L’Europe selon Youssef Hindi

Une lecture de La guerre des États-Unis contre l’Europe, et l’avenir de l’État, Strategika, mai 2023, 392 pages.

Par Maria Poumier

Le dernier livre de Youssef Hindi apporte beaucoup d’informations et de citations d’auteurs importants (Carl Schmitt, Walter Benjamin, Emmanuel Todd, Giorgio Agambem, etc). Les titres des chapitres sont explicites et didactiques. L’auteur élargit son champ de recherches à chaque nouvel ouvrage. Celui-ci est parfaitement tragique, parce qu’il y est question de notre pays et de son choix de la servitude face aux États-Unis. Ce n’est plus le méchant Yahvé exotique qui est à l’œuvre, ni les complotiteurs francs-maçons, comme dans les ouvrages précédents qui ont fait la renommée de l’auteur : nous sommes décrits, nous les Européens, comme les enfants du monstre anglo-saxon, que celui-ci a froidement décidé de sacrifier, de peur que nous nous tournions vers d’autres protecteurs.

Régis Debray dans Civilisation, comment nous sommes devenus américains (2017) décrivait avec la mélancolie du vaincu la France se jetant dans les bras de l’Amérique de tout son cœur ; d’après lui, cette alliance en marche fondait déjà un monde de raffinement, comme une nouvelle ère hellénistique. Il ne voyait aucun signe de résistance en sens contraire, et il le déplorait. La Gaule s’était bien laissé soumettre aux grâces romaines, d’autres se sont empressés de céder aux charmes de la collaboration avec les Allemands admirés. Il ne se résignait pourtant pas à la disparition du peuple français, écrivant dans la douleur :

« Le dernier cri des stratèges anglo-saxons a pour titre « la guerre au sein des populations ». Ce simple mot annonce à lui seul le désastre. Une population – un terme de la langue préfectorale et administrative – désigne l’ensemble des personnes qui habitent un espace’. Un peuple, l’ensemble des héritiers d’une même histoire, soit une population façonnée par le temps. Elle lui doit sa langue, sa religion, ses habitudes alimentaires, une façon de s’habiller et, en général, accompagnant ces traits distinctifs, une certaine fierté, sentiment qu’exaspère la présence prolongée d’intrus sur un sol qui n’est pas le leur. Les populations seraient beaucoup plus maniables si elles n’étaient pas constituées en peuples, ou, à défaut, en tribus, en clans et communautés venant de loin, eux aussi. Les parachutés occidentaux qui, eux, sont de passage [M. Macron « l’enfant soldat tueur» rentre tout à fait dans cette catégorie, nda], ont beau distribuer des bonbons aux enfants, ouvrir des dispensaires, venir au secours des femmes brimées, payer des collaborateurs locaux, leur puissance de feu ne peut rien contre cette longue patience. Les peuples ont le temps. Pas de calendrier précis ni de date butoir. Les étrangers devront repartir tôt ou tard. L’autochtone sera toujours là, sa terre aussi, et ses cousins. Les ‘Américains’ n’aiment pas la terre. Leur élément, c’est l’espace. Les nues et les flots. Ils en ont la maîtrise (les autochtones n’ont ni flotte ni aviation). Le ‘bleu’ de la planète leur appartient. Ça tombe bien, il n’y a pas de peuples ni de temps dans le ‘bleu’. L’élément des autochtones, c’est le gris. Les armées des démocraties n’aiment pas aller au sol, et on peut le comprendre. C’est là que les choses se compliquent, que le temps reprend le dessus – une histoire qui n’est pas la leur, dont les dirigeants n’ont pas la moindre idée, ayant oublié de consulter les ethnographes qui eux, en savent un bout, mais qui, n’ayant pas pignon sur rue ni leur couvert dans les médias, n’ont pas d’existence aux yeux des décideurs. Cela s’appelle l’Irak, l’Afghanistan, la Libye. Ça s’est appelé le Vietnam, l’Algérie, l’Égypte. C’est chaque fois l’espace sans le temps. » (p. 115-116)

Youssef Hindi rend compte de l’étape suivante, où la proie c’est l’Europe, et où l’Amérique n’offre plus de bonbons du tout, mais des caricatures hideuses de valeurs démocratiques. Aussi s’attelle-t-il à retracer les épisodes précédents du harcèlement contre l’Europe, désormais voyant et insatiable. Il faut regarder en face nos tyrans : c’est Agamemnon ordonnant la mise à mort de sa fille Iphigénie, pour sortir vainqueur de la guerre impérialiste contre Troie, ou le retour de l’antédiluvien Chronos dévorant ses enfants par simple atavisme, alors que nous nous croyons encore, de toute notre condescendance d’Européens bardés de souvenirs d’empires, les aïeux respectables des Amerloques mal léchés. Le renversement est de taille.

Vladimir Poutine vient de remettre en circulation l’annonce de Lénine, qui disait que les impérialistes vendraient au peuple révolutionnaire la corde avec laquelle on les pendrait ; aujourd’hui, le rire de Poutine résonne dans le monde entier, à propos des dirigeants européens qui sont prêts à faire tout ce qu’on leur dit de l’autre côté de l’océan :

Si demain on leur dit : ‘Nous avons décidé de vous pendre tous’, alors eux, les yeux baissés et surpris de leur audace, ils ne poseront qu’une seule question : ‘peut-on le faire avec des cordes de production nationale ?’ Mais les Européens échoueraient même dans ce cas, car il est peu probable que les Américains refusent une commande aussi importante pour leur industrie textile… ((Sputnik Africa, repris sur Réseauinternational.net le 18 juillet 2023)

En peu de mots, tout est dit, et le livre de Youssef Hindi constitue un développement très fouillé à l’appui de cette blague du grand dirigeant de la résistance mondiale.

Du catalogue bien documenté des méfaits de l’empire atlantiste, l’auteur passe aux propositions pour nous refaire une santé mentale, morale, économique, militaire et juridique. Musulman convaincu, il appelle à une révolution spirituelle, et rappelle les étapes de la consolidation de l’Eglise, l’autorité qui a bâti l’Europe. C’est un délicat tissage de relations créatives et de tensions entre institutions politiques et cléricales. La démocratie, Youssef Hindi la relègue avec d’autres au rang de pratique coutumière et fonctionnelle dans les pays anglophones, mitonnée au fil des siècles dans des pubs calfeutrés, mais nullement enracinée en pays de bistrots et d’emportements de comptoir. L’auteur raisonne en barrésien très convaincu, mais glisse une petite quenelle de sa cuisine : le christianisme a sauvé la France de la barbarie, certes, mais il faut se souvenir que c’était une religion d’importation, au départ, déjà à Rome, avant de se naturaliser et de faire corps avec la « fille aînée de l’Église ».

Il est clair que pour en finir avec la dégénérescence des mœurs et des valeurs, il va falloir reconnaître l’apport spirituel musclé qui arrive en masse par la Méditerranée depuis un demi-siècle.

Houellebecq annonçait dans son roman Soumission une capitulation des intellos post-chrétiens, facilitant le remplacement des élites en décadence accélérée par une autre, de jeunes musulmans décidés à prendre le pouvoir, bons tacticiens et bons stratèges, capables de réussir sans carnage un coup d’État tout en restant aussi traditionnalistes que sages. Hindi s’intéresse aux plus combattifs des cathos qui veulent dépasser le provincialisme, ceux qui choisissent de reconnaître la santé morale et la vitalité musulmanes, et de s’en inspirer. De là à prendre et à partager le pouvoir, entre patriotes d’obédiences rivales, avec les charnières grinçantes que constituent les convertis des deux religions… il reste bien des livres à écrire. Quoi qu’il en soit, le salut ne pourra être que spirituel, affirme Hindi avec raison.

Le pouvoir plus ou moins profond, et certainement très sioniste, reconnaît cet état de fait, et redoute que les musulmans français de droite, qui sont solides et nombreux, prennent en main le redressement moral de la France. Un Mélenchon signe évidemment sa perte en recherchant une clientèle musulmane, et en acceptant, en même temps, l’agenda woke ; il espère gagner du temps en jouant sur les deux tableaux, mais c’est de l’aveuglement, d’autres choisiront à sa place, et le remettront à sa place de démagogue.

La force montante du conservatisme musulman français est ce qui explique l’acharnement judiciaire contre le brillant orateur francophone Tarik Ramadan, sous prétexte de comportements déplacés avec certaines de ses conquêtes féminines. Le mouvement MeToo – création de personnalités juives américaines expérimentées dans l’instrumentalisation spectaculaire des griefs d’autrui (à condition qu’il ne s’agisse pas de victimes chrétiennes) comme des leurs – a permis de casser bien des personnalités, et en particulier des résistants, à commencer par Julian Assange (en captivité de fait pour avoir fait l’amour à une jeune femme consentante, mais sans préservatif, jusqu’à être innocenté par la justice suédoise au bout de sept ans). Au bout de plusieurs années de persécution médiatique, Tarik Ramadan se trouve innocenté par les tribunaux suisses, le 24 mai 2023. Mais les sicaires néo-féministes ont déjà repris la chasse pour le traduire devant des tribunaux français. Et de toute façon, leurs manœuvres télécommandées ont abouti : Tarik Ramadan a les ailes brisées par la diffamation interminable, et pourtant il était modéré et conciliant sur bien des enjeux idéologiques, refusant par exemple de monter au front dans le combat contre la sodomie enseignée de force aux enfants, et sous-estimant la sodomisation mentale obligatoire, avec arsenal de sanctions punitives adaptées à chaque âge et fonction, alors qu’il aurait pu soulever les musulmans en tant que tels, au moment où Farida Belghoul tentait de le faire dans l’union avec les cathos cohérents.

Youssef Hindi ne désespère pas des bourgeois cathos, il croit que les forces spirituelles convergent d’elles-mêmes, et il affirme :

« Le virage idéologique à 180 degrés que veulent faire prendre les dirigeants occidentaux à leurs peuples est trop brusque. On ne transforme pas avec des campagnes publicitaires des peuples de consommateurs en croisés antirusses prêts à se sacrifier » (p. 233).

Hindi a des formules brillantes pour montrer que la guerre civile est mondiale, imbriquée avec les guerres civiles locales, et que ce sont des tireurs de ficelle décidés à accroître leur pouvoir par le sadisme, débouchant sur la terreur, et l’encouragement sournois au terrorisme à tous les étages qui corrompent les médias comme les cadres. Certains, un Zemmour maladroit par exemple, voudraient nous nous faire croire que les adversaires à départager sont les judéo-chrétiens contre les musulmans. Mais l’abrutissement consumériste a des limites, il y a des réserves de solidarité réelle entre Français pur jus et Français qui garderont toujours un pied ailleurs ; le mouvement des Gilets jaunes l’a prouvé, et les réseaux sociaux contrecarrent pied à pied les antagonismes artificiels.

En révolutionnaire, l’auteur place son espoir dans la Russie, immense fédération où les musulmans tchétchènes et leur chef Ramzan Kadyrov se battent pour la Mère Russie, sans conflit majeur avec l’l’Église orthodoxe ni avec les communistes, les deux grandes forces qui réclament plus d’engagement dans la guerre contre l’Otan. Il écrit :

« Les contradictions des sociétés capitalistes libérales d’Occident sont d’autant plus insoutenables qu’elles apparaissent au grand jour. La désignation simultanée d’ennemis intérieur -les peuples européens – et extérieur -la Russie – pourrait conduire à une alliance objective de ces deux ennemis communs » (p. 235).

Les pages qui suivent sont riches et subtiles, dans l’examen critique de l’évolution du droit et de la nature de l’État. La perversion de la chose publique par l’oligarchie financière est clairement expliquée. Manuel Barroso, Mario Draghi, Mario Monti, Romano Prodi, Rishi Sunak, Trudeau, Macron et d’autres, placés à des postes clés dans chaque pays, sont tous des fils de la finance internationale, qui se sont emparés d’un pouvoir certain, à des degrés divers, par des coups d’État silencieux.

Le pouvoir redoute l’armée, qui par l’article 36 pourrait prendre les rênes face à des situations d’urgence, et il l’a neutralisée dès 2015, le jour même du massacre du Bataclan, en décrétant l’application de la loi 55-385 conçue pour ne pas avoir à déclarer l’état de siège ; car « éviter l’état de siège, c’est éviter la prise de pouvoir par l’armée » (p. 267). Depuis lors, nos libertés se voient réduites progressivement, au gré de prétextes covidiques, climatiques ou autres, tandis que la répression de toute dissidence s’affine et se déploie.

Parmi les retours sur les antécédents historiques du cauchemar actuel, une vision saisissante : les peuples européens actuels sont considérés par ceux qui nous gouvernent comme les Amérindiens par les colons anglais ; comme des êtres pré-adamiques, que l’on pouvait « réduire » (en nombre, en statut juridique, en capacité de révolte, en servitude) autrement dire mater sans la moindre référence au droit parce que « les princes et les peuples européens s’étaient mis d’accord pour considérer que dans certains espaces l’opposition entre droit et non-droit n’existait pas (Carl Schmitt) » (p. 293)

La description des secousses actuelles se complique parce que tout est tergiversé. Le langage officiel est systématiquement mensonger, mais il est assez simple de rétablir, par l’inversion, la vérité qu’on veut nous cacher. Plus grave, le fait que c’est le pouvoir qui fomente bien des troubles, qui veut liquider toute norme traditionnelle, et qui instaure l’état d’exception avant que la révolte des peuples n’éclate. Et les peuples sont devenus, contre leurs pro-consuls mandatés par l’oligarchie financière, les conservateurs qui réclament le retour aux valeurs d’autrefois, la famille, le travail, la patrie, la stabilité, l’élévation spirituelle, tout ce que véhiculent et ont toujours préconisé les religions.

On veut nous arracher à tout cela, à la fidélité à nos aïeux, et remplacer toute liberté par le sexe et la dépravation à outrance. C’est si douloureux que cela ressoude les strates sociales entre elles ; le lien social, c’est le lien spirituel, autre face de l’instinct de conservation ; en un sens, les dégénérés au pouvoir nous rassemblent. Dans la situation actuelle, les classes moyennes peuvent mettre leur capacité de résistance dans la balance, d’autant plus que les restrictions au niveau matériel n’affectent plus seulement les pauvres. Youssef Hindi n’est pas seul à le ressentir, à le pressentir…

Une dernière citation de circonstance et de toujours : « L’homme a besoin de vivre en société, étant incapable de mener une existence individuelle. Or la conséquence inéluctable de la vie sociale, c’est le désaccord dû à la pression de leurs intérêts opposés. Tant qu’il n’y a pas de modérateur pour les contenir, ces discordances engendrent des conflits qui, à leur tour, peuvent conduire à la disparition de l’espèce humaine. Or la conservation de l’espèce est un des principaux objectifs de la loi religieuse », rappelait Ibn Khaldoun au XIV° siècle … (p. 357)

Nous ne pouvons que partager la proposition de Youssef Hindi sur le chantier théologico-juridique à creuser d’urgence : pour une réconciliation de la religion et de l’État, soutenant un décisionnisme gaullien (défendu par René Capitant, en juriste) à l’horizon d’une politique continentale, contre le monstre « l’impérialisme (américain), stade suprême du capitalisme », comme l’avait parfaitement établi Lénine, bien avant que cet impérialisme nous attaque pour nous dépecer, nous les Européens, après tant d’autres peuples.

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