Le mythe de « la grosse Bertha »

Source : jeune-nation.com – 10 janvier 2023 – Claude Timmerman

https://jeune-nation.com/kultur/histoire/le-mythe-de-la-grosse-bertha

Abonnez-vous au canal Telegram Strategika pour ne rien rater de notre actualité

Pour nous soutenir commandez les livres Strategika : “Globalisme et dépopulation” , « La guerre des USA contre l’Europe » et « Société ouverte contre Eurasie »

Le 23 mars 1918, Paris subit des bombardements d’origine inconnue. Les Allemands seraient-ils à proximité de la capitale ? En fait, ils disposent d’un canon à très longue portée que les Parisiens baptisèrent Grosse Bertha.

Jean Veber, La grosse Bertha, 1917

La « grosse bertha » – nom donné en référence à Bertha Krupp, fille de l’aciériste qui a construit ce modèle de canon, – fait donc référence aux pièces énormes qui bombardèrent Paris en y créant une panique certaine durant la guerre. L’effet sur le moral des populations fut immédiat !

En fait, il y eu deux types de bombardement liés à des canons très différents comme conception et comme portée qui furent ensuite mélangés par leurs effets destructeurs dans l’imaginaire populaire des années 20.

La « grosse bertha » proprement dite est un obusier de 420 de type M 42, d’un poids de 70t, d’une portée de 12 km pour des obus de 400 kg (et de 9 km seulement pour des obus de 800 kg).

Ce canon a été conçu, chez Krupp, initialement pour percer les murailles des forteresses, par le professeur Fritz Rausenberger.

Fritz Rausenberger

Mais celui-ci imagina également un canon colossal, produit en 8 exemplaires, connu sous le nom de « parizer kanonen » ou « Wilhelmgeschutze » (« l’arme de Guillaume ») : un canon haut de 40 m, ayant un tube de 28 m ajusté en 4 tronçons, capable d’envoyer des projectiles de calibre 210 à 120 km, atteignant 40 km de haut, (record de portée toujours inégalé pour un projectile propulsé ) fut utilisé tant pour le bombardement de Paris depuis la forêt champenoise, (Crépy en Laonnais puis Fère en Tardennois), que de Londres, depuis les plages de Gris-nez !

Sur les plages du Nord…

Pour les nostalgiques de Jules Verne, on ne saurait ignorer dans cette conception une allusion à la vision de canons décrits dans certains de ses romans.

Ces canons rapatriés chez Krupp et (re)fondus – pour ne pas tomber entre les mains de l’ennemi – à la fin de la guerre, ont acquis une aura de mystère d’autant plus grande que les photos en sont extrêmement rares.

Leur conception fut reprise par le IIIeme Reich pour le bombardement des villes anglaises depuis le pas de Calais et la côte des Flandres. Le projet finit par être abandonné à cause des difficultés techniques récurrentes associées au réalésage des sections du tube…

À Creppy en Laonnais…

Dissimulé dans un bosquet, ce canon géant a toujours échappé aux reconnaissances aériennes…

Le « Canons de Paris » ou « arme de Whilem » ou « arme de Guillaume » crachait des projectiles explosifs de 210 mm.

L’abrasion des tubes était telle qu’ils devaient être remplacés après 65 coups. Afin de compenser la détérioration extrêmement rapide de l’âme du canon, les obus étaient numérotés de 1 à 65 et devaient être tirés en ordre séquentiel puisque chaque projectile avait un calibre légèrement supérieur au précédent. Si bien que le calibre du projectile numéro 65 atteignait en fait 235 mm!

Après chaque tir, le tube, haubané, oscillait souvent plusieurs minutes.

Le plan initial prévoyait suffisamment de tubes de remplacement pour permettre le pilonnage continu de Paris par deux canons durant une année complète. Les tubes usés étaient retournés aux usines Krupp pour y être recalibrés à 210 mm.

Monté sur plate-forme bétonnée (toujours visible), il nécessitait cinq trains pour son transport et celui du matériel de levage…et mobilisait plus de 200 hommes !

La première campagne de tir débuta le 23 mars 1918, et dura jusqu’au 3 mai.

