Rapport de situation sur l’évolution politique en Russie

Source : stratpol.com – 31 août 2024 – Olivier Chambrin

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La situation militaire proprement dite de la SVO en août 2024 dans la région de Kharkov puis celle de Koursk, fera l’objet d’une étude à part, focalisée sur les développements opérationnels. Le présent document tente d’analyser les autres facteurs pesant sur l’affrontement de la Russie avec l’Occident collectif et son proxy kiévien, au-delà des données spécifiquement militaires. Distinguons donc deux « fronts », l’évolution interne (I) et le contexte international (II).

I. Evolution interne de la Russie post-élection présidentielle

Dans la dynamique de la réélection très confortable du président Poutine, certaines décisions doivent être notées.

1. Renouvellement des personnels dirigeants

Constats

a) Le nouveau gouvernement reste dirigé par le premier ministre Mikhail Mishushtin, bon technicien et gestionnaire, sans velléités politiques, qui a été renouvelé à son poste.

b) En revanche, le ministère de la Défense connaît d’importants changement ; le départ de Sergei Shoigu ne semble pas traduire une défaveur1 mais son remplaçant Andrei Belusov est un économiste et il est assisté de personnalités compétentes en matière militaire, comme Alexei Dyumin2. Le président a acté mi-mai la conservation de l’Etat-major général et du CEM Guerasimov ; certains signes, comme le maintien en détention du fameux Igor Strelkov semblent indiquer que le pouvoir veut maîtriser complètement l’évolution sur le terrain et éviter la résurgence locale d’une problématique de type « Wagner ».

Cependant l’évolution militaire et l’extension de l’affrontement avec l’Occident collectif imposent une révolution interne. Avant même l’invasion du territoire de la Fédération dans l’Oblast de Koursk, la lutte contre la corruption a impacté les personnels militaires. Un grand nombre de responsables issus du ministère de la Défense, des instances de contrôle de l’immigration, des services pénitentiaires et policiers, et des gouvernorats3 ont été écartés, voire mis en cause pénalement ; il s’agit notamment de généraux « du temps de paix », sans vraie crédibilité militaire ni engagement au front et empêtrés dans des affaires de corruption. Cela semble en lien avec le discours de Vladimir Vladimirovitch Poutine portant sur la place à donner dans la société aux combattants méritants et capables.

Les vice-ministres nouvellement nommés sont sélectionnés pour épauler efficacement le ministre dans la double démarche économique et militaro-technique. Il s’agit de mettre en place un appareil industriel capable de satisfaire les besoins quantitatifs (compensation des parcs aéroterrestres et navals subissant l’attrition, alimentation en munitions de tous types, fourniture aux troupes des systèmes de soutien et logistiques) et qualitatifs (R&D, spatial, cyber…), en maintenant les acquis tout en réduisant les déficits capacitaires constatés (drones, artillerie de précision à longue portée, radars aéroportés…).

Sans s’aventurer dans une exégèse des rapports de force au sein du gouvernement russe, sur fond d’opposition entre le FSB et l’Armée, il semble que Vladimir Poutine veuille donner sa chance à une nouvelle génération de managers, tant civils que militaires. Il est intéressant de lire à ce propos le rapport du groupe Minchenko consulting « politburo 2.0 The long winter ».

Proposition d’analyse :

Dans le cadre d’une guerre civilisationnelle, la société russe se met sur le pied de guerre, pour ne pas subir le sort de l’URSS (« piège lacédémonien ») et pour pouvoir affronter le bloc adverse dans la durée.

Le challenge consiste à générer une production militaire qui alimente l’économie sans la « plomber » et sans sacrifier l’objectif de développement intérieur à long terme. C’est un défi qui n’est pas sans rapport avec le « New deal » étatsunien, qui a pu fonctionner grâce à la 2ème GM. Cela nécessite que l’appareil d’Etat soit confié à des responsables civils et militaires adaptés à cette évolution.

Interrogations :

a) Malgré les importantes ressources en matières premières et énergétiques et certaines supériorités techniques, la Russie dispose-t-elle d’une masse critique démographique permettant d’équilibrer le « Milliard doré » occidental ?

b) La fenêtre d’opportunité créée par les carences avérées des Occidentaux en matière de production de guerre sera-t-elle assez durable pour permettre à l’économie russe d’exploiter le différentiel en sa faveur avant la réaction adverse ? Les observateurs militaires s’accordent sur une échéance impérative fixée à 2025/27 pour régler le cas kiévien. Le mandat présidentiel est de six années en Russie et une révision constitutionnelle de 2021 permet à Vladimir Poutine de briguer deux mandats (2036). Il semble toutefois que l’échéance du mandat en cours le portera à un âge raisonnable de départ (afin d’éviter la gérontocratie de la fin de l’ère soviétique), ce qui correspond à un créneau de cinq années pour finaliser les évolutions programmées.

c) La politique d’alliances qui tente de fédérer les exclus du bloc occidental débouchera-t-elle sur le résultat tangible et stabilisé d’un « nouvel ordre mondial » multipolaire, dépassant les lignes de fractures existant entre Etats de natures variables et d’intérêts divergents ?

d) Le personnel disponible, politique et administratif, militaire et civil, permettra-t-il de relever le défi en évitant les pièges déjà identifiés en Russie tsariste, en URSS et dans la Fédération actuelle ?

