Les armes de sniping dans les combats en Ukraine
Source : stratpol.com/le – 10 janvier 2024 – Olivier Chambrin
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Olivier Chambrin est un ancien officier de l’Armée de Terre ayant servi comme analyste-renseignement en ambassade et dans la Police Nationale.
Ainsi qu’évoqué dans la première partie de cette étude sur les armes légères, la guerre en Ukraine met en œuvre des moyens majeurs et l’armement de petit calibre n’y joue pas un rôle prééminent comme dans les actions terroristes. Les fusils d’assaut continuent à tenir la première place, a priori de manière satisfaisante (il n’y a pas de controverses sur l’efficacité de leur munition par exemple) et il n’y a pas de saut technologique majeur rendu public.[1] Les évolutions notables depuis quelques décennies ont porté sur l’ajout d’un lance-grenade à basse vitesse sur l’arme principale et sur la généralisation des optiques ; en cela, la guerre d’Ukraine ne fait que confirmer les enseignements de celles menées depuis les années 2000.
En revanche, le tir de précision a connu des changements importants.
Quand les élèves dépassent les maîtres ?
L’Ukraine était entrée en guerre contre sa population de l’Est en 2014, avec une pénurie de tireurs d’élite. La plupart étaient issus des forces de police restées au service de Kiev[2], renforcés rapidement par des tireurs sportifs, puis des étrangers formés dans d’autres armées. Après les échecs majeurs de 2015, l’OTAN a bâti une nouvelle armée ukrainienne, conforme à sa doctrine, son organisation et ses tactiques. Les tireurs de précision ont été formés en fonction des systèmes anglo-saxons, étatsunien et canadien (les Britanniques s’occupant particulièrement des forces d’action clandestine). En 2022 le conflit avec la Fédération de Russie a donc vu Kiev aligner des scout snipers et des Marksmen, correspondant grosso modo aux Tireurs d’élite longue distance et Tireurs de précision français. L’Armée française jusque dans les années 1990 et l’armée soviétique, alignaient surtout des tireurs capables d’assurer un feu plus précis aux ordres du chef de section ; le « sniper » à l’anglo-saxonne n’étant pas vraiment défini, sauf dans la compagnie dédiée du 2eme REP. Ce besoin tactique a été identifié et reconnu lors des guerres d’Irak et d’Afghanistan avec le designated marksman intégré à chaque groupe de combat US. Les Forces de Kiev bénéficiaient donc d’une tradition riche et multiple, essentiellement tournée vers la méthode nordaméricaine. Après deux années de guerre ils considèrent cependant avoir dépassé leur modèle et les procédés développés au Donbass sont désormais étudies par l’OTAN.
Le sniper des BTG батальонная тактическая группа (БТГ) a dû s’adapter
Du côté russe, les 1ère et 2nde armées des républiques LPR et DNR comprenaient 450 snipers formés par l’armée russe, qui déployaient avant la SVO une cinquantaine de ses personnels spécialisés dans le Donbass. Lors du déclenchement de la SVO, les BTG bénéficiaient d’une dotation en snipers, du niveau d’un peloton spécialisé (17 Pax) et d’un tireur de précision par section (sur 29 Pax). Des BTG « de percée » mieux dotés en général, alignaient une compagnie de snipers, pouvant être allouée à une action ou employée comme unité détachée : la première paire de snipers (VSS et SVD)[3] servait surtout au Renseignement et à la désignation des objectifs à l’artillerie organique du BTG, le second binôme (SV98 et SVDM) avait pour mission la destruction des cibles jusqu’à 1000 mètres, le troisième binôme détruisait les objectifs jusqu’à 1500 m (AVSD 12,7 SVDM et VSS en double dotation), le quatrième détruit les objectifs jusqu’à 1800 M (AVSD et VSS) ; tous bénéficient d’un groupe d’appui équipé de lance grenades automatiques, de missiles antichars guidés (ATGM) et de l’armement embarqué par les VCI, voire de l’artillerie du BTG.
