Qu’il y a-t-il derrière le rapprochement entre Ursula von der Leyen et Giorgia Meloni ?

Source : 29 janvier 2024 – Aleksandra Krzysztoszek, Aneta Zachová, Charles Szumski, Roberto Castaldi et Simone Can

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La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, semblent avoir noué une relation solide, que certains qualifient de « gagnant-gagnant ». Mais que se cache-t-il derrière leur rapprochement ?

Ursula von der Leyen s’est de nouveau rendue en Italie ce week-end pour un sommet Italie-Afrique, quelques semaines seulement après s’être rendue dans la ville de Forlì, en Émilie-Romagne, qui a été touchée par des inondations, en compagnie de Giorgia Meloni.

Les accolades et les sourires échangés par les deux femmes issues de familles politiques différentes ne sont pas passés inaperçus à cinq mois des élections européennes.

Alors que Mme Von der Leyen est membre du Parti populaire européen (PPE) de centre-droit, Mme Meloni dirige le parti italien de droite Fratelli d’Italia, qui appartient au groupe des Conservateurs et Réformistes européens (CRE) au Parlement européen, et est également présidente du Parti des conservateurs et réformistes européens.

Au Parlement européen, c’est l’eurodéputé Fratelli d’Italia Nicola Procaccini qui co-préside le groupe CRE.

Les deux femmes semblent avoir noué une relation solide, que certains qualifient de « gagnant-gagnant ». En effet, si Mme Von der Leyen venait à confirmer qu’elle briguera à nouveau la présidence de la Commission, elle devrait recevoir le soutien dont elle a besoin pour ce faire. De son côté, Mme Meloni a pu débloquer des tranches du Fonds de relance pour l’Italie, et elle s’assure par la même de disposer d’un point d’ancrage pour les Conservateurs et Réformistes à Bruxelles après les élections de juin.

Cependant, ce rapprochement pourrait créer des dissensions au sein du groupe CRE au Parlement européen, car le parti polonais Droit et Justice (PiS) — l’un des membres les plus importants du groupe parlementaire — n’est pas disposé à soutenir Mme von der Leyen, d’autant plus que le nouveau Premier ministre polonais Donald Tusk, membre du PPE de la présidente de la Commission, est en train de démanteler l’emprise du parti d’extrême droite sur le système judiciaire et sur les médias polonais.

Radosław Fogiel, un législateur du PiS, a confié à Euractiv que Mme von der Leyen s’était « immiscée à de nombreuses reprises dans les affaires polonaises, en soutenant le camp de Donald Tusk » notamment.

M. Fogiel a également souligné que la cheffe de l’exécutif de l’UE avait « trahi » Varsovie en posant des conditions pour que les paiements du fonds de relance puissent être lancés après que la Commission les ait gelés en raison de problèmes liés à l’État de droit.

En effet, pour que les paiements puissent être effectués, la Pologne devait respecter certaines conditions convenues avec la Commission, principalement en ce qui concerne l’indépendance du système judiciaire du pays. Certains de ces changements ont été mis en œuvre, mais Bruxelles les a jugés insuffisants, a indiqué M. Fogiel.

Or, depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Tusk, « il s’avère qu’aucune étape n’était plus nécessaire », a-t-il noté.

De son côté, Giorgia Meloni pourrait se retrouver dans la même position que le PiS en 2019, en soutenant un candidat qui va radicalement à l’encontre de son idéologie car elle souhaite pouvoir nommer le prochain commissaire italien à la Commission européenne.

Fonds de relance

Le 17 janvier, la Commission a décidé d’allouer 1,2 milliard d’euros à l’Italie dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR).

Avec l’Espagne, l’Italie est l’un des principaux bénéficiaires du Fonds de relance, puisqu’elle devrait recevoir plus de 200 milliards d’euros.

À Rome, les experts suggèrent que Mme Meloni et Mme von der Leyen ont toutes deux besoin que les projets réalisés dans le cadre du Fonds de relance de l’Italie, troisième économie de l’UE, soient une réussite.