Dans le cadre de ce qui prend désormais la forme d’une lutte civilisationnelle contre l’Occident, la volonté Poutinienne de mener une « semi-guerre », retenue, raisonnable et limitée afin de préserver l’objectif de développement intérieur, est-elle encore viable ? Les développements autour de Koursk témoignent de la volonté de l’hégémon d’aller jusqu’au bout (et de l’inanité de toute « ligne rouge ») et des difficultés à faire face à cette menace avec des moyens limités, posant la question de la mobilisation, militaire mais aussi de toute la société russe. On peut espérer que l’appareil militaire est en cours de mutation, comme en témoignent les nombreuses arrestations et renvois de responsables. Il est avéré que les combattants évoluent et apprennent à améliorer leurs performances sur le terrain, tactiquement et techniquement. Toutefois, en sus de la purge anti-corruption, il semble nécessaire de mener une réforme administrative et organisationnelle pour dépasser les faiblesses structurelles d’un système militaire, expression de la société civile russe, qui a conservé certaines tares de l’armée tsariste et les pesanteurs de l’armée soviétique.

2. Mobilisation de la population et de la société civile russes

Constats

a) Pour être viable, la démarche économique repose sur un accompagnement social et éthique (« réarmement moral », valorisation d’un substrat idéologique partagé culture russe et histoire, harmonie pluriethnique de la Fédération). Cela est nécessaire pour le fonctionnement du système de marché tempéré par le contrôle étatique des filières d’intérêt stratégique et régaliens que professe le président russe depuis 2000.

b) L’économie russe doit également se mettre en situation de se connecter aux économies étrangères hors système sous contrôle occidental, sans devenir dépendante de puissances comme la RPC, ni de l’économie énergétique.

c) Il est également nécessaire de faire accepter aux populations la guerre en cours, ouvertement en Ukraine et indirectement contre l’hégémon. La présidence repousse autant que possible la mobilisation et fait reposer le recrutement sur le volontariat, actuellement suffisant (160 000 hommes en 2024, complétant les 300 000 rappelés en 2022 qu’il est question de libérer cette année) pour compenser les pertes et accroître les forces, situation qui ne peut perdurer que si un certain statu quo opérationnel est maintenu. Le discours de Vladimir Poutine du 7 juin établit clairement que l’accélération des offensives serait génératrice de pertes, qui sont refusées au profit d’une stratégie de « grignotage ». Mais l’ennemi imposera peut-être un changement, car il est apparu que la protection efficace des frontières et les opérations de combat excèdent la ressource disponible avec une armée même portée à 1,2 millions d’hommes. L’URSS en alignait 3,8 et une masse critique entre 2,5 et 3 semble nécessaire face à l’Europe occidentale otanisée et belliciste.

d) Il faut également assurer l’unité des populations, en évitant les flux de départ pour causes idéologiques ou sociétales (« fuite des cerveaux » et des jeunes urbains plus occidentalisés, massives au début de la SVO mais apparemment taries depuis) et également les tentatives occidentales de générer des fractures en exploitant le multiculturalisme ethnique en Russie et en particulier le fondamentalisme islamique. Ce dernier point mobilise les attentions et la réaction de l’Etat contre l’immigration néfaste est perceptible (nouvelles lois restrictives votées par la Douma, propositions répressives présentées par Alexander Bastrykin et le président de la Douma Viatcheslav Volodine, qui débouchent sur de très nombreux raids du FSB. Cette politique est cependant tardive (au moins 17 millions de migrants d’Asie centrale établis en Russie), se heurte à l’héritage de l’URSS (pas de visa, un peu comme les relations de la France avec ses anciennes colonies), soulève des problèmes géopolitiques (relations avec les anciennes républiques, toutes majoritairement musulmanes sauf la Géorgie et courtisées par l’occident, la Turquie et la Chine). Il est fort probable que les milieux d’affaires russes souhaitent conserver l’accès à une main-d’œuvre bon marché et n’appuient pas la réaction de l’Etat.