Le premier jour, les tirs se succèdent de 7 h 09 à 14 h 00, par temps nuageux garantissant une absence de possibilité de repérage par avion. Des tirs intenses de batteries de 170 et 210 mm sont déclenchés simultanément pour camoufler le son du Parisener.

Quatre mortiers de SKL/45 Max de 380 mm, disposés à proximité, tirent également pour éviter tout repérage par les SRS françaises (sections de repérage par le son).

Une deuxième campagne de tirs a eu lieu du 27 mai au 11 juin, toujours à partir du mont de Joie à Crépy. (Il est possible que l’interruption des tirs entre le 11 juin et le 16 juillet soit due au transport d’un Pariser Kanonen de Crépy à Bruyères-sur-Fère)

La dernière campagne de tirs, à partir des plates-formes métalliques aménagées à Beaumont-en-Beine, dura jusqu’au 9 août 1918.

À quelques kilomètres de là, les Allemands avaient fait construire un canon en bois et une fausse voie ferrée qui servait de leurre afin de tromper d’éventuels repérages par l’aviation ennemie.

En tout, 367 obus sont tombés sur Paris, causant la mort de 256 personnes dont 91 dans la seule église Saint-Gervais le 29 mars 1918et en en blessant 620 [L’obus creva la voûte et détruisit un des piliers de l’édifice provoquant l’effondrement d’une partie de celui-ci sur le public pendant l’office du Vendredi Saint.

Un éclat d’obus endommagea le plafond du hall du Lycée Louis le Grand où un encadrement, toujours visible, fut posé avec une mention explicative.]

Pour s’en faire une idée, la seule représentation de ce canon mythique – dont tous les exemplaires furent démontés et détruits – est la modélisation du musée de Coblence

Maquette du Musée de Coblence

La poliorcétique

Par l’utilisation massive du chemin de fer, les Allemands ont révolutionné les dogmes de la poliorcétique.

Jusque-là, les grosses pièces d’artillerie – au-delà de 120 mm – trop lourdes pour être transportées, étaient l’apanage des places fortes, ce qui  a contrario les mettaient à l’abri de pilonnage par des obus de gros calibres susceptibles de percer les murailles et d’endommager les structures : cette absence d’artillerie lourde mobile les rendait quasi inexpugnables…depuis Vauban qui les avaient conçues la plupart du temps !

L’emploi systématique d’obusiers lourds pour les sièges, à Lièges, à Namur, à Charleroi, à Anvers, et plus tard à Verdun allait rendre les ouvrages d’art fortifiés définitivement obsolètes !

Les pièces les plus classiques, capables de percer les murailles, étaient de calibre 320, 380, voire le 420 (surtout placés sur affuts de marine pour cuirassés) dont la précision laissait apparemment pourtant à désirer ….

Les français répliquèrent en créant « le plus gros obusier du monde » :

L’obusier ALVF Schneider de 520 sur affut ferroviaire

Le 24 janvier 1916 la commission A.L.V.F. (Artillerie Lourde sur Voie Ferrée) passa commande pour deux obusiers géants de 520mm à la société Schneider pour répliquer a la mise en service des obusiers de 420 mm allemand.

Ce fut la plus grosse pièce d’artillerie construite durant la première guerre mondiale. Elle tirait des obus de 1400 kg – dont 275 kg d’explosif – et avait une portée de 16 km. Montée sur un affût à glissement de 30m, la pièce affichait un poids total de 290T.

Le formidable recul de cette pièce posa de très gros problèmes techniques en partie résolus par l’emploi de freins hydrauliques sur le tube.

Malgré la priorité accordée par les autorités politiques au développement de cette arme, le premier exemplaire ne fut livré que le 11 novembre 1917 suivi du deuxième le 7 mars 1918.

Malheureusement le 27 juillet 1918 sur le champ de tir de Quiberon, la pièce numéro une qui participait au tir, d’essai d’un nouvel obus type AT fut détruite : au cinquième tir, l’obus éclata dans le tube pulvérisant la pièce et l’affût !

La seconde pièce n’eut pas l’occasion d’être utilisée et fut remisée au Creusot en 1919 puis dans les nouveaux hangars d’AVLF de Neuvy-Pailloux.

L’obusier de 520 ne fut donc jamais techniquement au point…. et ni opérationnel !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *