Propaganda matrix : apprendre à débusquer le complexe militaro-censuriel
Par Guy Mettan
Abonnez-vous au canal Telegram Strategika pour ne rien rater de notre actualité
Pour nous soutenir commandez les livres Strategika : “Globalisme et dépopulation” , « La guerre des USA contre l’Europe » et « Société ouverte contre Eurasie »
Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au
Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle
dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios
bien rôdés, qu’on peut voir à l’œuvre partout en Europe avec une régularité déconcertante depuis le
coup d’Etat de février 2014 en Ukraine. A tel point que, à l’image des journalistes Pascal Clérotte et
Thomas Fazi qui ont démonté le cas des Twitter Files en France, on peut parler de « complexe
industriel de la censure », ou si l’on préfère, de « complexe militaro-censuriel » selon l’expression
d’Eisenhower.
Cette matrice de propagande fonctionne sur un principe qui a fait ses preuves depuis la nuit des
temps, celui de la censure. La propagande active consiste à isoler un événement, à le monter en
épingle et à censurer les faits qui pourraient le contredire, comme dans le cas des drones russe en
Pologne. La propagande passive procède à l’inverse : elle escamote, et si ce n’est pas possible, elle
minimise, écrase le fait principal en le noyant au milieu d’événements latéraux sans importance de
façon à le faire passer au second plan, comme on a pu le voir dans le cas des bombardements
israéliens au Qatar, en Iran ou à Gaza, bien qu’il s’agisse de crimes de guerre et de crimes contre
l’humanité avérés, voire d’un massacre génocidaire pour Gaza.
On précisera que, dans tous les cas, la censure doit rester invisible pour être efficace. L’industrie
censurielle relève de la haute couture : on ne doit pas voir les fils dépasser. On relèvera aussi que ces
attaques, supposée d’un côté et avérée de l’autre, ont eu lieu le même jour et pratiquement au
même moment, comme si l’on voulait gonfler l’une pour faire oublier l’autre. Mais on me dira qu’il
s’agit d’une pure coïncidence…
Commençons par la propagande active et l’affaire des drones russes, qui n’est que la plus récente
d’une longue série qu’on a pu voir défiler sur nos écrans depuis douze ans – affaires du MH-17, des
Skripal, de Boutcha, de la maternité de Mariupol, du missile de Kramatorsk, etc. Toutes suivent
rigoureusement le même canevas.
Cela commence d’ordinaire par la petite musique des réseaux sociaux. Dans le brouillard de la guerre
et le brouhaha incessant des réseaux, une mélodie grinçante se fait entendre et prend peu à peu de
l’ampleur : la Russie aurait attaqué la Pologne avec une vague de drones. Les commentaires,
rapidement suivis d’images et de déclarations officieuses puis officielles, se mettent à proliférer. Au
début de cette première phase, qui dure en général un jour et demi, les médias officiels se taisent
par prudence. Ils se tâtent, s’observent, suivent le fil des agences. Lesquelles ne tardent pas à monter
en puissance et à donner le ton. Comme elles sont toutes financées par les gouvernements, elles
savent qu’elles peuvent se lâcher dès qu’un officiel valide la thèse, obscur ministre balte, général
polonais, expert de think tank quelconque, peu importe du moment qu’il s’agit d’une « source
généralement bien informée ».
Le signal de l’hallali sonne alors : les radios mainstream entrent en action, généralement en fin de
journée, avec des guillemets et des conditionnels pour la bonne forme. Le lendemain matin, c’est au
tour des journaux d’information de se déchaîner. Près de 80 % des unes des quotidiens mainstream
du continent sont consacrées à l’événement. C’est la phase de l’avalanche émotionnelle. En fin
d’après-midi, Darius Rochebin proclame l’état de guerre sur LCI et l’émission suisse Forum convoque
ses experts attitrés. Les chiens sont lâchés, qui fondent sur le gibier comme un loup sur sa proie. Les
chercheurs autoproclamés et professeurs stipendiés entrent en scène pour apporter leur caution
académique aux messages ultra-simplistes qui circulent en boucle : « Sus à Poutine ! Il faut aider
l’Ukraine ! Négocier c’est capituler ! L’OTAN doit réagir ! ». Tous sont du même avis, pas de débat
contradictoire car on ne saurait donner la parole à un ennemi de la démocratie et de la civilisation.