e) Il faut enfin améliorer l’image de la « gouvernance » russe, entachée par la corruption. Le narratif qui semble se développer est que la situation de guerre impose une reprise en main et que ce qui a été toléré lorsque le quotidien des Russes avait connu une amélioration très notable (de 2000 à 2010 en gros) ne peut plus l’être. Cela correspond à une attente de la population qu’avait bien senti et représenté Evgueni Prigojine. Cela s’inscrit également dans une certaine continuité historique du « roman russe » pendant la grande guerre patriotique, sur fond de menace existentielle. Malgré un patriotisme russe davantage préservé qu’en Europe de l’ouest, il est patent que les nouvelles générations en Russie, notamment les urbains, y sont moins attachés et restent souvent fascinés par le modèle occidental.

Proposition d’analyse :

La guerre en Ukraine est un épiphénomène d’une opposition fondamentale avec l’Occident collectif, sa mainmise mondiale et sa volonté de contrôler l’Eurasie. Cela prolonge la volonté de résister à l’insertion forcée de la Russie dans les périphériques étatsuniens, exprimée dès le fameux discours de Munich en 2008. Cette opposition militaire n’étant que la continuation de la politique, engendre un important volet économique et culturel. La réactivation des valeurs traditionnelles et conservatrices est le moyen de s’opposer au soft power corrosif et délétère de l’Occident. L’enjeu consiste à découpler la modernité et la performance technologique et économique de ce socle intellectuel et social. Il faut également cantonner le « choc de civilisation » aux deux blocs en évitant que n’apparaissent des fissures internes, ethniques religieuses et sociétales. La guerre peut s’avérer un accélérateur ou un facteur de résistance.

Interrogations :

a) Les observateurs étrangers considèrent souvent qu’il n’existe pas réellement de société civile en Russie. Les efforts du président témoignent pourtant d’une volonté de susciter l’adhésion et d’une aspiration à expliciter les décisions. Le pouvoir met en avant la notion de limitation des pertes humaines et celle de répression des excès de la corruption. Il est certainement aidé en cela par l’attitude, la rhétorique et les fournitures d’armes occidentales. La perte d’attractivité du modèle occidental, en particulier européen -et, disons le, français- est également un facteur favorable dans ce cadre. Toutefois, quel serait le soutien si la guerre tournait mal, prenait un tour plus impactant qu’actuellement ou menaçait de dégénérer en apocalypse nucléaire ?

b) Pour assurer cette politique, le contrôle direct par l’appareil d’Etat, et indirect par l’adhésion et la création du consentement, demeure un facteur-clef. Il est difficile de quantifier la part de soutien en fonction de critères variables entre les grands centres urbains et les régions et « objets lointains », entre la génération d’après 2000 et les ex-Soviétiques, et entre les différentes ethnies de la Fédération notamment à cause de l’exacerbation du fait religieux et de l’irrédentisme qu’il crée souvent.

c) La création d’un bloc conservateur mondial, sublimant ses différences dans le refus des valeurs de l’Occident collectif, semble en cours. On ne peut cependant prophétiser sa robustesse, sa pérennité ni sa viabilité. Le rôle moteur qu’entend conserver la Russie dans ce cadre ne peut pas davantage être garanti. La Fédération dispose certes d’atouts, qui se déclinent en creux des caractéristiques actuelles de l’Occident, mais son leadership n’est pas assuré au-delà d’un magister moral relatif.

3. Actions de contrôle interne

Constats

a) Les instances décisionnaires ont fait des choix de politique économique et financière qui visent évidemment à minorer les effets des sanctions occidentales, mais aussi à consolider la base de production et la balance entre importations et exportations, à renforcer la constitution d’une réserve fiduciaire. Le rôle confirmé de la Banque centrale, les textes permettant désormais la prise de contrôle d’entités privées stratégiques ou déficientes, la réorganisation de la filière militaro-industrielle, l’exigence de rendre des comptes par les gouverneurs, entrent dans ce cadre de construction de l’économie de guerre.

