Insurrection et contre-insurrection : quelle doctrine adopter par l’armée française ?
Source : vie-politique.com – 13 aout 2025
https://www.vie-politique.com/2025/08/la-menace-vient-desormais-de-linterieur.html
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Illustration : Bruno Cremer dans La 317e Section, de Pierre Schœndoerffer, France/Espagne/Italie, 1964
La menace vient désormais de l’intérieur. Voilà la thèse implacable que développe David Betz, professeur au King’s College de Londres, dans le second volet de son étude publiée dans Military Strategy Magazine. Selon lui, l’Europe occidentale et les États-Unis glissent, presque à vue d’œil, vers une instabilité politique dont l’issue pourrait être l’éclatement d’une guerre civile.
Nous allons dans cet article analyser le positionnement du chercheur et comparer les scénarios explicités avec la doctrine actuelle de l’armée française dans un contexte de contre-insurrection. Pour cela, nous utiliserons notamment comme source d’information le livre de Douglas Porch « Counterinsurgency : Exposing the Myths of the New Way of War » publié en 2013. Douglas Porch est professeur émérite en affaires de sécurité nationale à la Naval Postgraduate School, à Monterey, en Californie. Spécialiste en histoire militaire, il est consultant sur les questions de sécurité dans le monde entier, et il adopte une approche résolument critique de la doctrine de Galula dans son ouvrage. Le but ici est de présenter les deux points de vue sur les stratèges militaires français du XXe siècle que sont Galula et Trinquier.
Ce n’est pas la guerre extérieure qui inquiète David Betz. C’est la fracture culturelle, la colère sociale, la perte de confiance dans les institutions, et la montée des stratégies déstabilisatrices visant les infrastructures critiques. Le scénario qu’il trace est sombre : il ne s’agit plus de se demander si cela pourrait arriver, mais où et quand.
Betz s’appuie sur la littérature scientifique : dans un pays présentant les conditions propices au conflit interne, la probabilité annuelle de guerre civile serait, selon lui, de 4 %. Sur cinq ans, cela représente donc une probabilité de 18,5 %. Si l’on prend en compte dix pays européens dans cette situation, le risque qu’au moins l’un d’eux sombre dans la violence dépasse 87 % sur cette période. Et si un conflit éclate quelque part, la probabilité qu’il s’étende à ses voisins par un effet mécanique de contagion est, selon lui, proche d’un sur deux.
Les signes avant-coureurs ? Les émeutes de Dublin ou de Southport, les flambées urbaines en France, les tensions communautaires en Suède ou en Allemagne. Autant de « préludes » à un effondrement politique et sécuritaire plus large.
Des métropoles devenues « villes sauvages »
Le terme vient d’un chercheur américain : feral city. Le statut « feral » tel que défini par Richard Norton dans un essai publié en 2003 donne la définition suivante :
…une métropole de plus d’un million d’habitants dont le gouvernement a perdu la capacité de maintenir l’état de droit à l’intérieur des limites de la ville, mais qui reste un acteur fonctionnel dans le système international au sens large.
Mogadiscio en était l’archétype au début des années 2000. Mais Betz affirme que des capitales occidentales basculent progressivement dans l’« ambre », voire le « rouge » : corruption chronique, services publics épuisés, zones de non-droit, explosion de la violence urbaine, fragmentation sociale et économique.
Il insiste sur une fracture grandissante : l’opposition politique violente entre centres urbains surdiversifiés et zones rurales traditionnelles. Les infrastructures vitales – énergie, transport, eau – se trouvent en dehors des villes, non protégées. Leur sabotage pourrait rapidement anesthésier des mégapoles entières.
Des attaques tests existent déjà : incendie d’un transformateur électrique à Heathrow, destruction de centaines de caméras ULEZ à Londres, sabotage de fibres optiques et du réseau ferré à Paris à l’été 2024.
La guerre contre la mémoire : l’iconoclasme stratégique
Saccager les symboles, détruire les marqueurs culturels de l’adversaire : c’est, rappelle Betz, un vieux rituel des guerres civiles. De l’exhumation macabre des religieuses pendant la guerre d’Espagne à la destruction des bouddhas de Bamiyan par les Taliban, la logique est la même : choquer, diviser, rendre le retour à la normale presque impossible. Il préconise donc une planification proactive : inventaires, localisation et protection des biens culturels, plans d’évacuation préventive, corps spécialisés sur le modèle des Monuments Men de 1943.
Autre certitude : la guerre civile provoque un exode massif. Qu’elle soit spontanée ou forcée, cette migration interne redessine la carte sociale et politique, polarisant encore plus le conflit. D’où la nécessité de préparer dès aujourd’hui des « zones sécurisées », capables d’accueillir des populations et de maintenir une administration minimale, à l’image de certaines poches de stabilité vues en Bosnie, au Kurdistan ou au Kosovo. Ces espaces doivent être défendables, disposer d’un aéroport, si possible d’un port, d’eau propre et d’électricité. Ils devraient être identifiés sur carte avant l’embrasement.
Betz n’élude pas le tabou ultime dans son article : que deviendraient les armes de destruction massive si un État occidental nucléaire entrait en guerre civile ? L’exemple post-soviétique montre le risque de dissémination, justifiant une vigilance extrême : inventaire serré, double sécurisation, plan de repli…
L’obstacle principal à toute préparation est l’incrédulité : cette incapacité psychologique à envisager l’inimaginable. Or, selon Betz, les paramètres qui précèdent l’explosion d’une guerre civile sont bien là, dans les sociétés occidentales. Les élites stratégiques devraient déjà plancher sur un scénario dont l’objectif n’est même plus d’éviter complètement la crise, mais d’en limiter les dégâts.
L’annexe de l’article de Betz fournit une vingtaine d’exemples précis de leaders politiques et de situations en Europe signalant publiquement le risque imminent de conflit civil (Royaume-Uni, France, Allemagne, Suède, Italie, Pays-Bas, Hongrie, etc.), tous liés aux problèmes de multiculturalisme, d’immigration et de fragmentation sociale. Alors que nombre des références indiquées sont situées à droite de l’échiquier politique, il faut impérativement que les dirigeants politiques de tout bord prennent ce sujet en main, et travaillent de concert à une réduction de ce facteur de risque que l’on pourrait qualifié de faiblement probable mais extrêmement lourd de conséquence.
Positionnement de Douglas Porch et rappel historique des doctrines coloniales de Trinquier et Galula sur la contre-insurrection

I- Roger Trinquier
Introduction
Dans son ouvrage de référence, Douglas Porch interroge en profondeur l’histoire des guerres de contre-insurrection. Le colonel Roger Trinquier apparaît comme l’un des représentants majeurs de la doctrine française de la « guerre moderne » et de la guerre subversive dans la période qui suit la Seconde Guerre mondiale. Si la réflexion de Porch ne se limite pas à Trinquier, il fait de ce dernier un symbole de la radicalisation de l’approche française en Indochine puis en Algérie.
Porch présente Trinquier comme l’un des principaux architectes de la doctrine française de la guerre contre-insurrectionnelle dans le contexte colonial. Trinquier fut un acteur central de la lutte anti-insurrectionnelle en Indochine où il commanda des groupes spéciaux dans le nord du pays : il y met en place des pratiques de guerre non conventionnelle et développe une réflexion sur la conquête des populations. En Algérie, Porch mentionne le rôle clef de Trinquier lors de la bataille d’Alger (1957) ; il y commande les parachutistes qui mettent en œuvre des méthodes d’interrogatoire et de contrôle social inspirées de son expérience indochinoise.
Douglas Porch insiste sur la dimension doctrinale de l’apport de Trinquier. Son ouvrage majeur, « La guerre moderne » (1961), est analysé comme une tentative de formaliser une doctrine de la contre-insurrection adaptée au contexte de guerre révolutionnaire et de subversion. Trinquier part du constat que les conflits coloniaux ne relèvent plus de la guerre classique mais d’une lutte politique pour le contrôle des esprits et des corps des populations. Il défend la nécessité de méthodes extra-judiciaires pour briser la capacité de subversion de l’ennemi : renseignement, quadrillage, action psychologique, pression sur les réseaux civils.
Application des méthodes Trinquier
En Algérie, Trinquier est l’un des principaux promoteurs du « quadrillage » urbain et de la centralisation de la lutte contre le FLN à Alger. Son approche mêle tactiques militaires, renseignement, manipulation de l’information, pressions sur la société civile et usage de la torture. Porch souligne que ces méthodes sont doublement radicales : d’abord par leur efficacité brutale, ensuite par leur transposition dans d’autres guerres asymétriques à travers le monde.
Porch montre que le rayonnement de Trinquier dépasse largement les frontières françaises. Ses écrits sont en effet lus et étudiés aux États-Unis, comme à l’École des Amériques ou encore dans les cercles militaires cherchant une « recette » contre l’insurrection durant la guerre du Vietnam. La doctrine de Trinquier inspire, au-delà de la France, l’emploi de pratiques telles que l’internement administratif, la création de milices supplétives, l’utilisation de la torture comme instrument de renseignement. Toutefois, Porch insiste sur la profonde ambiguïté morale et l’échec stratégique de ces méthodes, qui bien souvent se heurtent à leur propre logique de brutalisation et de contre-productivité.
Analyses critiques et héritage
Porch critique l’emphase mise par Trinquier sur les méthodes purement tactiques au détriment d’une réflexion sur la stratégie et la légitimité politique. Il rappelle ainsi que, malgré ses succès opérationnels, l’approche de Trinquier a contribué à discréditer la présence française et à saper la légitimité de l’État, à la fois face aux populations colonisées et à l’opinion publique internationale. Finalement, Porch estime que l’influence de Trinquier, si elle fut indéniable, s’est transmise sous la forme d’un « mythe » de la contre-insurrection, souvent invoqué pour justifier des pratiques répressives, sans permettre de répondre à la question de fond : comment gagner durablement la loyauté des peuples dominés.
Dans « Counterinsurgency », Douglas Porch dresse ainsi le portrait d’un colonel Trinquier à la fois novateur et profondément contesté, érigé en référence mondiale de la « guerre moderne », mais aussi porteur d’une tradition de brutalité qui interroge les frontières éthiques de l’action militaire contemporaine. L’héritage de Trinquier est étudié non pas comme une solution universelle, mais comme le symptôme des impasses auxquelles se sont heurtées les puissances coloniales face à la montée des nationalismes et à l’émergence des guerres irrégulières.
Voici une liste de citations clés de Douglas Porch sur le colonel Roger Trinquier extraites du livre Counterinsurgency. Exposing the Myths of the New Way of War (Cambridge University Press, 2013).
« Quiconque lit La Guerre moderne de Roger Trinquier ne peut manquer d’être frappé par son insistance sur l’obsolescence de la guerre conventionnelle, et sur le fait que les conflits à venir seront politiques, une lutte pour le contrôle des populations par la manipulation, la terreur et la guerre psychologique. »
« La recette du succès de Trinquier en Indochine et en Algérie reposait sur un renseignement extensif, l’infiltration des réseaux ennemis et—lorsque c’était nécessaire—des mesures extralégales comme l’internement, la torture et la pression psychologique pour briser l’organisation révolutionnaire. »
« Pour Trinquier et ses disciples, la guerre moderne exigerait le ‘contrôle complet, physique et psychologique, de la population’. »
« Les ouvrages de Trinquier sont devenus une lecture obligatoire pour les spécialistes de la contre-insurrection aux États-Unis et en Amérique latine, où des générations d’officiers se sont approprié ses notions de quadrillage, de guerre urbaine systématisée et de méthodes de renseignement implacables. »
« Mais l’efficacité tactique de Trinquier eut un coût stratégique : sa dépendance à la coercition détruisait bien souvent la légitimité même de l’État qu’il prétendait défendre. »
« Le statut mythique de Trinquier comme gourou de la guerre subversive demeure, mais ses méthodes—en particulier l’usage de la torture—sont ensuite devenues un lourd handicap à mesure que de nouveaux publics, y compris l’opinion française, en examinaient le coût pour la démocratie et la légitimité. »
« Finalement, le modèle de Trinquier est devenu l’exemple même de la façon dont l’obsession pour l’innovation tactique et la coercition, lorsqu’elle se détache de toute légitimité politique, revient comme un boomerang et fait échouer ses propres objectifs. »
II – David Galula
Dans « Counterinsurgency: Exposing the Myths of the New Way of War », Douglas Porch consacre une analyse approfondie et nuancée à la figure de David Galula, officier français considéré comme l’un des pères intellectuels de la doctrine de contre-insurrection moderne, particulièrement influent au sein des écoles militaires américaines. Pour Porch, la réputation internationale de Galula repose sur une mythification excessive de son parcours et de ses idées, au point que l’officier est souvent présenté comme le théoricien incontournable d’une approche méthodique pour vaincre les mouvements révolutionnaires.
Porch souligne d’abord que Galula, tout comme ses collègues français engagés en Indochine et en Algérie, n’a en réalité jamais remporté la victoire politique ou militaire qu’il promettait dans ses écrits. Ainsi, la doctrine galulienne, centrée sur le contrôle et la protection des populations, la création d’une « machine politique » qui encadrerait la société villageoise et couperait les insurgés de leurs soutiens, s’est souvent appliquée dans des contextes marqués par la brutalité et la répression. Porch insiste sur la dissonance entre le discours de Galula et la réalité du terrain : alors que Galula prône une approche essentiellement politique et bienveillante, la pratique française fut marquée par des déplacements forcés, de la torture, des opérations de quadrillage et une surveillance généralisée, autant de méthodes qui contredisent la promesse d’une stratégie centrée sur la « conquête des cœurs ».
Au plan doctrinal, Porch reconnaît que Galula propose une formalisation intelligente des observations faites en Chine maoïste. Son apport consiste à renverser la logique insurgée en donnant à l’État les outils pour isoler et fragmenter l’adversaire, réformer le système local et organiser la restauration de l’autorité au niveau micro-local grâce à des actions graduelles : sécuriser, contrôler, organiser, tester et renforcer la société. Il met l’accent sur la primauté de la population, la nécessité de stabiliser les zones conquises, d’épurer les réseaux ennemis, puis d’offrir des élections et d’investir dans la reconstruction du tissu politique local.
Toutefois, Porch tempère fortement la portée de cette doctrine. Selon lui, l’efficacité de l’approche galulienne dépend bien davantage de facteurs extérieurs : leadership des autorités, conditions politiques, usage de la coercition, contingences propres aux sociétés locales. Les succès attribués à Galula sont ainsi relativisés : la doctrine n’est pas un schéma universel transposable à tous les contextes, et la croyance en son efficacité relève, selon Porch, plus du mythe que de l’observation rigoureuse. La réalité des campagnes françaises en Algérie et Indochine a révélé une incapacité structurelle à transformer une victoire tactique en adhésion populaire et en stabilité durable. Le modèle galulien, lorsqu’il a été importé aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux, a souvent été appliqué comme un ensemble de règles techniques, coupées de toute réflexion sur les causes profondes des conflits et sur la spécificité des sociétés concernées.
Porch reste très critique quant à la relecture postérieure de l’œuvre de Galula, qui embellit les aspects coercitifs de la lutte contre-insurrectionnelle et omet les conséquences politiques et morales de son application. Selon lui, la doctrine galulienne, si elle séduit par son apparente cohérence et sa dimension humaine, a servi à dissimuler la violence et les échecs de la contre-insurrection française sous un vernis doctrinal rassurant. Il conclut qu’il est vain d’ériger Galula en modèle exportable et appelle à la prudence dans l’interprétation de ses idées : la clef d’un succès dans la contre-insurrection ne réside pas dans une recette universelle, mais dans une analyse fine du contexte, une réflexion politique sur la légitimité de l’État et une prise en compte du facteur humain, trop souvent sacrifié dans la pratique.
En définitive, pour Douglas Porch, Galula incarne davantage la construction d’un mythe doctrinal que la réalité d’une victoire décisive sur l’insurrection : sa doctrine, bien qu’intéressante et structurée, doit être lue et discutée à la lumière des réalités du terrain, des limites de l’action militaire et des échecs historiques de la contre-insurrection.
Doctrine française actuelle de contre-insurrection et positionnement sur le territoire national
La doctrine française officielle de contre-insurrection (COIN), telle que formulée dans la dernière version accessible de la DIA-3.4.4 (2013) et selon les orientations du SGDSN, pose explicitement que sa mise en œuvre est réservée aux opérations extérieures et ne concerne pas le territoire national. Aux nombreux politiques qui indiquent dans leurs déclarations qu’il faut envoyer l’armée pour régler un problème insurectionnel dans un des territoires perdus de la République, oublient donc tous le non sens technique.
La DIA-3.4.4 précise d’ailleurs :
« La contre-insurrection n’est envisagée qu’en dehors du territoire national, dans le cadre de la gestion de crise extérieure, c’est-à-dire dans des espaces marqués par une désorganisation profonde de l’État concerné. »
Autrement dit, la doctrine française voit la contre-insurrection comme une réponse à une crise dans un pays ami, où l’action militaire et interministérielle vise à restaurer la sécurité, la gouvernance et le développement, mais uniquement dans un contexte extérieur et multinational.
En cas de menace insurrectionnelle ou terroriste en France, l’État privilégie des dispositifs différents :
- Les missions de sécurisation (ex. : Sentinelle, Vigipirate) relèvent de la défense opérationnelle du territoire et s’appuient sur la coordination entre forces de police, de gendarmerie et armées, dans le strict respect du droit civil et des libertés publiques.
- La posture officielle exclut tout recours aux méthodes de guerre subversive — quadrillage, contrôle extrajudiciaire, interventions directes — sur le territoire français, sauf en cas de situation d’exception très grave, toujours sous contrôle légal et politique strict.
- Les réponses aux troubles ou insurrections internes relèvent du maintien de l’ordre, de la gestion des crises civiles ou terroristes, et sont encadrées par des lois sur l’état d’urgence, la sécurité intérieure ou la défense nationale, jamais par la doctrine « COIN » utilisée en intervention extérieure.
Appliquer une doctrine COIN sur le sol français remettrait donc totalement en cause les principes démocratiques, la séparation des pouvoirs et la protection des droits fondamentaux. En France, la lutte contre la subversion ou le terrorisme mobilise police, gendarmerie, services de renseignement et, à titre exceptionnel, les armées, mais selon une logique civile et juridique.
La doctrine française de contre-insurrection, dans sa rédaction officielle et ses publications de référence (SGDSN, DIA, CICDE), ne s’applique donc pas sur le territoire français. Une « insurrection intérieure » serait traitée comme une crise de sécurité intérieure, avec des moyens et des procédures distincts, dans le respect du droit national et international.
Conclusion

David Betz conclut sur une mise en garde : l’Occident, sûr de sa stabilité, risque de découvrir trop tard que la guerre civile est déjà à sa porte, sans apporter réellement une réponse adaptée à la dimension du problème qu’il décrit. Il faut alors se tourner vers la littérature militaire pour tenter de trouver une réponse.
L’originalité de l’ouvrage de Douglas Porch quant à lui réside dans l’attention particulière qu’il accorde au contexte stratégique de chacune des insurrections décrites dans sa propre cinématique. Il replace l’importance de ce contexte stratégique à sa juste place, au-dessus des tactiques de contre-insurrection. De même, Douglas Porch exalte lorsqu’il tempère les prétentions britanniques et françaises à la supériorité dans les petites guerres et démolit efficacement le mythe de Nagl selon lequel l’armée américaine serait une institution incapable d’apprendre.
Comme l’affirme Douglas Porch, les lieux où les contre-insurrections ont tendance à se produire sont rarement dans la sphère des intérêts nationaux vitaux des États-Unis, sont soumis aux facteurs clausewitzien de brouillard, de friction, d’imprévisibilité et de hasard, et sont extrêmement difficiles à quitter une fois engagés.
A contrepied de Porch, on peut néanmoins considérer que Galula prolonge la pensée clausewitzienne dans la primauté absolue du politique sur le militaire. Comme son aîné prussien, il considère la guerre – et a fortiori la contre-insurrection – comme une action fondamentalement politique. Il récuse l’idée d’une autonomie du militaire dans la conduite du conflit et insiste sur l’intégration étroite des objectifs politiques à tous les niveaux opérationnels. Selon lui, les tâches purement militaires ne représentent qu’une faible part des efforts à fournir ; la reconstruction des institutions, le rétablissement de l’administration, de la police et de la justice, ainsi que la promotion d’un projet sociétal crédible, constituent l’essentiel de l’action. La force armée doit être au service du loyalisme institutionnel et ne jamais perdre de vue la cause qu’elle défend.
On peut conclure que la pensée de Galula, bien qu’ancrée dans l’expérience algérienne des années 1960, conserve une actualité stratégique notable. Sa vision met en avant la dimension éthique et la possibilité de succès dans la contre-insurrection dès lors que l’action est cohérente avec les valeurs et le projet politique affichés. Elle situe la population au cœur de la manœuvre, exige du temps et des effectifs adaptés, et repose sur une subordination constante de l’action militaire au but politique. Cette approche constitue une référence à relire, tant elle préfigure certaines évolutions contemporaines des armées occidentales, qu’il s’agisse du « surge » en Irak ou des stratégies combinant effort militaire et offensive diplomatique. Elle peut sans doute même s’appliquer conjointement avec la doctrine de Trinquier de quadrillage urbain dans des contextes nouveaux qui malheureusement pourraient apparaître sur le sol national, plutôt que sur le théâtre d’opérations lointaines.

On voit en effet, que tant les facteurs endogènes à l’insurrection décrits par Galula (faiblesse des institutions, disparités socio-économiques, tensions éthniques et religieuses, faiblesses psychologiques) que les facteurs exogènes décrits par Trinquier (agents subversifs externes, actions pilotées d’Etats ennemis) sont tous présents en France aujourd’hui. Un constat qui nécessite une reflexion adaptée et une doctrine adéquate, afin de répondre au mieux à une mécanique de crise.
Sources
Bibliographie
- PORCH, Douglas, Counterinsurgency: Exposing the Myths of the New Way of War, Cambridge University Press, London, 2013, 450 p.
- GALULA, David, Contre-insurrection : Théorie et pratique, Economica, Paris, 2009, 215 p.
- TRINQUIER, Roger, La guerre moderne, Economica, Paris, 2008, 109 p.
Webographie
Betz, David, “Civil War Comes to the West, Part II: Strategic Realities,” Military Strategy Magazine, Volume 10, Issue 2, spring 2025, pages 6-16. https://doi.org/10.64148/msm.v10i2.1
Actualisation 2025 – RNS (Revue Nationale Stratégique 2025)
Microsoft Word – 20130417-DIA-3.4.4_A_-COIN-relecture.doc (Contre-insurection – Doctrine interarmées DIA-3.4.4(A)_COIN(2013) Numéro 064/DEF/CICDE/NP du 15 avril 2013
L’armée française au Sahel : un corpus doctrinal à l’épreuve (Notes de l’IFRI – mars 2024)