David Lynch et la chute de la maison Amérique – Nicolas Bonnal

Par Nicolas Bonnal

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Toute la filmographie de Lynch est liée à trois éléments :

La nostalgie d’un âge d’or (les cheveux blonds) et d’une petite ville unie et chrétienne.

La conscience d’un cauchemar et d’une destruction du pays.

Le réveil brutal d’une conscience choquée (une constante du film noir), celle du héros confronté à un monde devenu horrible. La conscience choquée évolue dans un monde onirique et à la dérive alors.

On a d’un côté ces filles merveilleuses, blondes et brunes (Twin Peaks, Blue Velvet, Mulholland Drive…) dont parle Céline en arrivant à New York (« c’est la Grèce qui recommence ! »), ces petites villes enchanteresses célébrées dans les comédies musicales (voyez mon livre) sur fond de prospérité bien partagée, et de l’autre ces crimes, ce vice, ces drogues, cette débauche, cette pornographie, et la drogue. Comme dit un policier dans Twin Peaks Laura Palmer droguée et sexuellement active ressemble à la moitié des filles américaines. Le reste est prêt pour le fanatisme woke ! Et derrière le rideau de théâtre on a le cauchemar, une autre dimension qui évoque moins le Sidh enchanté des celtes que l’Autre côté cauchemardesque et fantastique du génial écrivain et dessinateur autrichien Alfred Kubin. Lynch nous montre aussi que le portail des enfers s’ouvre très vite et qu’on y monte et descend comme les anges de l’échelle de Jacob.

La même conscience de la fragilité du rêve américain est permanente et fait de ce pays destructeur un pays à bien des égards plus conscient et nostalgique que la France par exemple : voyez le livre admirable de Jacques Cabau La Prairie perdue, vieux d’une quarantaine d’année et mine inépuisable.

On la retrouve cette fragilité dans l’œuvre d’Edgar Poe ou de Fenimore Cooper, et même dans celle de Lovecraft : voyez la nouvelle The Street, longue de quelques pages, où le narrateur impuissant regrette le temps des pionniers et celui de la blondeur, dans une Amérique soumise au cauchemar migratoire… européen (slave, méditerranéen, juif, balkanique, etc.) ; dans la Splendeur des Amberson, Orson Welles oublie des passages essentiels du livre de Booth Tarkington (contemporain de Madison Grant), quand celui-ci dénonce l’invasion des USA par la même faune européenne. Tocqueville en parle dans une note de sa Démocratie en Amérique : il voit lui une menace politique, bien avant Gustave Le Bon. A la démocratie tranquille et anglo-protestante et nordique va succéder un socialisme bien européen et bien woke. J’ai recensé cela dans maints de mes textes, y compris dans mon livre sur Trump, qui rêve de son Amérique à nouveau grande (grande elle l’est toujours ; donc que veut-il dire exactement ?) ; et dans son film sur les zombis Jarmusch (un partisan clair du métissage et des noirs) filme un olibrius à casquette portant le slogan suivant : make America white again ! Les zombis vont manger tout le monde : de toute manière ils ont été des zombis toute leur vie, comme dit Bill Murray avant d’y passer. NDLR : les films de Romero datent aussi des années soixante.

Mais venons-en au fait immédiat

Dans la biographie de Lynch publiée en 2005 on lit les lignes suivantes :

« En famille, ils ont déménagé dans le quartier Fairmount de Philadelphie, où ils ont acheté une maison de 12 pièces pour le prix relativement bas de 3 500 $ (équivalent à 32 000 $ en 2023) en raison des taux élevés de criminalité et de pauvreté de la région. Lynch a déclaré plus tard :

Nous vivions dans des conditions dérisoires, mais la ville était pleine de peur. Un enfant a été abattu dans la rue… Nous avons été cambriolés deux fois, nos fenêtres ont été brisées et notre voiture a été volée. La maison a été cambriolée pour la première fois trois jours seulement après notre emménagement… Nous nous sentions si proches du danger extrême, et la peur était si intense. Il y avait de la violence, de la haine et de la saleté. Mais la plus grande influence de toute ma vie a été cette ville. »

Les années soixante c’est la grande rupture sur tous les plans. L’immigration va changer d’origine et en peu de temps les USA seront envahis et deviendront une société multiraciale (il y a eu complot de tout le monde, juif, protestant et catholique pour métisser la société à marches forcées) ; il y a explosion du nombre de divorces (même chez les Rockefeller, avais-je lu), de la violence (surtout après l’assassinat de Kennedy), et de la culture beatnik qui avec d’autres va détruire le pays. On ne parlera pas du reste. Hollywood meurt. Et puis il y a le Vietnam (deux millions de jeunes envoyés et saccagés là-bas tout de même, voir Oliver Stone, Coppola ou Cimino). Lynch assiste à cela sans méchanceté aucune : il n’est pas raciste mais son cinéma va refléter l’effondrement des Wasp dont a très bien parlé Todd dans on opus sur la défaite occidentale : l’Amérique va perdre ses qualités en perdant cette précieuse homogénéité raciale, observe Todd froidement (lui aussi sans aucun racisme). L’Amérique va devenir brutale, immorale, nihiliste, sanguinaire, inégalitaire. Peut-être qu’elle l’était déjà (relire Chandler, plus grand écrivain du siècle) mais cela se voyait moins tout de même.

Tout le projet de Trump est proche de celui de Lynch. On a eu cassure et on essaie de réparer le monde.

David Lynch est mort et il ne tournait plus depuis dix-sept ans. Les larmes de crocodile des uns (dont Spielberg) ne doivent pas nous faire oublier l’avarice des autres : qui a cessé en effet de le financer, et sur quel ordre ? Ce n’est certes pas parce que ses films ne rapportaient rien, malgré leur dimension de film-culte qui ne concernait qu’une chapelle peu éclairée. On a sciemment laissé crever son cinéma. D’un autre côté j’ai assez fréquenté Kubrick pour savoir qu’un long silence au cinéma est parfois préférable à une myriade d’opus ratés. Certains maîtres dépérirent sous le nombre de leurs films sans inspiration : Godard, Resnais, Ridley Scot…, d’autres ont perdu leur inspiration à cause des festivals (dixit Werner Herzog). Roule, torrent de l’inutilité, comme dit Montherlant.

Je termine par une citation de Jean Parvulesco dans Retour en Colchide (merci à Paul), livre où il parle étrangement de mon rapport avec un Grand Monarque, que j’ai connu et qui n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait. Avec Parvulesco nous parlions souvent à La Rotonde du jeune Godard (génie éblouissant c’est certain) qu’il avait inspiré, de Kubrick, de Hollywood (comme son texte sur ce grand incendie rituel et sacrificiel nous manquera !), et bien sûr de Rohmer et de Mitterrand. Jean réagit très fortement à Eyes Wide Shut de Kubrick. Mais grâce à mon lecteur Paul je trouve ces lignes sur le triomphe du satanisme dans la société américaine et occidentale, lignes inspirées par Mulholland Drive :

« …Car ce film de David Lynch est en réalité le récit – la mise en scène de sa propre désintégration en marche et partant d’une certaine désintégration totale de ce monde, ramenant à la superbe séquence finale du basculement général dans la démence collective totale coïncidant d’une manière sous-entendue avec une prise en possession définitive par les Enfers.

En dernière analyse, Mulholland Drive signifie et annonce l’engagement peut-être irréversible de l’actuelle soi-disant civilisation américaine vers une conclusion infernale, vers la pétition de plus en plus paroxystique de sa prise en main par les pouvoirs occultes des soubassements nocturnes de ce monde. Par leur glissement fatal sous la Régence des Ténèbres. »

Et si vous ne me croyez pas revoyez Straight Story.

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