b) La question des travailleurs étrangers est devenue fondamentale. L’entrisme au sein des instances publiques, la subversion par les diasporas, l’existence de quasi-cartels criminels à base ethnique et/ou en lien avec le crime organisé, la non-assimilation des personnes issues d’Asie centrale et la promotion d’une forme d’Islamisme fondamentaliste, dérogeant souvent aux cultures et pratiques traditionnelles, ont été identifiés comme des menaces pour la Russie. Bien que la Russie connaisse une pénurie de main d’oeuvre, des décisions semblent avoir été prises. Le FSB mène des raids fréquents contre le travail clandestin, plus de 30 000 ressortissants étrangers ont été expulsés depuis le début 2024 et 11 000 refusés à l’entrée avec 2000 affaires pénales concernant des réseaux d’immigration illicite. Moscou exploite sa situation de pourvoyeur financier indirect (par les rapatriements de fonds dans le pays d’origine) pour faire pression sur les gouvernements concernés. La réglementation -notamment relative aux facilités accordées aux nationaux des Ex-Républiques soviétiques- a été amendée pour faciliter le contrôle des populations, la répression et l’expulsion et les critères d’intégration sont revus à la hausse. Les enquêtes liées à l’attentat du Crocus témoignent d’une prise de conscience et d’une capacité de réaction, voire d’anticipation (attentat déjoué avec l’aide de la Turquie). La reprise en mains des institutions notamment chargées de la répression des fraudes et de l’immigration illicite est un préalable indispensable et le DVKR du FSB semble être chargé de ce travail.

Interrogations :

A la différence des pays européens et notamment de la France, la population semble soutenir ces mesures, les autorités religieuses ne s’y opposent pas, les Etats d’origine n’osent pas adopter une posture hostile, et les agents des ministères de force peuvent encore considérer que « force reste à la loi »4. Néanmoins, une structure fédérative comme la Russie doit tenir compte des disparités et des spécificités, d’autant que la frange périphérique subit un effet de contagion islamiste. La capacité à provoquer et imposer l’adhésion est donc le facteur dirimant pour éviter une explosion centrifuge (dans la logique du projet de démembrements régionaux toujours en vogue dans les pays baltes, en Pologne et dans certains think tanks étatsuniens). La résilience étatique malgré les défauts de gouvernance et si une situation économique plus tendue survenait reste inconnue. L’évolution du risque islamiste reste une inconnue préoccupante. La démographie est aussi prégnante, tant pour les relations avec la ceinture d’Asie centrale qu’au sein même de la Fédération.

II. Éléments liés à la situation internationale

Constats :

De nombreux points sont à relever :

a) L’activité diplomatique du président Poutine, après l’Uzbekistan, a confirmé les liens avec la RPC (visite du 16 mai), la Corée du Nord (signé le 17 juin 2024 l’accord prévoit une assistance mutuelle en cas d’agression), le Viet Nam (19 juin). Cela renforce les chaînes logistiques militaires, l’appui économique et technologique et l’image diplomatico-médiatique5. Toutefois les Etats n’ont pas d’amis et l’appui indien se révèle relatif, avec des difficultés sur la flotte de pétroliers fantômes russes et une visite prévue à Kiev. Après l’intégration de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN, la bascule de l’Arménie et de la Moldavie confirment une stratégie périphérique contre Moscou.

b) Les partenariats économiques et commerciaux continuent et les exhortations occidentales à supprimer les échanges gaziers et pétroliers (Inde) ou l’approvisionnement en supra conducteurs et « puces » (RPC) semblent voués à rester lettre morte (d’autant que Washington s’est autorisé à continuer à acquérir les matières premières dont les USA ont besoin, comme l’uranium, auprès de la Russie !).

c) Les candidatures d’adhésion aux BRICS se multiplient (Turquie, Thaïlande) ; cela porte à terme un risque d’hypertrophie trop rapide, génératrice d’implosion d’une entité réunissant des partenaires trop hétérogènes ou trop nombreux, comme l’a souligné le ministère des affaires étrangères russe. La tendance illustre toutefois une volonté incontestable et croissante de se désolidariser du système économique actuel, sous hégémonie occidentale. Les BRICS rassemblent actuellement neuf Etats : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Emirats arabes unis, Iran, Egypte et Ethiopie.

d) Le président russe a évoqué de manière indirecte la possibilité de remettre des armements performants à des Etats hostiles à Washington (on a évoqué les Houthis dans le cadre de leur lutte en Mer rouge). Des navires de guerre russes, dont un croiseur lance-missiles Zyrkon et un sous-marin nucléaire, ont opéré au large de Cuba, ce qui est un avertissement évident dans le cadre de la gesticulation diplomatico-militaire.

e) Les jeux des BRICS ont accueilli en Russie 5000 athlètes de 90 pays à partir du 12 juin, en réponse à son traitement en paria par un CIO sous influence occidentale.

f) L’Arabie Saoudite n’a pas renouvelé l’accord de 50 ans qui la contraignait à effecteur ses ventes de pétrole en Dollars.

g) L’initiative dite de Paix qui s’est tenue les 15 et 16 juin au Bürgenstock en Suisse n’a logiquement débouché sur aucune action concrète, si ce n’est refuser la proposition de négociation du président russe du 14 juin. A cette occasion, il s’est confirmé que nombre d’Etats agissent en équilibristes pour tenter de ne pas être sanctionnés par les USA mais sans aller trop en avant dans la condamnation de la Russie. Ainsi, la liste des pays qui ont soutenu la déclaration finale est intéressante puisqu’elle comprend la Hongrie, la Serbie et la Turquie, mais pas l’Arménie, le Brésil, l’Arabie saoudite, la Slovaquie et l’Afrique du Sud.

h) Les USA continuent à alimenter la pression sur la Russie, sans se mettre en première ligne, par crainte d’une confrontation nucléaire directe. On ne distingue cependant aucun signe de détente et le relais semble passé à une Union Européenne otanisée (le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 établissait déjà, notamment par son article 42 et le paragraphe 7 de l’article 28 A – titre V, section II, l’implication de l’OTAN dans la politique de sécurité de l’UE) :

  1. Après avoir autorisé l’emploi de ses armements à longue portée à Kiev, ouvrant la voie à quinze autres pays de l’OTAN pour bombarder la Russie.
  2. Le secrétaire général de l’OTAN Stoltenberg (bientôt remplacé par le néerlandais Mark Rutte) a défini le 12 juin une obligation pour les Etats-membres de livrer à Kiev les armements nécessaires.
  3. Les dépenses militaires des pays de l’OTAN ont augmenté de 10,9% en 2024.
  4. Les attaques de drones ukrainiens à longue portée continuent à bénéficier du renseignement de l’OTAN (drones de surveillance RQ 4B global Hawk et avion ISR Rafale, Poséidon, Orion et RC 135W au-dessus de la zone internationale de la Mer noire) ce qui pose la question de la réponse russe à cette menace identifiée.
  5. Par ailleurs la plupart des matériels déployés lors des manœuvres de l’OTAN steadfast defender sont restés sur place, facilitant un éventuel déploiement sur des « couloirs » dans la Baltique.
  6. Viktor Orban a annoncé que la Hongrie a négocié de ne pas participer à l’installation d’un « bureau de l’OTAN » en Ukraine, cet été. Cette mesure occidentale vise certainement à fournir les personnels techniques nécessaires au fonctionnement de la flotte de F-16 en cours de livraison.
  7. Pour rappel, la Moldavie a été le premier Etat à signer un accord de coopération militaire avec l’UE, faute d’adhérer à l’OTAN.

i) Lors de la réunion du G7 en Italie la première ministre Georgia Meloni a fait des déclarations anti russes (« Nous forcerons la Russie à se rendre » assez proche de la rhétorique macronienne « Nous ferons tout pour que La Russie ne gagne pas »), pro Ukraine et otaniennes. Après avoir tenté une gymnastique d’évitement (Matteo Salvini conseillant au président Français Macron de prendre un casque et d’aller lui-même en Ukraine) l’Italie envisage de fournir des missiles anti-aériens Aster et peut être des Storm Shadow.

j) L’Espagne, qui tente également de rester assez loin du champ de bataille ukrainien va toutefois remettre 19 chars Leopard 2A4.

k) L’OTSC (organisation du traité de sécurité collective) demeure, malgré le retrait de l’Arménie (encore membre dans une posture qui ressemble un peu à celle de la France gaullienne en 1966 vis-à-vis de l’OTAN). Le régime Pashinyan, qui a signé des accords de coopération avec les USA et la France, et qui va acquérir des matériels militaires français, est en butte à une contestation massive et permanente. Toutefois, on notera que l’archevêque, figure clef de l’opposition et favorable à un durcissement à l’encontre de l’Azerbaïdjan, désormais soutenu par Ankara et associé avec Moscou dans des contrats énergétiques importants, a été en poste de 1993 à 2003 au Canada et a suivi des études à Leeds au Royaume-Uni. Sa position relativement à l’alliance russe ou occidentale pourrait donc ne pas forcément rompre avec celle de l’actuel premier ministre. Moscou a annoncé mettre un terme à toute fourniture militaire à l’Arménie. A l’inverse, il semble que l’invasion de Koursk ait pu bénéficier du transfert d’armements soviétiques arméniens.

l) La Géorgie semble résister à la menace d’une révolution de couleur, malgré la position pro-UE de l’actuelle présidente (binationale française et ex-ambassadrice de France à Tbilissi) à laquelle la constitution confère peu de pouvoirs.

m) Après la tentative d’assassinat « par un déséquilibré isolé » naturellement, du premier ministre Fico, la Slovaquie garde un cap antiguerre et l’ancien ministre de la défense est poursuivi pour avoir fourni des armements vitaux à l’Ukraine au détriment de son pays.

n) La Hongrie a confirmé son orientation anti-guerre en obtenant de l’OTAN d’être exemptée des mesures bellicistes programmées. Budapest est l’objet de rétorsions économiques de l’UE avec une condamnation à 200 millions d’Euros plus un million par jour de retard, pour non-respect de décision de la CEJ sur les migrants ; le pays ne reçoit pas non plus les financements UE. Ainsi que la Slovaquie (mais aussi la Pologne et…la France) il a aussi été condamné pour dérive budgétaire, ce qui conduit à des pénalités financières. La volonté de faire plier financièrement les Etats qui n’appliquent pas les décisions politiques de l’oligarchie (non élue) des commissaires européens est ici flagrante. Quoi que puisse en penser le lecteur français focalisé sur la politique intérieure, les élections récentes pour le Parlement européen ont tristement confirmé le PPE et Mme Van der Leyen, même si des évolutions sont notables.

o) Le président serbe Vucic a été confirmé par le vote mais, sous la menace du proxy albanais de l’OTAN, il a fait des déclarations inquiétantes annonçant une guerre ouverte à brève échéance entre les Alliés et la Russie. Alarmisme à vocation fédératrice ou excellent Renseignement, l’avenir le dira. La volonté du président Dodic de la Republika serbska de rejoindre la Serbie (en quittant donc l’entité créée après les accords de Dayton pour rassembler Bosniaques et Serbes) en réponse à la déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU reconnaissant les serbes comme peuple génocidaire à Srebrenica crée un facteur de risque supplémentaire dans les Balkans. La position serbe fait figure d’équilibrisme, dénonçant les pressions occidentales mais sans exclure l’adhésion à l’UE et déclarant les USA comme « alliés », affirmant un risque de guerre mais vendant des obus qui alimentent les canons de Kiev.

p) L’opposition entre le bloc occidentalo-pacifique (USA, Australie, Nouvelle Zélande, Corée du Sud, Japon, Philippines récemment réintégrées) et la RPC va concerner d’autres acteurs, comme l’Indonésie et le Viet Nam, voire l’Inde, pays actuellement plutôt alliés de la Russie). A cet égard, on notera un retour aux positions clefs de la guerre du Pacifique, ce qui donne un éclairage intéressant et discordant aux troubles en Nouvelle Calédonie.

Interrogations :

a) La situation internationale reste dominée par l’opposition entre le bloc occidental et un « reste du Monde » superficiellement et ponctuellement rassemblé contre son hégémon.

Grossièrement, les interrogations majeures portent donc sur la robustesse et la pérennité de ces deux blocs, quelque peu artificiellement constitués et qui recouvrent nombre d’oppositions internes ou externes, souvent même au sein des éléments constitutifs ; en effet, les Etats ne recouvrent plus véritablement les nations et des lignes de fractures considérables existent en leur sein même.

b) Un questionnement plus modeste se pose quant à l’influence d’un changement de management au sein de ces blocs. L’Occident ne fait pas mystère de sa volonté d’influer sur le cours des événements en facilitant la destitution de Vladimir Poutine et la destruction de son régime, précédant un possible démantèlement de la fédération de Russie. Cette option ne semble pas la plus probable en l’état des choses mais n’empêche pas le jeu de déstabilisation des dominos respectifs (v ; supra). Outre un intérêt économique (relance du complexe d’armement, prêts non désintéressés…) et politique (resserrement de la suzeraineté étatsunienne sur le bloc européen et épouvantail de l’ennemi commun en politique intérieure), la prolongation de la guerre en Ukraine vise évidemment à lasser les populations russes et fissurer leur soutien patriotique.

c) Certains imaginent qu’un changement de la direction des USA pourrait avoir une influence majeure sur la guerre. Cela nous apparaît peu vraisemblable. Tout d’abord, si Donald Trump était en position de redevenir président (ce qui n’est pas certain) et souhaitait aller en ce sens, on peut penser qu’il serait encore un POTUS à trouver une fin tragique. Même en écartant cette hypothèse, la résistance du deep state, d’une partie de la population et des médias, de l’establishment lié au complexe militaro-industriel, rendrait un changement de cap plus que compliqué. Enfin, Trump est un milliardaire et probablement patriote américain et agira comme tel ; il est peu crédible qu’il agisse de manière contraire aux intérêts économique des USA, à ceux de l’aristocratie capitoline (dont il n’est finalement qu’un opposant ponctuel), et aux siens propres.

d) Les élections européennes et leurs réplique internes ne sont pas en mesure de permettre des évolutions drastiques des relations avec Kiev et Moscou. Les partis qualifiés d’extrême droite sont loin d’avoir accédé à la réalité du pouvoir, et font face à des coalitions parfois contradictoires mais représentatives de fractions importantes de la population ; de plus, leurs orientations se sont considérablement adoucies avec le temps et dérogent peu au consensus socialdémocrate et du libéralisme occidental et quasiment pas du tout à l’atlantisme. L’exemple de l’Italie semble parlant à cet égard et les déclarations de leaders français confirment ce constat.

e) L’influence extérieure via les diasporas est une réalité observée dans le cadre du conflit israélo-palestinien en Europe. En revanche, il semble que la majorité du Monde, particulièrement les Etats d’Afrique et d’Asie font montre d’une relative indifférence à la question ukrainienne, d’ailleurs assez compréhensible de leur point de vue.

f) Le risque de développement majeur nous semble tenir à la possibilité d’un dérapage « à la 1914 » conduisant à un affrontement nucléaire, d’abord limité puis général. Cette hypothèse est consolidée par la perte de contrôle interne qui pourrait conduire des dirigeants désavoués à tenter un va-tout hypothéquant et détournant une Dissuasion conçue comme un instrument stratégique de défense, en tant que moyen de pression, voire d’existence, internationale et interne. Ce risque de perte de contrôle catastrophique s’applique aux deux camps et justifie peut-être que l’opposition soit graduelle6 et n’aboutisse pas à un bouleversement brutal du champ de bataille.

Conclusion

Bien orgueilleux celui qui prétendrait tirer des affirmations péremptoires sur la base de ces constats. On distingue cependant une tendance à l’affrontement de la part de l’OTAN, la confirmation que les négociations ne sont que prétextes mala fide, dans une perspective de renforcement militaire et que les informations distillées par la communication occidentale et kiévienne ne permettent pas de former une image authentique et sincère de la situation, aggravant volontairement certains faits pour en dissimuler d’autres et créer une surprise stratégique et médiatico-politique.


NOTES

  1. Bien que cristallisant la haine de E. Prigojine et de certains nostalgiques de l’URSS, au-delà de ses relations personnelles avec le président, en tant que silovik et membre fondateur du parti Russie Unie, Sergei Shoigu est majoritairement apprécié pour son action au sein du ministère de la sécurité civile (« situations d’urgence » en Russie, une création de Shoigu lui-même). Ses fonctions au ministère de la Défense exigeaient une aptitude d’organisateur et ses remplaçants sont davantage profilés en fonction des circonstances du SVO et de l’exigence de rigueur budgétaire et comptable. Moquées par certains détracteurs, ses nouvelles fonctions de secrétaire au Conseil de sécurité de la Fédération de Russie ne sont pas uniquement honorifiques et le maintiennent proche du président. Cependant son départ de la Défense peut être mis en perspective avec l’action du FSB au motif de la lutte contre la corruption, car il avait incarné le « retour de l’Armée » notamment face aux services spéciaux.
  2. Garde du corps de Vladimir Poutine depuis 1999, il est nommé responsable des activités des forces spéciales qui ont été fondamentales pour la récupération de la Crimée en 2014, vice-ministre de la Défense en 2015 et gouverneur de la région de Tula en 2016. avec Nikolai Patrushev, il fait désormais partie des assistants du président et pourra conseiller techniquement son ministre de tutelle sur les aspects purement stratégiques et militaires. ↩︎
  3. De mi-mai à la mi-août 2024 :
    – Arrestations du général vice-ministre de la défense Timur Ivanov le 23 avril 2024, remplacé par le jeune Pavel Fradkov (fils de l’ancien premier ministre et considéré comme un homme du président) ancien chef adjoint du service de gestion immobilière de l’Etat, du général Sukhrab Akhmedov (ex-chef de la 20éme armée), du chef de la direction générale des forces armées et adjoint à l’état-major général, le général Vadim Shamarin. Le vice-ministre Dmitri Bulganov, le chef de la division du personnel Yuri Kutzenov, le chef de la direction des communications Vadim Shamarin, le chef du département des achats de défense Vladimir Vertelestsky, le directeur de la société de construction militaire Andrei Belkov, le directeur du département des relations immobilières Mikhail Sapirov, le directeur de Voenorg Vladimir Pavlov, le directeur du parc patriotique Viatechslav Akhmidov (considéré comme membre de l’équipe Shoigu), le chef adjoint de la direction du développement et de l’innovation Vladimir Shesterov (également proche de l’ex ministre Shoigu), l’ex commandant de la 83ème brigade d’assaut aérien Artem Gorolov, l’ncien chef adjoint de la 144éme division de fusiliers motorisés Dmitri Pershkov, ont tous été arrêtés pour fraude et corruption. Le général Popov, apprécié comme chef de la 58éme armée, n’est désormais plus inculpé mais témoin assigné à résidence dans une affaire de corruption impliquant ses subordonnés.
    – Départs des vice-ministres de la défense Nikolai Pankov (vétéran de la Défense) non remplacé, Ruslan Tsalikov (considéré comme un homme de Shoigu) remplacé par le conseiller d’Etat Lonid Gornin, Tatiana Shevtsova (pour des difficultés dans la gestion des fonds remis aux personnels militaires), Youri Sadoveko remplacé par le commissaire aux comptes Savelyev considéré comme un redoutable auditeur et contrôleur dans la répression de la corruption et très loyal au président, du chef du département des achats de défense Vladimir Verteletsky et du responsable de l’information et de l’innovation Pavel Popov, actuellement non remplacé. Anna Evgenieva Tsivileva, épouse du ministre de l’énergie et directrice du fonds d’Etat des défenseurs de la patrie où elle a apparemment brillé dans la gestion du soutien aux militaires de la Région militaire Nord.
    – Pour les responsables administratifs et politiques civils : Arrestation du vice-gouverneur de l’Altai Kibardin, du gouverneur d’Orel Sergei Lejnev, du chef de du département des migrations du ministère de l’Intérieur, à Tula, Oskin et de son adjointe Borovik, du directeur de l’Institut d’Etat de langue à Smolensk, le Major de justice Marat Tambiev, ex-chef du département d’enquête de Moscou, du chef adjoint de la direction pénitentiaire de Moscou Vladimir Talaev, de la vice-gouverneure d’Ivanovo Irina Ermish, du vice-président du logement à Moscou Vladimir Talalykin, de l’ancien ministre des transports régional à Sverdlovsk Vasily Starkov, du directeur adjoint du fonds de rénovation de Moscou Mtislav Dymmich, du vice-président du gouvernement régional de Khabarovsk Evegeni Nikonov,de l’ancien vice-ministre des communications Alexei Sodatov, du chef adjoint du ministère des situations d’urgence de Krasnodar Sergei Simochenko, du maire de Sergiev Posad à Moscou Dmitri Akulov, de l’ancien directeur adjoint de Gazprom Belgorod Alexander Belusov. Un scandale lié à un marché de gilets pare-balles défectueux pour l’armée a débouché sur l’arrestation d’Andrei Esipov et deux associés de la société GC Pickett, trois hommes d’affaires ont été arrêtés pour corruption dans le marché de rénovation de la zone militaire de Kazan, l’ancien chef d Oboroenergo mark Manukyan et le chef de Voenorg a été interpelé par le FSB pour corruption et fraude.
  4. Si la réaction à l’attaque du Crocus n’a pas évité de nombreux morts, il en va différemment de la réduction exemplaire de la prise d’otages de personnels pénitentiaires par des détenus islamistes à Rostov : en trois heures, après intervention des SOBR, six preneurs d’otages morts et les otages libérés… Dans les deux cas, le comportement radical des intervenants n’a pas semblé soulever de problèmes judiciaires ni médiatiques en Russie.
  5. Naturellement les Etats n’ont pas d’amis. L’attitude des « alliés » doit s’interpréter au regard de relations multifactorielles, notamment par rapport aux USA. On notera ainsi que des entreprises chinoises cessent leur partenariat en Russie sous l’effet des pressions occidentales. Quant au Viet Nam il bénéficie du statut d’atelier du monde occidental, avec des projets d’en faire une silicon valley bis. Sa balance économique avec les USA (29% , 15,5 % pour la Chine) est 22 fois supérieure de celle avec la Russie, qui ne peu jouer sur la ressource énergétique faute de vecteurs d’approvisionnement. Le rapprochement avec la Russie, alors que les nouvelles générations sont relativement indifférentes à l’histoire de l’alliance avec l’URSS, a plutôt à voir avec le différend sino-vietnamien notamment en Mer de Chine, qui pousse Hanoï à chercher des rééquilibrages en conservant une ligne bienveillante mais sans trop s’avancer. C’est à la lumière de ces faits qu’il faut interpréter l’adhésion à l’accord de libre échange de l’Union économique eurasienne et le souhait d’intégrer les BRICS. La déclaration finale établit tout de même un renforcement de la coopération de défense et le développement de projets nucléaires civils.
  6. Remarquons que les « lignes rouges successives (fourniture d’armes uniquement défensives, puis de moyens de combat, puis de blindés, puis d’avions, soutien aux assassinats ciblés, extension des autorisations d’emploi des armes, attaques sur des civils ans les villes et même sur les plages, envoi de conseillers occidentaux, attaques de radars stratégiques de la défense nucléaire, activation de terrorisme internes frappant les civils en Russie même…) ont toutes été franchies à l’exception de la remise d’armements nucléaires à Kiev.

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