Le mode offensif de pointes mécanisées blindées se prêtait mal au déploiement de ces spécialistes ; mais les opérations en terrain urbain, puis les actions offensives limitées notamment maîtrisées par les « « Musiciens » de Wagner[4] et enfin la phase défensive, ont conduit l’armée fédérale à développer et innover dans ce domaine également. L’équipe n’est généralement plus formée d’un binôme et la menace et l’appui de drones sont désormais indispensables à leur formation.
Organisation et emploi
Les évolutions accélérées que l’on peut observer portent sur les procédés techniques et tactiques et sur le matériel nécessaire à leur mise en œuvre.
Les snipers reçoivent des missions d’observation, reconnaissance et renseignement, qui reposent sur leur mobilité et leur discrétion. Ils peuvent évidemment être utilisés pour exécuter des frappes sur les personnels critiques (officiers, spécialistes[5]) et le matériel sensible, avec l’armement adapté. Ils ont également un emploi de harcèlement qui délivre des effets psychologiques sur l’ennemi. A l’opposé des thèmes cinématographiques, le duel de snipers est une anomalie, très rare sur le terrain[6]. D’ailleurs les tirs sont finalement une part relative de l’activité réelle des snipers, bien que les combats positionnels aient amplifié leur importance. Dans le cadre de la pression psychologique sur l’adversaire, la généralisation des drones FPV est en passe de détrôner le sniper, par la menace omniprésente qu’ils représentent.
Les deux camps ont multiplié le nombre de leurs snipers, chaque bataillon ukrainien disposant des siens et les unités russes cumulant une dotation organique du niveau de la section et des compagnies spécialisées pouvant être envoyées pour renforcer un axe d’effort ou accomplir une tâche particulière. La formation (trois mois pour un tireur de précision, mais jusqu’à trois ans pour un véritable spécialiste) des personnels est l’apanage des officiers en Russie et les gouverneurs militaires sont responsables de l’équipement et de la préparation des troupes issues de leur circonscription. On voit donc des unités indépendantes être formées et entrainées, parfois avec l’appui direct des fournisseurs (c’est le cas de Lobaev qui a entrainé des unités des VdV)[7]. Kiev aligne ses propres unités spécialisées, parfois composées d’étrangers ayant été formés dans une armée de l’OTAN[8] et développe une propagande axée sur la mythique du sniper qui fait paradoxalement référence à la seconde guerre mondiale (présence de femmes, films, publicité des records de tir…)
Les mutations organisationnelles
Comme l’artillerie, le tir de précision a subi la « révolution des drones ». Il était déjà devenu courant que les tireurs emploient des caméras HD, des GPS et des tablettes/smartphone pour observer, enregistrer et transmettre. Désormais le sniper doit intégrer la menace de l’observation, voire de l’attaque par drone, et également maitriser lui-même ce moyen d’observation.
Les Marksmen ou TE travaillaient souvent seuls, aux ordres de leur hiérarchie organique qui devait procéder à une analyse opérationnelle à chaud pour diriger leurs tirs. Les Scouts ou TELD étaient généralement déployés sur ordre du commandement, sur une mission définie ou d’initiative, opérant en binôme traditionnel observateur/tireur, éventuellement regroupés dans des unités ad hoc temporaires. L’équipe sniper aligne désormais trois, voire quatre personnels, avec un observateur, un tireur, un opérateur de drone, voire un responsable des liaisons avec les unités. Cette articulation ressemble un peu à celle d’une équipe des forces spéciales [9], la polyvalence étant cependant moindre. On peut considérer que la nouvelle organisation recoupe le concept de « complexe de reconnaissance/frappe » défini pour l’artillerie, à moindre échelle naturellement. Cette mutation s’observe du coté de Kiev comme de Moscou.
