Perse : le cimetière des empires
Source : reseauinternational.net – 24 juillet 2025 – The frontier man
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Dans le vaste tableau de l’histoire mondiale, peu de régions ont été cruciales – et dangereuses – de manière aussi persistante que la Perse. Située au carrefour des empires, de la Méditerranée au sous-continent indien et à l’Asie centrale, la Perse (l’Iran actuel) n’a pas seulement été témoin de la marche des conquérants. Elle les a absorbés, transformés ou détruits. Elle s’est ainsi valu un titre honorifique sombre et paradoxal parmi les historiens et les soldats : le cimetière des empires.
Contrairement à l’Afghanistan, souvent surnommé ainsi en raison d’exemples modernes d’expansion impériale excessive, le statut de cimetière de la Perse trouve ses racines dans une histoire plus profonde et plus longue. D’Alexandre le Grand aux descendants de Gengis Khan, des ambitions orientales de Rome au «Grand Jeu» britannique et russe, la Perse a été le terrain d’essai où les rêves des empires sont morts ou ont dépéri.
L’héritage achéménide : berceau et champ de bataille de l’empire
La Perse n’était pas seulement la cible d’empires, elle a été l’un des premiers véritables empires de l’histoire. L’Empire achéménide (vers 550-330 avant notre ère), fondé par Cyrus le Grand, s’étendait de la vallée de l’Indus à la mer Égée. Il était un modèle d’administration impériale, de tolérance et d’infrastructure. Mais sa taille monumentale allait devenir son talon d’Achille.
Lorsque Alexandre le Grand envahit la Perse en 334 avant notre ère, il ne s’attaquait pas seulement à un territoire, il remettait en cause l’ordre mondial. Bien qu’il ait vaincu Darius III et incendié Persépolis dans un acte symbolique de conquête, la Perse ne disparut pas. Au contraire, elle absorba Alexandre. Il épousa une noble perse, adopta le costume perse et mourut jeune à Babylone, plus perse dans ses habitudes que macédonien. Son empire se fragmenta, mais la Perse survécut.
Rome, Byzance et le mur sassanide
Au fur et à mesure que l’Empire romain s’étendait vers l’est, il entra en conflit à plusieurs reprises avec les dynasties parthes et sassanides de Perse. Ces conflits durèrent des siècles et épuisèrent les ressources financières et humaines de Rome.
La bataille de Carrhes (53 avant J.-C.), au cours de laquelle le général romain Crassus, l’un des hommes les plus riches de son temps, mena une expédition en territoire parthique et subit l’une des pires défaites de Rome, fut un symbole dramatique de cette dynamique funeste. Crassus fut tué et, selon la légende, on lui versa de l’or en fusion dans la gorge, un commentaire sinistre sur la cupidité impériale.
Même les empereurs romains d’Orient (byzantins) ne s’en tirèrent guère mieux. Héraclius réussit peut-être à renverser temporairement la tendance au VIIe siècle, mais les guerres sans fin rendirent les deux empires vulnérables à une nouvelle force montante venue de la péninsule arabique : l’islam.
La conquête arabe et la renaissance de l’esprit persan
La conquête islamique de la Perse (633-654 après J.-C.) marqua la fin de l’Empire sassanide, mais pas celle de l’identité persane. Les Arabes remportèrent la guerre, mais avec le temps, la culture, la langue et les systèmes administratifs persans influencèrent profondément le califat islamique.
Le califat abbasside, malgré ses origines arabes, s’imprégna des traditions perses. Des érudits perses comme Avicenne et des poètes comme Rumi façonnèrent l’âme intellectuelle du monde islamique. Ce ne fut pas la destruction d’un empire, mais sa réincarnation sous une nouvelle forme. La Perse enterra des empires, mais ceux-ci renaissaient souvent sous une apparence perse.
Les Mongols, Tamerlan et la terre brûlée
Au XIIIe siècle, les Mongols, sous le commandement de Hulagu Khan, petit-fils de Gengis, ont semé une dévastation inimaginable en Perse. Les villes ont été rasées, les populations massacrées. Les grandes bibliothèques de Bagdad et les canaux de Khwarazm ont été détruits par les flammes et les inondations.
Mais une fois de plus, la Perse survécut en se transformant. Les Mongols qui régnaient sur la Perse, les Ilkhanides, finirent par se convertir à l’islam et adopter les coutumes perses. L’empire qui était venu conquérir fut persanisé en une génération.
Plus tard, Tamerlan (Timur) répéta le même massacre, se considérant comme un nouveau conquérant mongol. Mais même lui ne parvint pas à dompter définitivement la Perse. Son empire se désintégra à son tour.
Pourquoi la Perse avale-t-elle les empires ?
Qu’est-ce qui fait de la Perse un défi si redoutable pour les empires ?
• Géographie : la Perse est une terre de déserts, de montagnes et de plateaux. Son relief décourage les envahisseurs, allonge les lignes d’approvisionnement et favorise les défenseurs.
• Profondeur civilisationnelle : avec des millénaires d’histoire, de langue, de littérature et d’innovation religieuse, l’identité perse n’est pas facile à effacer. Elle survit aux conquêtes et survit aux idéologies.
• Fragmentation politique : la Perse a souvent absorbé ses conquérants dans son réseau complexe de loyautés tribales, religieuses et régionales, difficile à maîtriser pour les étrangers.
• Résilience et réinvention : chaque effondrement impérial en Perse a donné naissance à de nouvelles renaissances culturelles, du zoroastrisme à l’islam chiite, de l’architecture safavide au nationalisme moderne.
La Perse comme miroir
Qualifier la Perse de cimetière des empires, ce n’est pas la considérer comme une simple terre en ruines, mais comme un miroir. Elle reflète les ambitions des empires, révélant souvent leurs faiblesses. Elle absorbe les envahisseurs, les remodèle et leur survit.
En Perse, l’histoire ne s’arrête pas, elle se transforme. Les empires ne meurent pas ici parce que la Perse est invincible par les armes, mais parce qu’elle est invincible par l’esprit. Et c’est peut-être là son terrain le plus dangereux.
source : A Son of the New American Revolution