Troisième phase : l’hystérisation politique. Gonflés à bloc par le tapage médiatique, les politiques
sortent de leur réserve et s’emballent. Les articles et le conseil de l’OTAN sont convoqués, le Conseil
de sécurité est invité à se réunir, Macron, Starmer et Merz se mobilisent contre l’ogre russe, des
Rafale et des F-35 sont envoyés en Pologne, les pays baltes, la Finlande et la Pologne sont sur le pied
de guerre, Zelenski s’agite et réclame encore plus de milliards (qu’on s’empresse de lui donner), les
opinions publiques s’inquiètent (au point d’en oublier leurs difficultés quotidiennes et de reconfirmer
leur soutien indéfectible à la guerre, aussitôt corroboré par les inévitables sondages d’opinion lancés
dans la foulée).
Quatrième étape : le soufflé retombe. Manque de chance, les drones se sont avérés inoffensifs, on
ne sait même pas s’ils sont venus de Russie, la réunion de l’OTAN se termine en eau de boudin faute
de preuves tangibles, Trump est resté de marbre et n’est pas tombé dans le panneau. Le doute
guette l’opinion et il est devenu urgent de passer à autre chose quand, ô miracle, arrive la réplique
roumaine. Un drone russe a survolé la Roumanie (avant de rentrer tranquillement en Ukraine
apprend-on le lendemain). Et nous voici repartis pour une nouvelle journée d’effervescence
médiatique.
A l’heure où j’écris ces lignes, soit une semaine après les événements, le charivari médiatique est
retombé. L’effet voulu a été obtenu. La Suède a accordé 7 nouveaux milliards à Zelenski. Le narratif
s’est imposé, le mensonge est en train d’être métabolisé par le corps social. Il a rempli la mission
qu’on attendait de lui. C’est la cinquième phase, celle de la digestion, qu’il importe de ne pas
troubler. La tension baisse et les médias se mettent en mode veille.
De son côté, le monde politique continue à s’agiter à bas bruit. Son temps n’est pas le même que
celui des médias. Il est plus lent. Les états-majors et les parlements s’activent donc pour lancer en
toute discrétion de nouveaux plans d’armements et voter de nouveaux crédits. Jusqu’à la prochaine
occasion qui ne manquera pas de se produire puisque les besoins de la guerre sont infinis.
Dans quelques semaines ou quelques mois (ou quelques années comme ce fut le cas avec les
pseudos armes de destruction massive irakiennes en 2003), lorsque l’affaire aura été complètement
oubliée mais que tout son potentiel politique et militaire aura été exploité, on apprendra par un petit
démenti publié en fond de page que tout cela n’aura été qu’un malentendu, une mauvaise
appréciation. Qui se souvient de l’affaire Skripal, qui a tenu en haleine les opinons publiques des 32
pays membres de l’OTAN pendant tout le printemps 2018 et a abouti à l’expulsion de centaines de
diplomates russes ? Et qui sait que le père et la fille soi-disant empoisonnés au novitchok par Poutine
se portent comme des charmes ?
Dans le cas de la Palestine, la censure fonctionne en sens inverse. On revient aux traditionnels
ciseaux : on coupe ce qui gêne, à commencer par les journalistes internationaux. Choyés et gavés
d’informations choisies et de reportages organisés sur le front en Ukraine, ils sont ici interdits de
territoire. Pas question pour eux de se rendre à Gaza. On observera en passant qu’ils se gardent bien
de protester. RSF et Human Rights Watch froncent le sourcil en silence ! Il est vrai que l’Europe a
aussi fait le ménage chez elle en bannissant les journalistes et les médias russes de son sol, tout
comme Zelenski a fermé l’ensemble des médias d’opposition en Ukraine, sans qu’aucun média
occidental n’ait songé à se plaindre.
Dans tous les cas, deux précautions valent mieux qu’une.
Une fois les journalistes écartés, il est plus facile de s’assurer que les médias et les politiciens
accordent le moins possible d’attention aux massacres et aux agressions en cours. En amont, on
continue à assassiner les reporters et les malheureux quidams qui s’acharnent malgré tout à
transmettre des infos, des témoignages, des photos, des vidéos sur les atrocités. La censure est ici
synonyme d’élimination physique. En aval, on fera pression sur les médias qui seraient tentés
d’effectuer leur travail en s’appuyant sur l’activisme des ONG affiliées à Israël, toujours prêtes à
dégainer l’antisémitisme à la moindre critique du comportement de l’armée. En Palestine comme en
Ukraine, les relais d’opinion, les think tanks, les experts, les politiciens amis sont mobilisés non pour
amplifier le message mais pour l’effacer, le contextualiser, le nier tout en grossissant la responsabilité
et la barbarie du Hamas. Comme 80% des médias occidentaux sont en mains de milliardaires proches
d’Israël ou sensibles à sa cause, ces injonctions sont reçues 5 sur 5.
On a vu cette stratégie à l’œuvre avec succès pendant près de deux ans à Gaza et pendant les douze
jours de la guerre contre l’Iran en juin dernier. A peine les premiers bombardements avaient-ils eu
lieu à Téhéran qu’on a vu déferler sur les ondes et dans les colonnes de journaux tout ce que l’Iran
pouvait receler de dissidents professionnels anti-régime, du fils du shah ressorti du formol aux ONG
féministes anti-mollahs. Lesquels ont été priés de se retirer de la scène dès que les Etats-Unis
décidèrent de remballer leurs missiles. Jusqu’à la prochaine fois.
Dans le cas du bombardement de Doha, bien qu’il se soit agi d’une agression et d’une violation
patente du droit international, avec six personnes tuées, le traitement médiatique occidental aura
été inversement proportionnel à celui réservé à l’incursion des drones russes en Ukraine, qui
n’avaient pourtant fait aucune victime. L’émoi aura duré à peine deux jours tandis que le temps
d’antenne et l’espace accordés à l’événement n’ont pas dépassé vingt pourcents de ceux consacrés à
la Pologne. Il est vrai que les pays du Golfe, tous dépendants des Etats-Unis qui y ont installé leurs
bases militaires, ont rapidement mis une sourdine à leur indignation.
Bien entendu, ces scénarios peuvent connaître des variantes. La plus spectaculaire est celle du choc
informationnel façon Boutcha. On publie des photos de cadavres de façon à faire s’indigner les
foules, on les monte en épingle, on touille et on retouille dans tous les sens jusqu’à ce que le narratif
belliciste et la guerre se soient imposés dans la durée. On fait la même chose avec les enfants
ukrainiens soi-disant déportés par les Russes. On lance la CPI aux trousses de Poutine. On gomme les
origines et les circonstances de ces mises en scène, trop douteuses, pour se concentrer sur leurs
effets dramatiques. L’audience bat des records, tout le monde est content et tant pis pour la vérité.
Quelles leçons tirer de tout ceci ? Premièrement, que le complexe militaro-censuriel tourne à plein
régime dans nos pays et qu’il est pratiquement imbattable quand il se pare des atours de la
démocratie et des droits de l’Homme pour exercer son néfaste pouvoir. Quand on contrôle à la fois
les sources des informations, leur distribution et les instances censées les vérifier, tels que les fact-
checkers et debunkers (Newsguard, Conspiracy Watch…), le pluralisme, le débat contradictoire, la
confrontation des idées mais aussi le simple examen critique des faits ne sont plus possibles. La doxa
s’impose, toute voix dissidente se voyant disqualifiée et exclue de l’espace public au nom de la lutte
contre les fakenews et les vérités « alternatives ».
Et deuxièmement, que le règne de la censure, pour efficace qu’il soit, n’est jamais parfait ni complet.
Le mensonge et la désinformation exigent de tels efforts et une telle vigilance qu’il subsiste toujours
des trous, des zones grises, des interstices dans lesquels la vérité peut se frayer un passage. Dans le
cas d’Israël et de Gaza, les failles sont devenues béantes, grâce notamment aux médias arabes et du
Sud global et aux images des atrocités qui ont réussi à franchir le barrage. Israël, même avec l’appui
des Etats-Unis, n’est pas assez puissant pour imposer dans la durée son narratif à l’ensemble de la
planète et des opinions publiques occidentales. Netanyahu a gagné la guerre militaire mais il est en
train de perdre la guerre cognitive. C’est réconfortant.
La situation est nettement plus défavorable dans le cas de l’Ukraine. Les faits et les avis non-
conformes sont toujours impitoyablement traqués et les voix dissidentes interdites de plateau. Ils ne
survivent que sur les espaces réservés de la galaxie internet et en dépit des algorithmes qui leur font
la chasse. Mais c’est déjà une victoire.
Rappelons qu’il a suffi d’une formule de cinq signes (E=mc2) pour imposer une nouvelle physique, et
d’un homme obstiné, Galilée, pour faire admettre que le soleil ne tournait pas autour de la terre.
Tout espoir n’est donc pas perdu.