Cela a toujours été de mise en théorie, mais l’intégration des snipers, y compris les scouts, est approfondie ; ainsi, la destruction de snipers ennemis pourra être confiée à l’artillerie ou à des munitions rôdeuses, grâce aux liens établis et aux possibilités de transmission ultra rapide de l’information que la technologie informatique autorise. La perturbation des atouts adverses peut également être confiée aux formations spécialisées en guerre électronique, aptes à brouiller les drones, le GPS,[10] et bien sur les transmissions radioélectriques, voire les liens électroniques de l’adversaire, de plus en plus utilisés.
Outre le déploiement d’un nombre accru de snipers, il apparaît que ces derniers ont fait évoluer leurs missions et leurs matériels.
Les missions périphériques au tir (reconnaissance, observation, recueil de renseignement) demeurent ; les tirs connaissant un changement majeur, en reposant sur la recherche de la précision à longue, voire très longue distance. Il était généralement admis que le TP pouvait engager un torse jusqu’à 600 mètres, voire 800, et que le TE devait toucher jusqu’à 1800 mètres. Naturellement cela dépend du théâtre, car le terrain conditionne les compartiments de tir : un environnement boisé les raccourcit, le désert ou la plaine les accroit, la montagne et la ville étant des contextes à part, avec une dominante de verticalité.
Les combats en Ukraine se sont caractérisés par l’accroissement des distances de tir et l’adaptation des moyens à ce besoin. En 2005 le record de l’US Army était un kill à 1249 mètres avec un M24 en .308 Winchester. Mais, avec l’introduction de nouveaux calibres, un Canadien réalisa un touché à 3540 m en Irak, un Britannique réussit un kill à 2430 m, un Australien 2815 m, un Britannique à 2475 m (tous en Afghanistan, théâtre adapté à la longue distance).
Bien que le contexte statique ne rende pas ces accessoires indispensables, des calculateurs de tir intégrés à l’optique sont observés. Cela permet évidemment de simplifier et accélérer la procédure de réglage en fonction de la distance et de la balistique extérieure du projectile. Les télémètres laser sont quasiment omniprésents ; il existe des versions intégrées à la lunette mais des appareils portatifs sont disponibles et pratiques, ils font partie de l’équipement du sniper moderne. On notera que le temps des bricolages semble révolu et que les deux camps sont bien équipés en accessoires modernes (bonnette de tir, filtres killflash, manchon dissipateur de chaleur pour silencieux, drag bag pour progression discrète…). Pour l’anecdote, l’emblématique ghillie suit indispensable à tout film de sniper est peu prisée en Ukraine. Elle est jugée trop pénalisante pour les progressions, prompte à s’alourdir dans le terrain boueux et identifiant le sniper comme tel, ce qui l’expose à une frappe par lance-grenades, mortiers, artillerie ou drones rodeurs. L’usage de simples filets de camouflage individuel, de teintes et de surface adaptées, remplace avantageusement la lourde tenue de camouflage du sniper. En revanche, l’équipement qui s’est imposé est l’appareillage de vision thermique. Développé pour le repérage nocturne en captant le rayonnement Infrarouge, il fonctionne également de jour. Les caméras thermiques ou appareils de vision nocturne se sont largement démocratisés[11] et constituent un danger réel et permanent sur le champ de bataille. Les Ukrainiens considèrent que les Russes sont davantage dotés mais il existe de nombreuses vidéos prises dans les deux camps montrant des tirs efficaces grâce à ces moyens. Certaines lunettes de tir offrent une vision diurne et une option thermique, parfois avec un télémètre. Les projets de capes ou tenues de protection thermique restent encore marginaux et en tous cas peu courants.[12]
Le choix des armes
L’Armée ukrainienne comme l’armée russe étaient initialement équipées d’une arme de précision semi-automatique datant des années 1960, tirant une munition de 1891. Quoiqu’on ait pu en dire, le SVD Dragunov en calibre 7,62x54R équipé de sa remarquable lunette PSO-1 était, et est toujours, un excellent fusil de tireur de précision au sein d’un groupe ou d’une section, aptes à délivrer des feux jusqu’à 600 mètres, au maximum 800 avec une cartouche de précision Match et un bon tireur. Léger mais long, il complétait de manière cohérente la panoplie à disposition des bataillons de fusiliers motorisés (BFM) soviétiques, qui déployaient le fusil d’assaut AK, le LRAC RPG-7 et bénéficiaient de la mitrailleuse lourde ou du canon mitrailleur et des dispositifs de visée, notamment nocturnes, de leurs véhicules, BTR et BMP. L’entrainement du tireur, souvent un conscrit, correspondait à ce cadre et ne répondait pas à la définition anglosaxonne du sniper imposé aux FAU après 2016. Malgré une modernisation du fusil (SVD-M), les forces armées russes avaient également adopté des armes nouvelles à la lumière de leur expérience en Tchétchénie et en Syrie.
