cité. L’Europe et en particulier la France sont bien partis pour devenir une succursale du Monde islamique. La population de conquête est déjà là et il faut juste attendre la fuite de notre mal nommée « élite » vers les États-Unis ou ailleurs. Actuellement, une certaine presse d’ailleurs fort incertaine annonce la menace d’une guerre et d’une invasion russe de l’Europe occidentale. Poutine le sait bien : il lui est inutile de vouloir conquérir cette vieille Europe vermoulue qui va tomber toute seule. Lui ou son successeur n’auront qu’à attendre un peu pour voir la fumée s’élever de la ruine de la Babel bruxelloise.

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