Les euro-régions énergétiques
Source : stratpol.com – 1 janvier 2025 – François Nuc
https://stratpol.com/les-euro-regions-energetiques/
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François Nuc est ingénieur spécialisé dans la gestion des réseaux d’énergie électrique, ayant vécu au Japon puis en Tunisie où il a développé le marché de la cogénération pour le secteur industriel. Il a reçu le prix spécial Ubifrance au concours méditerrané de l’année 2009. Installé en Belgique, après avoir effectué des missions d’électrification pour Médecin Sans Frontière au Sud Soudan et en Afghanistan, il rejoint en 2018 Coreso, le coordinateur des TSOs européen.
Actuellement chargé de recherche à l’Université Libre de Bruxelles, il y traite notamment des questions sur la flexibilité des réseaux électriques.
Dans l’article précédent, nous avons présenté rapidement la doctrine européenne, portée par le pacte vert pour l’UE via le développement durable. Bien que modeste, ce document n’en est pas moins un véritable essai politico-économique. Il présente une stratégie pour transférer les compétences, les responsabilités, les financements et la gestion de pans entier de l’économie à de multiples intervenants indépendamment de l’état nation.
Pour l’UE, la production énergétique ne doit plus être assuré par une société étatique nationale, mais par une multitude de sociétés privées internationales. C’est bien pour cela d’ailleurs que EDF doit être détruite. Nous assistons à une marche forcée vers une politique énergétique du tout renouvelable, désastreuse pour l’ensemble des pays européens, mais plus encore pour la France. Notre pays a dû sacrifier sa compétitivité pour complaire aux oukases des eurocrates qui servent d’agents commerciaux au profit des sociétés privées du gaz, du pétrole et du renouvelable. Devant les conséquences de la crise énergétique engendrée par cette politique, des voix s’élèvent enfin au plus haut niveau en France pour dénoncer ce scandale. Et la presse commence à s’ouvrir à ce sujet.
Vous vous demandez si la transition énergétique permettrait une cohabitation souple entre différents moyens de production électrique ? Il n’en n’est rien. Vous pourrez constater dans cet article qu’en Belgique, Engie qui a récupéré les activités de Electrabel, pousse le gouvernement à ne pas étendre la durée de vie des centrales nucléaires. Est-ce surprenant qu’une société dont l’activité principale est le commerce du gaz, incite le gouvernement à se détourner du nucléaire? D’ailleurs le gouvernement Belge n’est plus une aberration prête, la Belgique s’est lancée dans la construction d’une île énergétique totalement artificielle, pour assurer une production 100% renouvelable. Cette île doit notamment service de Hub de connexion entre les pays voisins (Royaume Uni, Danemark). C’est de ces interconnexions dont il sera question dans cet article, ainsi que l’avènement d’Euro-Régions énergétiques.
Les interconnexions
Dans un article précédent, nous avions présenté l’impact que représentait le plan de l’éolien Offshore pour 2050. Ici, je vais présenter les autres activités liées aux interconnexions des réseaux énergétiques telles qu’indiquées dans l’article 194 du traité de Lisbonne.
Une des réflexions majeures de la politique européenne de l’énergie est la possibilité de faire Gas to Power & Power to Gas. C’est à dire avoir une interconnexion directe entre le gaz et l’électricité, au travers de l’ENTSOE et l’ENTSOG que nous avons déjà présentés. Regardons maintenant concrètement comment se caractérise cette interaction entre les 2 réseaux électriques et gaziers. Le réseau gazier des pays européen est consultable en détail sur la carte de l’ENTSOG.
En parallèle, l’UE ambitionne de développer le power to H2. C’est à dire utiliser l’électricité pour faire l’électrolyse de l’eau, afin de générer de l’hydrogène. Sur la carte suivante (fig 2), on peut voir les infrastructures de transport d’H2.
Que ce soit pour le gaz naturel, le GNL ou pour l’H2, nous pouvons constater que de nombreuses infrastructures se situent sur les côtes, dont les plus importantes sont celles du réseau gazier. Je partage à présent (fig 3) une carte présentée dans l’article précédent sur les éoliennes offshore. Cette carte schématise la place que va prendre l’espace maritime dans l’approvisionnement électrique.
Il n’est pas question ici de rentrer dans toutes les questions techniques relatives au traitement et au stockage du gaz, au Hub gazier, au Hub GNL, ni des stations de conversion de l’électricité produite par les éoliennes Offshore. L’intérêt de la représentation de ces 3 cartes est de montrer qu’il y a réellement un shift opérationnel au profit des zones côtières qui sont en train de devenir les points d’entrée de l’énergie dans le futur réseau énergétique européen.
De même, les pays européens sont dans la nécessité de développer leurs infrastructures de réseau électrique, afin de ramener les productions des énergies renouvelables vers les zones de consommation. C’est ainsi que dans le cas de l’Allemagne, les plans fédéraux sont assez astronomiques concernant le développement du réseau électrique (fig 4). Il s’agit de transférer la production éolienne du Nord, vers le sud.
Cette obligation stratégique de développement du réseau est la même pour tous les pays européens. Cependant elle ne se fait pas dans la même proportion suivant la taille du pays et surtout suivant que le pays en question est un candidat potentiel au développement des énergies renouvelables.
C’est ainsi que l’Italie, tout comme l’Allemagne, doit développer son réseau interne sur l’axe Sud/Nord, afin de ramener les productions de renouvelable vers les centres de consommation industriels et financiers qui se situent dans le nord du pays (Fig 5). Mais l’Italie doit également développer les interconnexions électriques avec les pays voisins (la France, la Suisse), et des pays lointains (La Tunisie, la Grèce). Un des grands enjeux des interconnexions avec la Tunisie et la Grèce, est notamment de développer une infrastructure gazière permettant d’importer en Italie le gaz naturel produit en Afrique du Nord et celui produit au moyen orient. L’Italie du Sud va devenir un point d’entrée XXL de l’énergie en Europe.
Conséquence d’un changement de paradigme énergétique
Cette nouvelle stratégie énergétique va avoir des conséquences que l’on ne peut actuellement estimer. Je vais tenter ici une comparaison avec la Belgique.
La Belgique, pourtant un petit pays, fut une très grande puissance industrielle et économique. Entre 1840 et 1910, la Belgique était la 2ème puissance économique mondiale. Cet essor a été porté notamment par les 1ère et 2ème révolutions industrielles, qui ont permis le développement du machinisme, l’application des découvertes scientifiques à l’agriculture, à l’industrie et aux moyens de transport. On notera en passant que c’est l’utilisation du charbon d’alors qui était le combustible utilisable le plus dense énergiquement parlant qui a permis cela. Sans rentrer dans le débat du colonialisme et du Congo, la majeure partie de l’économie Belge était portée par la Wallonie (le sud du pays), pour 2 raisons principales :
- les bassins miniers se trouvaient en majorité dans la région de Charleroi, Namur et Lièges. Ces 3 régions y ont donc développé les industries associés (acier/ verre/ textiles).
- Les flux des marchandises produites et consommées en Wallonie étaient envoyés via les canaux et chemin de fer en France, au Pays Bas et en Allemagne.
De ce fait la Wallonie, productrice d’énergie et possédant des infrastructures de transports denses, était une « pompe économique » aspirante et refoulante extrêmement dynamique. De son côté la Flandre était plus rurale.
Au 20ème siècle, la carte énergétique mondiale change. La démocratisation de l’utilisation du moteur à explosion au dépend de la machine à vapeur change littéralement les modes de transport. Le charbon est peu à peu remplacé par le pétrole qui est plus dense énergétiquement. Le transport de marchandise (train/péniche) est peu à peu remplacé par les bateaux, les porte-containers et les avions. De ce fait, il y a un shift économique qui s’initie en Belgique, de la Wallonie vers la Flandre, qui possède les côtes Belges, donc le port d’Anvers et de Bruges. La Flandre possède également l’aéroport de Zaventem. De ce fait, elle devient le point d’entrée n°1 des biens et marchandises. De plus le pétrole arrive en Belgique dans le port d’Anvers. Puis Anvers et Zee-Brugges deviennent des hubs gaziers de premier ordre en Europe. La Flandre devient le point d’entrée énergétique du pays. Dans le même temps l’économie wallonne enclavée, et empêtrée dans des tentatives de reconversion industrielle et énergétique, n’arrive pas à redevenir compétitive. Il est fondamental de comprendre ce que représente le point d’entrée de l’énergie dans un pays. À l’échelle européenne, cela correspond en la création de zones régionales qui seront le point d’entrée énergétique et qui vont restructurer les territoires, tout comme l’a été la Belgique.
Les plans de l’UE sont multiples. J’ai présenté longuement le plan ciblant l’énergie dans des articles précédents. Un des autres plans de l’UE est celui des Euro régions, longuement présenté par Mr François Asselineau. Une des missions non avouées mais assumées de l’UE est d’arriver à l’établissement d’un état fédéral total, où les états nations seraient démantelées en Euro Régions.
Très clairement, comme l’UE veut développer l’éolien Offshore, le Power to Gaz, le Gaz to Power, le H2 to power, l’intégralité des filières industrielles portant ces technologies vont se développer. De gros projets d’infrastructures vont être opérés. Et cela va se passer majoritairement sur les côtes et en mer. Donc les rivages, et l’ensemble des points de connexion aux réseaux énergétiques marins vont devenir les zones d’attractivité économique. Il y a en Europe 2 zones très densément industrialisées (fig 6) : celle de Londres-Paris-Bruxelles-Amsterdam, puis celle de Turin-Milan-Genève-Munich.
Très clairement la première est et sera un point d’entrée énergétique dans l’Europe de l’énergie voulu par Bruxelles. Tandis que la seconde ne le sera pas, ou beaucoup moins car plus enclavée, et donc moins en contact direct avec les projets ENR, H2 et d’interconnexion d’infrastructures gazières.
De plus, en Bavière (sud de l’Allemagne), se trouve notamment une industrie automobile extrêmement dense et génératrice d’activité. Cependant l’UE impose à passer au tout électrique, alors que rien n’a vraiment été pensé industriellement pour réaliser cette transition. Le lecteur pourra écouter l’interview édifiante du PDG de Renaut Jean Dominique Senart. La voiture électrique pose des problèmes majeurs à la conception, et à l’utilisation des ressources, mais également lors de sa mise en service. De ce fait chez les assureurs la grogne monte en flèche contre les voitures électriques. La voiture électrique ne semble pas enthousiasmer les professionnels du secteur. Est-ce que l’industrie automobile européenne et surtout Allemande va réussir à se renouveler ? On notera au passage la vision stratégique ô combien excellente des « élites françaises » qui ont fait fermer la centrale nucléaire de Fessenheim (bâtiment rouge sur la carte 5), qui se situe dans la zone de forte densité industrielle n°2 en Europe. Alors que l’Allemagne a fait fermer ses réacteurs au sud du pays et dépense des milliards d’euro en infrastructure de réseau électrique pour acheminer l’électricité produite au nord vers le sud, nos stakhanovistes politiques ont fait fermer un moyen de production pouvant fournir en électricité non carbonée une zone qui est en forte demande énergétique. Quelle subtile vision économique !
Ces constats sont importants, car ils mettent en évidence la problématique qui a été celle de la Wallonie, à savoir : Se renouveler alors que l’on fait face à un changement de paradigme énergétique, tel que l’a été le passage de l’ère charbon à l’ère pétrole. Quels vont être les changements en Europe, à l’heure de la transition nucléaire vers le tout renouvelable ?
Je partage une nouvelle fois le rapport 2018 de la bidding zone review de l’ENTSOE, dont en voici une carte (fig 7). Nous y voyons que 2 scénarios sont étudiés. Il s’agit de diviser les grands pays à l’échelle européenne en plusieurs zones tarifaires. La lecture de ce rapport, bien que technique, est fondamentale pour comprendre les logiques poursuivies par les instances européennes.
Imaginons maintenant un scénario de division des zones tarifaires couplés à celui des Euro-régions. Ne verrons-nous pas arriver en France, une proposition de loi visant à diviser le pays en 3 grandes régions et cela afin d’uniformiser les coûts opérationnels énergétiques par grande région ?
De même dans le cas de l’Allemagne, ne voyons-nous pas survenir une division du pays entre Nord et Sud ? Le Sud de l’Allemagne est très consommateur d’énergie, et le Nord de l’Allemagne est en train de devenir le point d’entrée énergétique principal du pays. Il va très certainement survenir en Allemagne ce qu’il s’est passé en Belgique, à savoir un shift économique des zones industrielles historiques vers les zones des entrants énergétiques.