Le fusil VSS Vintorez de calibre 9×39 était une arme silencée et munie d’une optique, de portée intermédiaire compte tenu de la balistique de sa cartouche, réputée « aplatir le tchétchène ». Parfois décriée, ce concept est pourtant à l’origine du développement des calibres .300 Whisper et des armes correspondant, en Occident. Le fusil russe présentait l’intérêt de faciliter l’autodéfense du tireur, notamment par rapport à un fusil de précision à verrou comme ceux préférés à l’Ouest et permettait des tirs précis et discrets. Des déclinaisons récentes du fusil très proche AS Val ASM, encore allégées, sont visibles aux mains des spestnatz russes, bien que les AK74N soient de plus en plus fréquemment équipées de silencieux. Ces armes silencées ont particulièrement adaptées au combat urbain et aux opérations clandestines, surtout le VAL avec sa crosse repliable.
Les forces de Kiev ont quasiment retiré le SVD de leur arsenal ; ils ont déployé à la place des fusils à répétition manuelle, à l’image des snipers US et britanniques. Longtemps ce type de fonctionnement offrait une précision supérieure à celle des armes automatiques, qui permettaient, elles, un doublé rapide, option explorée par les Français dés 1917 avec le FSA du même millésime. Les Forces étatsuniennes de la seconde guerre mondiale et en Corée employaient le fusil à verrou Springfield 1903 et une version adaptée du fusil semi-automatique Garand (M1 D). Avec la guerre du Viet Nam sont apparues une arme extrapolée de la carabine à verrou Remington 700 pour l’USMC (M40) et une version optimisée du M14 pour l’Army (M21), remplacée par la suite par le M24, également sur base Remington 700 et qui a connu des évolutions nombreuses (jusqu’au modèle E5, cinquième version). Les Ukrainiens ont commencé leur transition avec ce type d’arme, des M24 SWS (sniper Weapon system) ayant été rendus disponibles lorsque l’US Army a adopté une extrapolation du fusil AR 10 (M 110). Kiev a élargi son arsenal grâce à des armes fournies par l’étranger : Dans le calibre .308 Winchester (adopté comme calibre OTAN en tant que 7,62×51) à côté des armes étatsuniennes on trouve des fusils italiens Victrix, des fusils canadiens CADEX, des fusil britannique Accuracy international fournis par les Pays Bas et les pays scandinaves, des fusils finlandais TRG ou autrichiens Steyr SSG. Kiev recourt aussi à sa production indigène. Les mécanismes de M24 sont montés sur des châssis ukrainiens Automat[13] et les firmes fournissent des armes de précision sur le modèle occidental. Une copie locale de l’AR 10 (ou du M110) UAR 10 de la société Broinar remplace ainsi les vieux SVD.
S’il n’est pas surprenant que Kiev ait choisi un calibre OTAN, plus étonnamment l’armée russe fait de même en adoptant le Lobaev LAR 10 (également copie de l’AR 10), ainsi que plusieurs armes à verrou, dans ce calibre dont le SV 98 de Izmash. Pour le tir à longue distance, le .308 est « limite » et les deux camps ont développé des armes nouvelles. Plusieurs armes russes, dont le fusil T5000 de la société Orsis, en service dans l’armée fédérale en Ukraine, proposent d’ailleurs des actions en différents calibres, .308 W, 300 WM ou .338 LM.