La Commission a jusqu’à présent fait preuve d’une flexibilité remarquable à l’égard de l’Italie, à la fois en modifiant le plan national de relance et de résilience et en permettant au gouvernement du pays de changer l’ordre de certaines étapes pour recevoir des fonds.

Le lendemain de la visite de Mme von der Leyen à Forlì, où elle a fait l’éloge du plan italien, le ministre des Affaires européennes, Raffaele Fitto (Fratelli d’Italia), s’est rendu à Bruxelles pour discuter avec le groupe de travail de la Commission du déblocage de la cinquième tranche de 18 milliards d’euros du fonds. Le gouvernement italien espère recevoir cette somme au cours du premier semestre de cette année.

Giorgia Meloni, un soutien essentiel

Le soutien de Mme Meloni et des eurodéputés de son parti pourrait être d’une grande aide pour Mme von der Leyen dans l’éventualité où elle se présenterait comme candidate pour un second mandat à la tête de la Commission européenne, bien qu’elle n’ait encore rien confirmé à ce jour.

Pour le professeur Gianfranco Pasquino, également membre de la prestigieuse Académie des Lyncéens, « il ne coûte rien à Mme Meloni de voter pour Mme von der Leyen ».

M. Pasquino a noté qu’il se pourrait que Mme Meloni tente par la même occasion d’accroître son influence au sein de l’UE, tout en gardant à distance son allié gouvernemental problématique Matteo Salvini, président de la Lega, membre du groupe d’extrême droite Identité et Démocratie (ID) au Parlement européen.

Mais des sources italiennes ont indiqué à Euractiv que les liens étroits entre Mme Meloni et Mme von der Leyen pourraient bientôt être mis à l’épreuve, car la rhétorique de la Première ministre italienne devrait devenir de plus en plus agressive à l’approche des élections européennes de juin.

En juillet 2019, Mme von der Leyen avait été approuvée de justesse par le Parlement européen, avec 9 voix au-dessus du minimum nécessaire, c’est-à-dire 383 voix pour la majorité requise de 374 voix, et 327 voix contre.

Le soutien du Movimento 5 Stelle (M5S) italien avait déjà été décisif pour l’Allemande. À l’époque, le mouvement populiste était en plein essor et dirigeait pour la première fois le gouvernement italien dans une alliance controversée avec la Lega de M. Salvini.

Le Premier ministre Giuseppe Conte — qui était alors un nouveau venu en politique et qui est aujourd’hui président du M5S — avait alors poussé ses députés à voter en faveur de Mme von der Leyen, tandis que les députés de la Lega ont voté contre.

Le M5S s’est alors associé au Partito Democratico (PD, Socialistes et Démocrates européens/S&D) pour former un nouveau gouvernement Conte qui a dirigé le pays jusqu’en février 2021.

Fratelli d’Italia espère pouvoir choisir le prochain commissaire italien, raison pour laquelle les eurodéputés du parti devraient voter en faveur de Mme von der Leyen.

Nicola Procaccini a déclaré à Euractiv que « même si l’indication était Ursula von der Leyen [pour le vote concernant le président de la Commission], ce serait avec des conditions politiques complètement différentes de 2019 et donc plus favorables à l’Italie et aux positions de notre gouvernement ».

Le CRE visera-t-il les top jobs ?

Selon les dernières projections, le groupe CRE pourrait être le quatrième groupe le plus important au Parlement européen.

Si le CRE obtient le soutien de l’extrême droite, il pourrait briguer les top jobs — les postes les plus importants au sein des institutions de l’UE —, habituellement occupés par le PPE, les S&D et les libéraux de Renew.

« Je pense que l’Italie pourrait obtenir un top job important », a déclaré l’eurodéputé tchèque Jan Zahradil (Parti démocratique civique/ODS, CRE), qui était le spitzenkandidat des Conservateurs et Réformistes en 2019, à Euractiv République tchèque. Il a également ajouté que l’ODS devrait soutenir Fratelli d’Italia pour qu’il y parvienne.

Traduction : Claire Lemaire

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