La société ukrainienne Snipex s’est spécialisée dans des « méga-calibres », ses fusils à verrou Alligator et T-Rex en calibre14,5×114 (celui du canon mitrailleur ou de la mitrailleuse lourde des blindés soviétiques) et le Monomakh est une version semiautomatique dans le même calibre, trouvant leurs racines dans les fusils antichars soviétiques PTSD et PTRS de la seconde guerre mondiale[14]. Ces armes imposantes (deux mètres) s’inspirent également des fusils antimatériel Barrett M82 et M107 ou Mc Millan dans le calibre 12,7×99 (.50 BMG) dont Kiev a reçu plusieurs versions notamment des USA, des pays scandinaves. Des productions comparables (Wkw TOR) ont été remis par la Pologne et le Canada (LRT 50). Le fusil Volodar Obriyu (seigneur de l’horizon) a permis le touché à la plus grande distance (3800 m) par un sniper du SBU en novembre 2023. Cette performance a été atteinte grâce à la cartouche de 12,7×114, un wildcat qui rétreint la munition de 14,5 mais conserve la charge de l’étui. Au-delà de la propagande, ces armes permettent donc des tirs très distants mais au prix d’une masse et d’un encombrement qui sont une véritable limitation tactique, n’étant adaptée qu’à une situation relativement statique, comme les combats positionnels. Carlos Hatchcock fut un tireur renommé au Viet Nam pour sa précision à longue distance ; il employait une carabine en calibre .308W, mais procédait avec un jalonnage préalable, avec repères sur le terrain à la manière des artilleurs. Les calibres « lourds » évoqués supra permettent des tirs bien plus lointains. Mais plus que le 14,5mm ou le 12,7mm, les progrès ont portés sur l’adoption de calibre plus puissants que le .308 ou le 7,62 Mosine, mais moins pénalisant que 12,7 et au-delà. Le calibre .300 Winchester Magnum est ainsi décliné sur plusieurs fusils de sniper (dont le Barrett MRAD disponible en trois calibres et fournis à Kiev) ; c’est toutefois le .338 Lapua Magnum (8,6 x70 ou 8,58×70) qui est devenu un excellent calibre longue distance (au-delà de 1500 mètres). Les snipers de Kiev ont reçu de nombreuses armes dans ce calibre : Sako TRG 42, Accuracy AWM, Savage 110, Victrix Venus, Cadex CDK TAC, de manière non exhaustive[15].
Les forces russes ont compris la tendance et ont mis en service des armes offrant précision, allonge et gabarit tactiquement acceptable. Le modèle soviétique (proche du français) du tireur de précision intégré au groupe d’infanterie a été remis en cause et si cet appui direct existe toujours, des modalités spécifiques ont été développées pour le sniping spécialisé, à longue distance. Les déclinaisons opérationnelles sont quasiment les mêmes que celles des FAU, création de trinôme, voire d’équipe (afin de gérer les drones devenus indispensables), pouvant être associés et mis à disposition ou employés sur initiative dans une zone définie. Cette réorganisation s’est accompagnée d’une remise à niveau des équipements et armements. Il s’agit d’un mélange de calibres indigènes et de calibres occidentaux. Ainsi, le fusil Lobaev VSL Stalingrad est chambré en .338 LM, et le DXL8 Havoc l’est en calibre 12,7×99. Le fusil OSV 96 est chambré dans le calibre 12,7×108 de la Mitrailleuse lourde Dshk, offrant un peu plus d’allonge et de puissance que son homologue occidentale 12,7×99. Le SVtch Tchoukavine a été développé par l’usine Kalashnikov ; c’est une arme semi- automatique, destinée au tir à 1000 mètres et plus, tirant parti des RETEX de Syrie. Il peut être chambrée en .338 LM ou en .308 Win, ou 7,62 Mosine. Sa distribution ne semble pas encore documentée en Ukraine.
Comme en Ukraine, l’industrie russe s’est penchée sur les meilleures réalisations occidentales, incluant les productions civiles Wildcat. Ainsi le Lobaev Sevastopol est proposé dans le calibre 408 CheyTac (cheyenne tactical). Ce calibre développé pour le fusil CheyTac M 200 (visible dans le film Shooter tireur d’élite de 2007) délivre plus de 11 000 joules (une cartouche de 9×19 atteint 450 Joules en moyenne) et permet des tirs jusqu’à 4000 mètres[16]. Les fusils sont garantis avec une précision de 0,4 MoA (soit 11,6 mm à 100 mètres, ou encore 1,16 cm à 1 kilomètre).
L’arsenal russe s’est également enrichi d’armes très spécialisées, comme le VKS Vykhlop à silencieux intégral, en calibre 12,7 x55[17], spécialement développé pour ce type de tir discret. C’est une arme rare, destinée aux forces spéciales du FSB et assimilées, mais des soldats ukrainiens se sont photographiés avec un exemplaire capturé sur les forces spéciales de la Rosgvardia ; l’approvisionnement en cartouches sera probablement difficile pour ce trophée.
Afin de perforer les protections balistiques à longue distance (une des raisons du développement du .338 Lapua Magnum), les Russes ont développé le SVD-K une arme semi-automatique chambrée dans le calibre 9,3×64 Brenneke, créé en 1927 pour le gibier africain.
A l’inverse, les effectifs généralistes se dotent de plus en plus de lunettes de tir sur leurs fusils d’assaut
Conclusion provisoire, on observe des optiques de grossissement x4, x6 et même x8 sur les AK74N et les AK12 qui apparaissent. Parallèlement à l’accroissement du nombre de tireurs qualifiés (véritables snipers ou équivalent du tireur de précision ou Marksman) on assiste donc à une multiplication de facto de ce que les Anglosaxons désignent comme sharpshooters ou designated marksmen, c’est-à-dire des hommes du rang avec une aptitude au tir plus précis et lointain délivrée à titre individuel (ce que m’on appelait un tireur d’élite dans les troupes de ligne françaises avant la seconde guerre mondiale ; cette qualification existait pour d’autres armes, comme la mitrailleuse et se matérialisait par le port d’un insigne spécifique, tradition encore active dans les forces armées des USA). Cette évolution permet d’envisager des tirs plus lointains lors des combats d’infanterie, en tenant compte cependant des compartiments du terrain, notamment en ville et en zone boisée et de la balistique de la cartouche de 5,45×39 (et pire encore de celle de 7,62×39) tirée dans une arme du système Kalashnikov.
Conclusion du moment
Le tir militaire sélectif qui offre un intérêt psychologique et parfois tactique (élimination de cibles à haute valeur ajoutée comme les officiers supérieurs) reste un mode d’action limité. Le champ de bataille en Ukraine a permis de concrétiser différentes orientations esquissées lors des conflits précédents et constitue donc un laboratoire intéressant. Les deux camps ont adopté des évolutions apparemment proches. Ce constat ne doit pas faire oublier que les affrontements positionnels sont particuliers et que les enseignements tirés ne sont pas transposables à tous les cas de figure. On notera en particulier que, hormis le témoignage médiatisé d’un sniper canadien engagé dans les forces de Kiev à Bakhmut/Artemyovsk, le cadre urbain ne semble pas avoir largement tiré parti des possibilités du sniping, à l’inverse de ce qui avait été identifié en Ex-Yougoslavie ou en Irak, voire en Tchétchénie et en Syrie. On peut probablement l’expliquer par le fait que, en ville comme en rase campagne, la guerre de haute intensité[18] se livre à coups de tonnes d’explosifs, sans qu’un mandat international ou la respectabilité médiatique ne viennent inhiber le déchainement de moyens lourds. Cela n’est pas sans évoquer la première guerre mondiale, lorsqu’aux duels au fusil de précision de gentlemen Britanniques et de Junker Allemands, la démocratique armée française préférait régler la menace des tireurs embusqués à coup de canon de 37 SR ou de lance-grenades Vivien Bessière.[19] Cette situation conduit également à relativiser l’importance des pertes par tirs de sniper par rapport à celles imputables à l’artillerie et aux drones, sans que cela ne signifie que le tir de précision, en ville notamment, ne présente plus d’intérêt.
[1] Les familles AK puis M16 sont largement majoritaires même si des armes en calibre 7,62mm coexistent avec. L’AK12 qui commence à être massivement distribuée est une AK modernisée
[2] Nombre de personnels militaires et d’intervention formés s’étant réfugiés dans le Donbass
[3] Voir infra les armes des snipers russes
[4] Le détachement d’assaut (équivalent d’une compagnie) n’aligne qu’une paire de snipers dans la section d’appui qui complète les deux sections d’assaut.
[5] On crédite des snipers ukrainiens de l’élimination de généraux russes sur la ligne de contact
[6] Mais pas inexistante le sniper ukrainien glorifié par Kiev Oleg Nebuvaylo a ainsi été abattu par un homologue russe armé d’un Lobaev LAR 10
[7] Lobaev arms, société des frères du même nom, tireurs sportifs médaillés, produit des armes de chasse et de sport mais a aussi développé une gamme militaire et police qui équipe les forces armées russes et sont employées en Ukraine.
[8] A côté de mythomanes, des personnels militaires ont été mis en situation de détachement pour pouvoir être engagés en restant deniable, d’autres sont des mercenaires et certains de véritables volontaires agissant d’initiative tels certains anciens de la Légion étrangère française d’origine ukrainienne ou pas. Moscou estime que 12 000 étrangers sont venus en Ukraine, dont 5000 ont été tués et les moins sérieux ou les plus honnêtes, comme le sniper canadien Wali, sont repartis d’eux-mêmes.
[9] Une patrol d’une troop des sabre squadron du 22nd SAS est composée de 4 hommes et la A-Team des Special forces US ; l’operational detachment Alpha (ODA) de 12 hommes duplique deux équipes de 4, plus un commandement de 4 autour d’un Captain.
[10] Le GLONASS russe est un moyen concurrent dont le déploiement n’est pas rendu public. ON sait en revanche que le guidage GPS des munitions JDAM et HiMARS est désormais efficacement brouillé par les forces fédérales.
[11] L’armée française, toujours pauvre, a longtemps imposé le recours aux caméras embarqués des véhicules ou des postes de tir Milan dans ce rôle, mais le « thermique » est désormais individualisé ou a minima disponible au niveau section.
[12] Cependant, contrairement à ce que l’on voit dans les films, tout obstacle en dur, y compris des vitrages, entre l’émetteur de chaleur et l’appareil de détection neutralise celle-ci, rendant le dispositif moins intéressant en ville.
[13] Qui upgrade le M24 de manière proche de la version E5 ou de la version israélienne
[14] Dans les années 1990 en Hongrie avaient été produits des fusils très similaires dans le même calibre, Gepard et Elefant.
[15] D’autant qu’il existe une large tolérance, due à la fois au système d’achat ukrainien, qui approuve l’emploi sans certifier ni adopter, et à la possibilité d’employer de l’armement personnel, souvent importé
[16] Le record (sportif) mondial est détenu par le français B. Gineste avec trois impacts à 4150 mètres (4340 yards) dans ce calibre
[17] A ne pas confondre avec le .50 BMG ou 12,7×99 de l’OTAN
[18] A ceux qui seraient tentés d’opposer l’exemple de Stalingrad de 1942 à 43, on rappellera que les deux camps étaient imbriqués dans le tissu urbain et y vivaient, les bombardements initiaux de la Wehrmacht n’ayant pas vraiment été prolongés dés lors que l’armée allemande avait capturé les ¾ de la ville.
[19] C’est le cas commun depuis 2022 en Ukraine, fort logiquement